dimanche 26 décembre 2010

Give Me Take You

Quand il enregistre Give me take you, Duncan Browne a 21 ans, il est anglais, il a les cheveux un peu long et un sacré jeu de guitare, il sait faire les œufs brouillés comme personne[1] et il fume des Gitanes. Il est donc notre ami. 


C’est son premier album. Comme toujours quand on entend quelqu’un qui est à peine sec derrière les oreilles imposer un style et un univers de manière aussi calme et assurée, on a tendance à se sentir un peu minable. Mais Duncan Browne nous réconforte, il n'est pas là pour faire le malin: ce qui l’intéresse c’est la musique, rien d'autre. Il a donc composé des morceaux puis il a demandé à David Bretton, un sien ami jeune acteur et, à ses heures, poète obsédé par la mythologie arthurienne, de lui écrire quelques textes. Calcul rapide : sachant d'une part que Duncan Browne ne jure que par Bach, Ravel, Fauré et Debussy, mais que c'est Bob Dylan qui lui a donné envie de se mettre à la guitare ; sachant d’autre part que sur un canevas folk vient se greffer un univers médiéval ; sachant enfin que nous sommes en 1968 et que les musiciens sont tous des drogués, quelle probabilité avons-nous alors d’obtenir un résultat maladroit, new-age et pompeux ? Grande, à n'en pas douter. Mais c’est sans importance au vu du résultat qui nous intéresse: Give me take you, qui a passé trente bonnes années dans une grande ignorance, est un beau mélange d'influences classiques et folks. Pas le genre de chose qu'on rencontre à tous les coins de bois.



Give me take you est un album magique en quelque sorte, l’influence arthurienne évoque à l’alchimie, les enchantements, et c’est  bien de cela qu’il s’agit. D’un jeune homme qui a un pouvoir particulier quand il touche un instrument, qui sait tour à tour orner et dépouiller, qui a un sens profond de la musique, de l’harmonie, et du beau. La subtilité du travail, la délicatesse de l’interprétation, tout nous renvoie à une époque antérieure et sublimée, une sorte de Renaissance rêvée où un sculpteur travaillerait un matériau sonore noble et mouvant en faisant des finitions au cure-dent. Tout semble avoir été réfléchi et peaufiné à l’extrême, une sorte de dentelle où les émotions s’entrecroisent, se mêlent puis se séparent, se superposent tout en se laissant exister, les voix se répondent, se rencontrent… On pourrait tomber dans l’excès, au fond tout ça ne tient qu’à un fil. Mais ce fil est un cheveu d’or.


Duncan Browne chante avec les fantômes, ses morceaux sont traversés par les intonations des premiers acteurs shakespeariens, par des souvenirs de reines mythologiques, de chevaliers, de troubadours. Mais rien n’est pittoresque, un pont est lancé entre deux époques, un pont sur lequel on danse bien sûr et où Browne se réapproprie un langage oublié qui lui permet de s’exprimer avec le cœur ; c’est la seule chose qui compte à ses yeux, « Better a tear of truth than smiling lies »[2].


On n’a pas envie d’extraire des morceaux de l’album, il faut l’écouter comme un ensemble, un tout. Cela étant, on peut s’ébaubir par exemple du bel enchâssement de « Chloe in the garden » entre les deux parties de « Waking you », de ce morceau jouant sur des sonorités aériennes qui apporte une respiration entre les deux temps d’un chant où l’on met à jour quelque chose qu’il ne fait pas bon voir, que l’on ne comprend pas, que l’on réveille sans bien savoir pourquoi.


C’est un autre aspect touchant de ce disque, le fait qu’il aborde souvent des thèmes douloureux, mais jamais de manière triste. Browne semble ne considérer un événement malheureux qu’en ayant en tête le prochain événement heureux qui viendra effacer la tristesse présente. L'ensemble est porté par une sorte de foi dans ce qui est à venir où la mort même est considérée comme une dernière étape vers la liberté absolue (dans « The death of Neil »).

Il faut écouter Duncan Browne en automne, en hiver, et voir sa musique transformer le paysage gris et monotone qui nous fait face en une vue profondément émouvante. Il semble avoir la capacité de réveiller les esprits cachés en toute chose, il leur fait raconter leur histoire et tout est différent de ce que l'on pensait voir.

A sa sortie, Give me take you a droit à un petit succès d'estime même si d'aucuns lui reprochent son approche mythologique des choses à une époque où il faut chanter le Viet-Nam et l'amour libre. En substance, on reprocha à Duncan Browne sa liberté et son intemporalité. Ce qui est bon signe. Mais il a fallu attendre le début des années 2000 pour que cet album soit redécouvert et  considéré enfin à sa juste valeur.

Entre temps, Duncan Browne a :
-         enregistré un chouette deuxième album, intitulé Duncan Browne, où l’on ne retrouve pas la même magie mais qui regorge cependant de morceaux réussis ; il est donc très recommandable à qui a aimé Give me take you
-         fait l’erreur bête de commettre un tube sur ce deuxième album, ce qui l’a condamné par la suite à reproduire ce succès
-         perdu du même coup tout goût pour la musique, tout en continuant à en faire aux côtés des plus grands (David Bowie, Jeff Beck, Pete Townshend), s’éloignant petit à petit de son âme
-         retrouvé enfin cette dernière en choisissant de s’orienter davantage vers des musiques accompagnant des séries ou des films dans les années 80
-         succombé à un cancer le 28 mai 1993, âgé de 46 ans à peine.

Ce qui n’est pas très gai. Mais il ne faut pas se faire de souci pour Duncan Browne ; si le karma existe, le créateur de Give me take you a été réincarné en oiseau magique, en champ de coquelicots, ou en quelque chose du même goût.


P.S. : les deux premiers albums de Duncan Browne ont été réédités par Grapefruit Records, et agrémentés de morceaux inédits ou de répétitions ; ce genre d’ajout est souvent inutile, mais pas ici. Quand on voit par exemple la progression entre la maquette de « I was, you weren’t » et la version finale, on se dit que ah oui quand même.



[1] Apparemment le truc c’est de remuer de manière constante, et hors du feu.
[2] dans « Ninepence worth of walking »

jeudi 16 décembre 2010

Chanson de la neige silencieuse

Voici qu'avance la compilation du mois de décembre. Elle tourne autour du thème de l'hiver ce qui, avouons-le, est un concept foutrement punk. Elle est composée de chansons et morceaux qui évoquent cette saison, ou qui pas du tout, mais qui au moins sonnent hivernal (remercions la subjectivité sans qui aucun de nous ne serait là).



D'après les sondages qui viennent de tomber, les auditeurs de cette compilation l'écoutent en regardant la neige tomber (50% des personnes interrogées), en marchant dehors pour profiter de la morsure du vent (30%), en préparant un cake aux olives (28%), et enfin en confectionnant des poupées vaudou (2%).

Le titre de cette compilation est emprunté au chouette recueil de nouvelles d'Hubert Selby Jr.

On peut y voir parfois un hommage au cinéma français.

Voilà.


Liste des morceaux:

1  RZA feat. Jean Gabin - Dead birds / Singes perdus
2  Dominique A - La valse boite
3  Melody Gardot - Les étoiles
4  Michael Cashmore (feat. Antony Hegarty) - The snow abides
5  Stinky toys - For you
6  Joanna Preiss et Romain Duris - Avant la haine
7  Frànçois & the Atlas Mountains - Hiver
8  Pinback - Loro
9  Peggy Lee - Fools rush in
10  Jean-Louis Murat - L'ange déchu
11  Eux Autres - Wind and windows
12  Pierre Barouh - Samba Saravah
13  Bastien Lallemant - Toi
14  Lupus & Van Pelt - Shadow
15  Joe Henderson - Lotus Blossom
16  Peter Parker Project - Chantons l'hiver, chantons l'automne
17  Dark Dark Dark - Bright bright bright
18  Syd Matters - Heartbeat detector
19  Kings of Convenience - Misread
20  Serge Gainsbourg - Maxim's
21  Emiliana Torrini - Nothing brings me down
22  Squad Femelle - 49 Plymouth
23  Arcade Fire - Winter for a year
24  Chris Connor - Lullaby of birdland
25  Kazumasa Hashimoto - Ryuhei no mezame
26  Alfred Deller - Hey ho the wind and the rain
27  Tricky - Piano
28  Bertrand Belin - Menuet

"Chanson de la neige silencieuse" est téléchargeable ici.

lundi 13 décembre 2010

Mark Lanegan Band - Bubblegum



Lors d'un concert donné au début du mois dans le cadre d'une tournée défendant Hawk, son dernier album avec Isobel Campbell, Mark Lanegan a conclu la séance avec une version toute en nerfs de « Wedding dress ». Le public était déjà conquis par ce qu'il avait vu jusqu'ici, mais dès les premières mesures un enthousiasme particulier s'est emparé de la salle, un sentiment de "Bordel, ça fait du bien!" Je me suis alors rendu compte que pour ceux qui l'ont écouté et aimé, Bubblegum est et reste un album qui compte.


Il s'agit, à ce jour, de l'unique disque du Mark Lanegan Band, un nom collectif qui cache un sacré paquet de collaborateurs, parmi lesquels Josh Homme, P.J. Harvey et l’admirable Alain Johannes.


Le concert susmentionné avait lieu à Séville, au Teatro Central, sis juste au bord du Guadalquivir; Brigitte Fontaine décrit dans une de ses chansons ce fleuve comme un "brillant serpent musclé". Et c'est en fait une bonne définition de Bubblegum: un serpent qui envoûte par sa grâce, sa puissance, par ses éclats sombres et par la sensation qu'on a qu'il porte dans ses ondulations autant de preuves de vie que de promesses de mort.

Je n'imagine par Orphée chantant autrement qu'avec la voix de Mark Lanegan, cette voix marquée au whisky, au tabac, à la tristesses et aux angoisses. Une voix qui s'impose immédiatement parce que l'on sent que celui qui chante a plus de souvenirs que s'il avait mille ans, comme écrivait l'autre. Cette voix qui rugit "Je ne veux pas quitter ce paradis si tôt" accompagné par le hurlement d'instruments apocalyptiques sur « Methamphetamine blues ». On s'imagine alors un paradis païen peuplé de gens abîmés, mais profondément vivants; Mark Lanegan en serait le roi.


Mais il se dégage de cette carcasse tatouée autre chose, une sorte de foi profondément ancrée. Sur scène il reste statique, arrimé à son micro, mais le visage transformé par ce qu'il chante. Quand à la fin d'un concert il laisse échapper un demi-sourire, il y a fort à parier que tous ceux qui assistent au spectacle affichent une mine béate qui signifie que l'on a été en contact avec quelque chose de profondément sincère.

Bubblegum déploie tout un éventail d'émotions, l'étonnement d'être encore en vie, la folie, la douleur de la solitude, l'incompréhension, la rédemption... C'est en ce sens un disque-somme, le récit de quelqu'un qui a faillir franchir complètement le Styx, et puis qui a trouvé en lui le désir de sauter de la barque pour revenir à la rive en nageant. Serait-ce à dire que Mark Lanegan est désormais immortel? La force qu'il dégage à travers ses compositions et son interprétation donne envie de le croire.



Il chante cet état paradoxal de celui qui est encore vivant sans bien comprendre pourquoi, et qui ne peut que répondre que "quand ce n'est pas ton heure"[1], il te reste à l'accepter et à te confronter à l'absence, au vide. "So let's get it on", conclut-il de sa voix infrasonique. Ca a quand même un peu de gueule.

Mark Lanegan chante la douleur avec une telle puissance qu'il la rend nourricière, qu'il charge son récit de saisons en enfer d'une profonde vie intérieure. Il en ressort une force face à l'adversité qui vaut tous les antidépresseurs du monde. Lanegan a vécu mille purgatoires, et il en revient en chantant "When I'm bombed, I stretch like bubblegum". Ce morceau, « Bombed », est une bien  belle chanson d'amour. Elle vient d'un homme qui revient de loin et qui renaît. Aucune naïveté mièvre là-dedans, mais une chouette déclaration : "Because you're fire, because you're a fire escape".

Musicalement parlant, Bubblegum est une sorte d’errance fiévreuse entre moments d’absolu chaos et instants soudains de calme et de sérénité. L’amour et la violence, une fois de plus. Certains morceaux ressemblent à des aboutissements, comme « Hit the city » et cette maîtrise parfaite de la rythmique qui parvient à créer progressivement une attente et à aboutir à une forme de jouissance en comblant cette dernière. D’autres fois c’est une mélancolie lumineuse qui s’impose, comme dans « Morning glory wine ». Mais quels que soient les morceaux concernés, on les sent portés par un sentiment viscéral, comme si chacun d’eux se posait comme une question de vie ou de mort. C’est un des aspects troublants de Bubblegum, ce sentiment qu’il existe sur un fil, que celui qui lui a donné naissance a longtemps hésité entre l’ombre et la lumière, et qu’il a finalement fait son choix en acceptant que l’une et l’autre ne pouvaient pas être dissociées si l’on cherchait à atteindre la vérité des choses. Et qu’il allait bien falloir faire avec.
  
So let’s get it on

Un proverbe russe dit que quand on croise un démon, il faut chanter. Mark Lanegan doit en savoir quelque chose. Au fond le fameux « Band » dont il fait suivre son nom[2] est peut-être composé des démons qui l'ont autrefois hanté et fait s'égarer ; il a finalement réussi à les séduire par son chant, et il les a désormais transformés en alliés. C'est la sombre lueur émanant de cette alliance qui donne sa teinte étrangement belle à cet album.



[1] traduction littérale du titre du morceau d'ouverture "When your number isn't up"
[2] alors qu'il enregistrait jusqu'ici ses albums sous le simple nom de Mark Lanegan, bien qu’il fut à chaque fois accompagné d’autres musiciens

jeudi 9 décembre 2010

Family

Lorsqu'il s'agit de parler de la musique de Family et de dire que, vraiment, c'est vachement bien, on est confronté à un problème massif: l'apparente bancalité de ces chansons. De prime abord, on croit entendre un groupe qui n'a pas digéré les années 80 dans ce qu'elles ont de plus faiblard. Ce qui peut agresser certaines oreilles. En vérité, il faut du temps pour se faire à ce son anachronique de naissance (l'album date de 1993), même s’il faut bien se rendre à l'évidence que, n'est-ce pas, on n'a plus le temps de rien.


Alors ne tergiversons pas, et prenons le problème de face: le son de Family pourra sembler dégueulasse à d'aucuns. Mais voilà, Family est un groupe espagnol (catalogué dans le sonido Donosti, ¿te acuerdas ?), et souvent l’art espagnol a une sorte de goût, d'attirance pour la laideur. Picturalement par exemple, les plus grands peintres espagnols ont su trouver en elle une esthétique propre, autre, plus puissante peut-être que celle de la beauté. Une manière de réinventer le monde en le retournant, un carnaval permanent. La question du beau et du laid peut-elle dès lors être décemment posée si l'on se penche sur la musique espagnole? J'ai bien envie de répondre que non, parce que ça m'arrange drôlement.


Family nous offre avec Un soplo en el corazón un album unique dans tous les sens du terme. Déjà parce que ce sera leur seul disque, et même que c'est une belle et courte histoire, que voici: les deux membres du groupe l'ont enregistré, après quoi ils ont estimé qu'ils avaient fait ce qu'ils avaient à faire, et s'en sont tenus là. Olé. Depuis lors, cet album est considéré par une frange conséquente de la population ibérique comme le meilleur album espagnol des années 90, voire plus. Ce qui en impose pas mal.


Un des aspects intéressants du son Family, c'est ses racines résolument anglaises, son goût pour les guitares aux sonorités claires. On a déjà évoqué l'aspect synthétique de leur musique, mais en vérité Family se montre capable de rattraper n'importe quelle partie de claviers par des guitares plus ou moins discrètes mais qui tiennent la baraque et permettent à la chanson de traverser les âges. Et quand, dans "En el rascacielos", ils décident de construire le morceau presque exclusivement sur la guitare, on se dit qu'on a là l'un des plus beaux morceaux de ce qu'a pu produire le rock européen des années 90, à la fois précis et vaporeux. On croirait entendre le récit d'un animal sauvage qui, libéré de sa cage, choisirait de ne pas s'enfuir tout de suite, mais de contempler d'abord un paysage vu trop souvent, mais de jouir cette fois de l’absence des barreaux. Ou quelque chose du même goût.


Ce qui déroute parfois avec Family, c'est le fossé entre une musique froide, une voix effacée et le chant en langue espagnole, qui pour nous autres bouseux s'apparente au pire à une ambiance de fiesta cruzcampo et castagnettes, au mieux au son flamenco. Et c'est sur cette torsion que Family construit certains des ses plus beaux moments. Souvent les sonorités évoquent une plage basque en hiver, avec un vent glacial qui transperce ; cette impression naît, à la réflexion, de la vision de l'unique photo officielle du groupe, précisément prise sur une plage en hiver. Et puis d'un coup arrivent des morceaux qui inversent totalement la tendance, et l'on se prend à rêver que l'on écoute "El buen vigía" en plein mois de juin, en faisant de la mobylette sur une route de campagne déserte. Et qu'on n'a pas à porter de casque.

C'est donc sur ce mouvement, sur cette impression d'avoir les pieds dans l'hiver et la tête en été, que s'édifie Un soplo en el corazón. Car c'est du désir de l'été que partent nombreuses chansons, en tête desquelles "El bello verano", où l'envie naît de revivre les histoires d'amour que l'on a pas su faire tenir, de tout pouvoir refaire. Dehors et dedans il fait froid, mais une basse nous envoie au Portugal, au vent chaud, au vin doux. Family travaille ce désir de mieux respirer, d'être davantage présent au monde, et ce sans perdre la conscience de la froideur de ce dernier, de sa tendance à mettre des bâtons dans les roues de ce voyage vers les rêves polaires, "un viaje infinito con esa tonta sensación de liberta "[1]. L'envie de refaire le monde à sa main, d'en redessiner les contours... "Y nuestra única intención es avanzar(...) donde miedos y temores se convierten en paisajes de infinitos abedules de hermosura incomparable donde siempre te querré"[2].

Un soplo en el corazón, un souffle au coeur, l'idée d'une respiration difficile. Et pourtant ce disque, son souffle, son coeur, ses inspirations, ses aspirations, ce bel ensemble forme une grande respiration, un sentiment de liberté qui fait la nique à ceux pour qui le beau c'est ça (voir fig. A), et rien que ça. Family est parvenu, en un album, à redessiner la carte de la musique pop, de l'harmonie apprise, des sons admis. On écoute deux âmes en mouvement, et c'est chouette.



P.S.: Un soplo en el corazón est donc l'unique album de Family, mais pour ceux qui en voudraient plus on peut trouver sur internet les maquettes de cet album (avec un inédit, "Sentimental"). Ça s'appelle Maqueta Plateada et ça peut faire la joie de qui aime le son un peu crade que produisaient au début des années 90 ceux qui avaient passé leurs années 80 à écouter de la cold-wave. Dans un domaine plus chaleureux, l'on trouvera aussi une compilation intitulée Un soplo en el corazón: Homenaje a Family, parue au début des années 2000, et dans laquelle la fine fleur du rock'n'pop espagnol reprend chaque morceau de l'album. Il y a à boire et à manger, mais quand c'est bon, c'est très bon.



[1] « un voyage infini avec cet idiot sentiment de liberté»
[2] « et notre unique intention est d’avancer (…) là où les peurs et les craintes se transforment en paysages de bouleaux infinis d’une beauté incomparable, là où je t’aimerai pour toujours » 

mercredi 24 novembre 2010

#3 - All the Real Girls

Si vous vous penchez un peu par le hublot, vous verrez la cuisine…

Alors oui, faire visiter la cuisine, c’est un aveu d’échec. Seulement voilà, il faut bien faire précéder ce qui va suivre de quelques explications. 

Que voici : la première idée a été de faire un article sur All the Real Girls, film de David Gordon Green qui m’avait laissé une première impression très favorable (un film d’auteur américain qui se sort la tête du fion auteuriste, imaginez un peu). Mais la deuxième impression a été moins bonne : à la revoyure, on s’aperçoit que le film a des défauts, et des défauts sans charme, qui plus est : psychologisation à outrance et dialogues inutiles, jeu d’acteurs parfois bancal et une tendance toute néo-indépendante à se regarder filmer dès lors qu’on cherche à sortir des sentiers balisés.

Et alors c’était bien embarrassant, et que faire ? Sans lien de cause à effet, je réécoutais en boucle #3 - Ce n’est pas perdu pour tout le monde…, de Diabologum, un des meilleurs albums de rock français du monde. Pourquoi pas en parler ici alors ? Mais en même temps, il faut bien l’admettre : si réussi que soit ce disque, il est un brin hermétique ; or la ligne directrice de ce blog est tout de même de mettre en avant des œuvres portant en elles une fibre populaire, mais qui n’ont pas rencontré le public mérité. Et on peut comprendre que, par exemple, le cinéma cyber-punk japonais, de si grande qualité soit-il, ne soit pas diffusé en première partie de soirée sur les grandes chaînes.


Enfin bref, cette longue introduction pour dire que je me retrouvais avec deux œuvres intrigantes, mais plus ou moins critiquables, des ébauches d’analyse inexploitables, et la nécessité de nourrir la bête. Et alors j’aurais pu jeter tout ça à la poubelle et écrire sur autre chose. Mais non, tiens. Voici donc un article qui met en parallèle All the Real Girls et #3 - Ce n’est pas perdu pour tout le monde. On verra bien où ça nous mènera.

Le film raconte l’histoire de Paul, qui tombe amoureux de Noel, la sœur de Tip, le meilleur ami de Paul. Mais Paul est considéré par tous comme le don Juan de la (petite) ville (industrielle) dans laquelle tout ce beau monde évolue. Tout le monde pense donc que Paul va coucher avec Noel puis la jeter, tout le monde sauf Paul et Noel, qui sentent confusément qu’ils sont en train de vivre quelque chose de particulier.

« Quand j’ai ouvert les yeux, le monde avait changé. » C’est ainsi que débute #3, le troisième et dernier album de Diabologum. Ses prédécesseurs avaient un côté ambigu : de la pop rock très efficace, mais faite par un groupe qui faisait de la pop rock pour montrer que c’était facile d’en faire, et donc un peu nul. Par exemple le deuxième album s’appelait Le goût du jour, et son principe était précisément de faire un album qui ressemblât à ce qui se faisait alors. Mais on se trouvait face à un paradoxe : si on aimait cet album, ça signifiait qu’on le trouvait mauvais, puisqu’il était censé être une critique de ce qu’il était. Ca faisait mal à la tête. Avec #3 il n’y a pas d’ambiguïté, c’est l’album que voulait faire Diabologum, un mélange de rock plus ou moins bruyant, de samples et de textes parlés, scandés, et sacrément bien écrits. 

Paul et Noel sont confrontés au regard des autres, qui n’est jamais aussi fort que dans ces petites villes où tous les habitants ressemblent à des enfants perdus. Tout le monde pense veiller sur tout le monde, mais tout le monde étouffe, de peur, de tristesse, de douleur. Les gens sont bancals, ils ne peuvent plus s’appuyer sur grand-chose. Ils parlent, de tout et de rien, se racontent des histoires, mais seulement celles qui ne disent rien. Ils ont des relations de surface. Ils s’aiment quand même, mais ils n’en ont pas véritablement conscience. Les garçons ont pour perspective de travailler à l’usine locale, ou de faire des courses automobiles dans un circuit sphérique, où l’on finit par ne plus savoir qui mène la course et qui est à la traîne, puisque ça ne mène nulle part.

Diabologum livre une sorte de constat, amer, celui d’une « Blank generation », pour reprendre le titre du dernier morceau de l’album. On pourrait considérer ce disque comme particulièrement symptomatique de son époque, la fin des années 90, où le peu de légèreté qui subsistait des décennies précédentes semble disparaître pour de bon. Les textes sont, au mieux, angoissés et désenchantés, au pire parfaitement sombres et violents. L’accompagnement musical ressemble quant à lui à ce qui s’est fait de mieux dans le genre : des guitares parfois torturées et hurlantes, parfois étouffées, menaçantes. On oscille entre le gros rock, le trip-hop, l’expérimental, le hip-hop… Bref, une synthèse, et une belle. « De la neige en été », morceau d’ouverture, résumé assez bien le sentiment qui traverse l’album : une apocalypse, mais qui n’a même pas l’ambition d’être spectaculaire. Comme si une civilisation tirait à sa fin mollement, sans explosion finale, sans apothéose aucune.

Le mérite qu’on peut reconnaître à David Gordon Green, c’est d’être un humaniste, véritable. Il aime ses personnages, et le film se perd d’ailleurs dans les méandres exposés plus tôt quand il se détache d’eux pour s’intéresser à lui-même, à son récit, à sa dramaturgie. Mais tant que le réalisateur regarde ses personnages et cherche à les faire exister, on assiste à de beaux moments. Ils vivent tous dans l’échec, le chômage, l’instabilité familiale, mais ils sont en vie, ils ont du désir en eux. Peut-être sans le vouloir, Green résume tout ça en une très belle image : il filme à un moment un chien qui n’a plus que ses deux pattes avant. Un autre, moins impliqué, aurait sans doute filmé ce chien comme une bizarrerie un peu dégoûtante. Mais Green choisit quant à lui de le suivre parce qu’il a remarqué quelque chose : même s’il n’a que deux pattes, ce chien avance, bon an mal an, et c’est là ce que raconte le film : des personnages handicapés par leurs vies, leurs origines, mais qui vont de l’avant, tant bien que mal. C’est de l’humanisme. On songe alors à ces auteurs américains qui, tels Carver ou Brautigan, racontent des histoires qui semblent ne mener à rien parce qu’elles finissent sans coup d’éclat, sans apothéose. Elles sont pourtant remplies jusqu’à la gueule de ce qui fait  l’essence banale de l’humanité. L’apothéose n’est pas née avec l’humanité, elle est née avec l’invention de l’histoire, des histoires, du récit. Et Green est bien conscient que l’apothéose ne foutrait jamais les pieds dans une ville industrielle de Caroline du Nord.


On retrouve dans les meilleures chansons de l’album de Diabologum un même goût pour l’individu, témoin ou acteur d’une histoire. Ainsi dans « À découvrir absolument », le texte, influencé par une imagerie américaine, établit une liste de personnages et de faits qui, mis bout-à-bout, finissent par créer une somme humaine vertigineuse, inquiétante, et pourtant souvent banale : « Alfred trouve que sa vie est devenue trop ennuyeuse (…) Sheila faire croire à Scott qu’elle attend toujours son enfant (…) Jean est contraint de demander sa mutation (…) Mathieu ne reconnaît plus personne. Tom est tout seul. » Autant de destins résumés en une seule phrase, comme si le narrateur se plaçait du point de vue de la mort et qu’il avait la capacité de résumer chaque personne à un point précis de ce qu’elle est ou a été. Bien des choses se jouent alors, pleines de drames, et pourtant tout est énuméré calmement, froidement, comme si la civilisation finissante décrite par Diabologum finissait par crever de sa propre indifférence, cette indifférence cachée derrière l’intérêt putassier suscité par la formule titre : à découvrir absolument.

All the Real Girls pourrait au fond être raconté sous cette même forme : un jour Paul s’aperçoit qu’il ne connaît rien à la vie, Tip saute tout ce qui bouge et pourtant il a peur du noir, Noel cache les cicatrices d’un accident qu’elle a causé, Leland a tellement mal qu’il ne veut plus aimer personne, Feng-Shui a fait un rêve où elle voyait son père mourir, Bust-Ass s’appelle Tracy et il joue de la guitare. Autant de destins insignifiants au fond, mais qui prennent de l’importance grâce au regard porté sur eux par un réalisateur qui se souvient parfois qu’il veut sauver ses personnages. Ce salut viendra, de belle manière, mais un peu artificiellement, trop soudainement pour être véritablement émouvant.

Chez Diabologum il est difficile de voir un salut dans ce disque prophétique et sombre, à part peut-être dans l’impressionnante mise en musique d’une scène extraite de La Maman et la Putain, de Jean Eustache, où une femme se laisse aller à dire tout ce qu’elle a sur le cœur de manière très crue, mais où cette crudité est une manière de parler au plus près du cœur, de la vérité. La musique qui l’accompagne souligne à la perfection la puissance de ce flot de paroles, l’intensité du discours, et l’émotion qui en ressort. Une émotion qui se détache de la civilisation, des conventions, ces mêmes conventions que Diabologum a définitivement enterrées avec cet album unique.


Alors voilà. Sommes-nous bien avancés ? Ce qui est certain, c’est qu’à réfléchir à ces deux œuvres en parallèle, l’on s’aperçoit que l’émotion suscitée par une création ne vient pas forcément de la recherche du temps fort, de l’éclat. Au début d’All the Real Girls, Bust-Ass[1] tente confusément d’expliquer à ses amis la théorie du battement d’aile du papillon, et l’on s’aperçoit finalement que ce film est la mise en application cinématographique de cette théorie, ou comment l’on peut partir d’un événement pour raconter une autre histoire, ou dix autres. L’infime qui engendre l’infime qui engendre l’infime, répercuté cent fois, et qui aboutit finalement à l’essence des choses. Diabologum procède de la même manière en ne s’encombrant pas de grands discours, mais en se concentrant sur des faits humains. S’accrocher à l’individu, c’est prendre le risque de se couper du grandiose, mais aussi prendre conscience que chaque individu porte en lui l’universel, et qu’au fond rien n’est plus grandiose que cette vérité première. Le film raconte une élévation, le disque une chute, mais ils posent la même question : comment aimer quand on est assailli de toutes parts ? Comment survivre sous les avalanches? Que nous reste-t-il ?
« Un instant précis, trop souvent diffusé, mais toujours inédit. »



[1] Interprété par Danny McBride, dont c’était la première apparition à l’écran. Si vous ne connaissez pas ce nom, retenez-le, vous gagnerez du temps. Danny McBride s’applique pour l’instant avec un masochisme qui force le respect à jouer la lie de l’humanité. Ce qu’il fait est sublime. Un jour quelqu’un lui apportera une belle histoire dramatique, et le monde sera noyé sous les larmes.

lundi 15 novembre 2010

Comment tu t'appelles? (Vol. 1)

Une compilation pour succéder à la précédente et faire en sorte que la terre ne s'arrête pas de tourner.
Une compilation qui s'appelle "Comment tu t'appelles? (Vol.1)" et qui doit son titre à une chanson de Mathieu Boogaerts (sauf le "(Vol. 1)", petite fantaisie personnelle).
Une compilation composée de morceaux dont les titres sont des prénoms. Un sacrédié de boulot.
Une compilation affublée d'une pochette à la limite du répugnant.
Mais la musique est bien, et c'est l'essentiel.


Liste des morceaux:

01 Thelonious Monk - Pannonica
02 Jean-Louis Murat - Jim
03 Air et Françoise Hardy - Jeanne
04 Devendra Banhart - Cristobal
05 Damien - Mitzuki
06 The Divine Comedy - Lucy
07 Mathieu Boogaerts - Renée
08 Les 5 Rocks - Betty
09 Pierre Desproges - Simone
10 Blonde Redhead - Melody
11 Pinback - Kylie
12 Bridget St. John - Lazarus
13 Léo Ferré - Richard
14 Pusse - Olga
15 Mike Sheldon - Joanne
16 The Kinks - Lola
17 Jean Yanne - Camille
18 John Coltrane - Aisha
19 Dick Annegarn - Mireille

Cette compilation est téléchargeable ici.
Et une bonne écoute à vous.

vendredi 12 novembre 2010

Nick Drake - Pink Moon

Un jour de novembre 1971 un jeune homme mesurant deux mètres habillé de vêtements trop courts pour lui et portant des chaussures trop petites entre dans les bureaux de la maison de disque Island Records. Il va vers la réception, pose un paquet sur le comptoir, puis s'en va sans même avoir regardé la réceptionniste. Ce jeune homme c'est Nick Drake. Le paquet qu'il a posé contient les bandes de son troisième album, Pink Moon. Et il s'en est fallu de peu qu'il ne finisse au fond d'un placard, comme bon nombre d'enregistrements amateurs déposés dans les bureaux des maisons de disque. Sans la curiosité du dirigeant du label, qui essayait d'écouter tout ce qui était déposé, le dernier album de Nick Drake aurait été un élément de plus dans une légende qui n'en demandait pas tant.


Pink Moon est le successeur de Five Leaves Left (1969), premier album d'une poésie et d'une maturité artistique impressionnantes pour un gamin de 21 ans, et de Bryter Layter (1970), tentative un peu ratée de faire entrer la musique de Nick Drake dans un moule pop, même si quelques instants magiques survivent au massacre.

Pink Moon a été enregistré en deux nuits. Dans le studio il y avait Nick Drake, sa guitare, et son ingénieur du son, John Wood. La légende veut que quand le directeur d'Island Records comprit qu'il s'agissait d'un nouvel album, il contacta Nick Drake pour lui dire que formidable tes maquettes, je vais réserver un studio, dis-moi quel producteur tu veux, quel type d'orchestre... et que Nick Drake lui a dit que non, le disque, c'était ça. Une voix, une guitare, quelques accords de piano rajoutés sur la chanson titre, voilà tout. Le plus fort, c'est que ça donne un chef-d'oeuvre.

Autant annoncer la couleur par contre: en l'enregistrant, l'état de dépression dans lequel stagnait Nick Drake depuis déjà au moins un an se fait parfois ressentir. Mais à une exception près[1] ce n'est pas un désespoir plombant qui assèche ces morceaux, mais plutôt une sorte de prise de contact avec une forme d'absolu, l'abîme sans fond, ce qui fait de l’album une expérience plus nuancée, et surtout plus forte.


Le disque s'ouvre sur la chanson titre, qui a trompé son monde au point d'être choisie par une marque automobile pour illustrer une campagne de pub avec des djeunz trop rien coolos. Il faut dire que mélodiquement, si simple que ça soit, c'est imparable. Après les arrangements trop élaborés de Bryter Layter, c'est un plaisir de redécouvrir que Nick Drake est un grand guitariste, reconnaissable dès les premiers accords. Les paroles parlent d'une lune rose qui nous rattrapera tous, jusqu'au dernier, et jusque là tout va bien.


Et puis arrive "Place to be", et la donne change; une musique faite pour les regrets accompagne un Nick Drake qui évoque les temps où il était jeune, plein de sève et de force, pour mieux en arriver à son état présent: il est vieux, sombre, et " weaker than the palest blue/Oh, so weak in this need for you". On ignore à qui il s'adresse, si c'est une chanson d'amour, une crise mystique, un questionnement métaphysique. Mais on commence à avoir la chair de poule.


Suit "Road" et ses arpèges magiques, où le texte évoque des routes qui ne sont pas pavées, des voies qui mènent aux étoiles ou qui nous mènent en nous-mêmes. L'un voit le soleil là où l'autre voit la lune, l'un veut prendre la mesure de l'espace l'infini là où l'autre voudrait rentrer au plus profond de lui, mais les deux semblent chercher une même vérité. On n'a pas encore eu l'occasion de dire que Nick Drake, en plus d'être un musicien de génie, n'était pas le dernier des auteurs non plus. Son univers poétique est riche en émotions, en images fortes, et quand sa voix de vieil enfant porte tout ça, le résultat a de quoi marquer les esprits.


Mais parfois il peut se passer de tout, et atteindre des sommets. Avec "Horn" par exemple, ce court morceau instrumental que n'importe qui peut jouer à la guitare au bout d'une demi-heure, mais qui, une fois terminé, hante encore le silence qui le suit.


"Hanter" est un mot qui correspond bien à la musique de Nick Drake. Dans Un bon chanteur mort, Dominique A le place dans la catégorie des voix qui semblent venir d'outre-tombe[2]; de celles qui ont déjà vu l'infini et en sont revenu. Ce sentiment n'est jamais plus fort qu'avec "Know", sa ligne musicale ultra-répétitive, ses gémissements fantomatiques et ses paroles presque effrayantes ("Sache que je te vois. Sache que je ne suis pas là.") On croit en vérité entendre un mort mélancolique, venu tourmenter ceux qui lui ont survécu.


Les morceaux qui suivent, qui constituaient la face B du vinyle, rivalisent d'obscurité, de sentiment que les choses en arrivent à leur fin et qu'il n'y a plus rien à quoi se raccrocher. Mais quand on pense que tout est foutu, Nick Drake nous cueille soudain avec l’ultime chanson, "From the morning", qui filerait des frissons au dernier des mercenaires russes. Après ce long voyage dans les pénombres, voici qu'il chante un jour qui se lève, révélant avec lui la beauté du monde, l'infinité colorée des possibles, et nous invite à aller jouer aux jeux que nous avons appris aux origines. "And now we rise / And we are everywhere": deux simples vers suffisent à inverser complètement la tendance d'un album qui ressemblait à une chute sans fin. 
Nick Drake a choisi de traverser la plus sombre des nuits sans  jamais perdre l'espoir de retrouver la lumière. Pink Moon ne dure que 28 minutes. Il n'y a qu'onze chansons. Mais c'est un sacré voyage.

Dans le premier morceau de son premier album, "Time has told me", un Nick Drake plein de confiance chantait qu'il fallait ne pas trop se tourmenter "Puisqu'un jour notre océan trouvera son rivage". On semble loin de ce rivage apaisant (est-il seulement censé l'être?). Cela étant, Nick Drake l’a peut-être trouvé avec cet album. Il était peut-être davantage sensible à cet état de mélancolie profonde, qu'il est parvenu à transcender par sa musique et sa poésie. L'idée d'un jeune homme exclusivement dépressif ne me semble pas coller à sa musique. Qu'il fut triste, c'est indéniable. Mais à travers ses chansons, on sent quelqu'un qui n'a pas envie de s'en tenir là, qui est traversée d'élans, dont le cœur est rempli de rayons[3].

Nick Drake est mort dans la nuit du 24 au 25 novembre 1975, à l'âge de 26 ans, d’une surdose d'antidépresseurs. On ne saura jamais s'il s'agit d'un suicide ou d'un accident. Ce dont on peut être sûr, c'est que c'est bien dommage.


[1] "Parasite", qui donne envie de voyager dans le temps pour pouvoir aller prendre Nick Drake par l'épaule en lui disant "Mais non, mon vieux, tu n'es pas à foutre aux orties, c'est les autres qui font rien qu'à pas comprendre ton talent! Et puis tu devrais moins fumer, c'est mauvais le cocktail marie-jeanne et antidépresseurs."
[2] (parlant de chanteurs comme Nick Drake, Nina Simone, Léo Ferré ou Ian Curtis) « En les écoutant aujourd’hui, ne doute-t-on pas rien qu’un peu qu’ils aient un jour été vivants ? Lorsqu’ils chantaient, ne le faisaient-il pas comme s’ils n’étaient plus parmi nous, ne nous donnaient-ils pas déjà des nouvelles de l’autre côté ? » Dominique A, Un bon chanteur mort, p. 57
[3] Copyright Baudelaire

lundi 8 novembre 2010

Le Chignon d'Olga

C’est un cauchemar récurrent : je revois Le Chignon d’Olga et je ne ressens plus rien. Pas de rire, pas d’émotion, rien. Le film se termine, et l’écran devenu noir et me révèle mon reflet : je m’aperçois alors que je suis devenu vieux, rabougri, et triste. Du genre à trouver le temps trop long.

Le Chignon d’Olga est le premier film de Jérôme Bonnell, qu’il a réalisé âgé de 23 ans, et cette jeunesse se ressent. Mais dans le bon sens du terme : la réalisation ni le scénario ne font preuve à aucun moment d’amateurisme ou de manque de subtilité ; en revanche, la retranscription de l’état d’esprit d’un jeune homme d’une vingtaine d’année est admirable de justesse.

Ce film raconte l’histoire de Julien, ledit jeune garçon, d’Emma, sa jeune sœur, et de Gilles, leur père. Il y a une absente et c’est autour d’elle que tout tourne, au fond. Mais cette absence est rendue présente en filigrane, avec une grande subtilité. Car Bonnell a le désir, ô combien louable, de ne pas montrer au spectateur ce qu’il doit voir. Le film est au fond la chronique d’un été : c’est l’histoire d’une famille qui doit se reconstruire, de chacun de ses membres qui doit apprendre à faire sans, et à reprendre pied. Mais cette histoire est racontée de mille petites manières détournées. C’est un garçon qui ne veut plus jouer de piano et qui est fasciné par une femme qui porte un chignon, c’est une fille à qui la vie confie un rôle auquel elle n’était pas prête et qui a envie de partir mais que quelque chose retient, c’est un homme qui a tout pour être malheureux, mais doté d’une âme forte, qui fait des grimaces devant son miroir et s’émerveille comme un enfant devant Le Cirque de Charlie Chaplin. C’est bien des choses encore.

C’est banal à dire mais ce film ne serait rien sans le jeu des acteurs. Méconnus pour la plupart, mais tous excellents. En tête, tressons une couronne de lauriers à Serge Riaboukine, qui est incroyablement touchant dans ce rôle d’homme normal, qu’on ne lui propose pas assez souvent. Une autre pour Marc Citti, un secret trop bien gardé, capable ici de dévoiler toutes les facettes d’un personnage pas si évident, mais qu’il rend extrêmement attachant. Et puis il y a le trio de jeunes acteurs, Hubert Benhamdine, Florence Loiret-Caille et Nathalie Boutefeu, tous capables d’émouvoir puis de faire rire d’une seconde à l’autre.


Car c’est là un autre point fort du film : le fait d’être une véritable chronique, au sens où rien n’est jamais absolument sombre ni absolument léger. On a rarement vu l’évocation d’un deuil si bien dessinée,  avec ses moments d’abattements et de doute, certes, mais aussi avec ces moments où la vie refait acte de présence, où l’envie au sens large renaît avec une force considérable. Bonnell est parvenu à écrire un scénario où chaque micro-événement fait sens, où la direction prise par un personnage l’emmène ailleurs, là où il n’imaginait pas aller. Il parvient qui plus est à rendre la force des moments de flottements a priori insignifiants. Julien voit des moutons dans un pré et se met à courir derrière eux en hurlant, se laisse tomber dans l’herbe, puis se relève et reprend sa course. Dit comme ça, ça n’a l’air de rien, mais à l’écran  l’alchimie qui opère grâce au travail de Bonnell rend cette de scène émouvante et significative. Pour dire les choses, les dialogues ont le bon goût d’être anodins en apparence. Les personnages ne parviennent jamais à dire ouvertement le problème, et pourtant toutes les tensions qui les habitent ressortent dans leurs conversations les plus banales, comme par magie. « Il y a des fois où j’aurais envie de hurler de toutes mes forces, mais en même temps j’aimerais que personne n’entende. », dit Julien ; c’est sur ce principe de hurlement muet que les dialogues sont construits : ils disent davantage par la simple suggestion que ne le permettrait un texte trop écrit. 

Ce film est aimable précisément dans sa volonté de ne pas faire d’esbroufe, de ne pas chercher à en mettre plein la vue au spectateur, et ce pour lui permettre de mieux s’approprier cette histoire, de se sentir plus proche des personnages. Une légèreté apparente pour mieux faire ressortir la gravité de certains sentiments, de certaines situations. Le réalisateur fait confiance au spectateur, c’est suffisamment rare et appréciable pour être salué.

On parlait au début de la peur de la vieillesse et de la perte des émotions qui l’accompagne. C’est au fond de cela qu’il s’agit dans Le Chignon d’Olga : de personnages plus ou moins jeunes qu’une perte a fait soudainement vieillir, qui ont pris la mesure du fini et de la mortalité et qui s’aperçoivent qu’il leur reste une vie à vivre, et que c’est à la fois peu et beaucoup. De manière plus ou moins détournée, tous ces personnages se demandent comment ils vont pouvoir vivre, ce qu’ils vont devoir faire. Ils ont peur qu’à travers la mort de l’autre une part d’eux-mêmes soit morte aussi. Mais ces situations forment un spectacle vivifiant parce que ces personnages se trouvent finalement portés par le désir, comme s’ils se réveillaient d’un long coma et que l’été était là pour eux, pour les faire renaître dans une belle lumière caressante et doucement mélancolique. Le chignon qui donne son titre au film n’est en fait pas le nœud de l’histoire, et pourtant c’est de manière détournée ce qui fera sortir Julien de l’abattement, ce qui lui redonnera goût aux choses. Le Chignon d’Olga est en fait un film qui redonne confiance, tout simplement, qui va chercher dans une situation tristement banale les étincelles de vie qui demeurent, révélant la force dont chacun est doté lorsqu’il s’agit de se coltiner la mort.



Le 11 septembre 2001, Jérôme Bonnell et Nathalie Boutefeu tournaient pour le film une scène de claquettes. Dans ce contraste entre l’événement à portée générale et ce vécu particulier on peut voir un symbole: partant d’un contexte difficile et propice au renoncement, Le Chignon d’Olga apporte de la respiration, de la légèreté, et nous laisse avec la convictions que la vie vient à notre aide sans que l’on en ait conscience.

lundi 25 octobre 2010

Chris Morris

« Qui est Chris Morris ? »
Faites l’expérience d’aller par les rues, d’alpaguer les passants et de le leur demander. Jamais personne ne sera fichu de vous répondre. Vous lirez parfois la peur dans leurs yeux, comme s’ils savaient qu’il s’agit de quelqu’un de potentiellement dangereux. Un nom à ne pas prononcer si l’on ne veut pas avoir un peu mal à la société, et mauvaise conscience. Alors ils diront qu’ils n’ont pas le temps, et en plus ça se couvre ça m’étonnerait pas qu’on se prenne une averse, notez que c’est de saison. Et puis ils s’en iront, tout voûtés et misérables, et puis quelques années plus tard ils décèderont comme des cons. Ainsi va la vie.
Mais alors, qui est Chris Morris, l’homme à l’identité en rime suffisante ?
La question est lancée. Essayons de la rattraper.

Chris Morris pourrait avoir grandi dans un abattoir, en enfant sauvage, à observer le mouvement du merlin, la chute un peu ridicule, regard perdu, des cadavres soudains, la chaude cascade des viscères. Le tout accompagné des chansons légères sortant des bouches à mégots des bouchers.
Mais il faut voir la terne réalité en face : Chris Morris, né en 1965, a formé son regard affûté comme mille scalpels en suivant des études secondaires chez les jésuites, puis en apprenant la zoologie à l’université de Bristol. Une jeunesse anglaise traditionnelle quand on est issu de la classe moyenne et que l’on a de l’acné.
Chris Morris a ensuite débuté à la radio avant de prendre une place particulière, que nous nommerons « Place de Chris Morris », à la télévision anglaise. D’abord via un effort collectif moyennement intéressant[1], The Day Today, parodie assez classique d’un journal télévisé à laquelle Groland doit beaucoup[2]. Mais surtout avec deux émissions à la fois OVNI et phare de la télévision anglaise : la première et la deuxième.

Commençons avec la première : Brass Eye, diffusée en 1997. Imaginez un  magazine de société dont le présentateur n’aurait pas peur d’afficher le cynisme que masquent ceux qui présentent habituellement ce type de divertissement. Chris Morris agit ainsi en abordant les sujets racoleurs d’usage (la drogue, le crime, le sexe…) sous un angle différent de ceux auxquels nous sommes habitués, car outrageusement critique. 
En passant par le fait de société Morris livre une réflexion sur la société au sens large, où chaque épiphénomène (ainsi que le traitement médiatique qui lui est accordé) devient révélateur, porteur de sens ou plus simplement symptomatique. Mais c’est avec férocité que Morris se livre à ce travail, en choisissant de révéler au grand jour le ridicule de ceux qui ont justement voix au chapitre et se font dès lors passer pour la bouche ou les yeux du peuple. Du même coup il affaiblit sévèrement un système médiatico-politique où celui qui parvient à se faire entendre n’est pas forcément celui qui a un avis réfléchi et des connaissances sur un sujet, mais celui qui veut se montrer. Ou comment le fait d’avoir une caméra braquée sur soi est devenu une fin, et pas un moyen.
Concrètement, Brass Eye propose en gros deux types de sujet insérés dans une simili émission classique : des reportages bidons dans lesquels un sens aigu de l’image et de la réalisation sensationnaliste des programmes télévisés est mis à contribution, et des témoignages de personnalités politiques, médiatiques ou artistiques à propos de sujets de société. Seulement, ce que ne savent pas ces personnalités, c’est que lesdits sujets sur lesquels ils s’expriment avec plus ou moins de véhémence ne sont en fait que de vastes manipulations orchestrées par Morris lui-même. Ca pourrait sembler vachard, voire malhonnête, mais voilà : Chris Morris fait en sorte de créer les canulars les plus grossiers qui soient, sur des faits invraisemblables au possible. Des ficelles si grosses qu’on se dit que personne n’y croira jamais ; et pourtant, ils sont légion à s’être précipités dans la gueule du loup pour exister médiatiquement. Il y a alors un plaisir presque sadique pour Chris Morris à faire lire des communiqués plus absurdes les uns que les autres à des personnes influentes de la société anglaise.
Prenons pour exemple le premier épisode de Brass Eye, consacré aux animaux. Chris Morris commence en évoquant le phénomène des vaches-canon ; il emprunte des images d’un véritable journal télévisé moyen-oriental, qu’il fait suivre d’images granuleuses et floues qui semblent avoir la même provenance et donc être crédible. Mais ce que ce qui est montré ensuite, à savoir des hommes qui mettent une vache dans un canon avant d’allumer la mèche, se révèle complètement absurde et de toute évidence faux. Par ce stratagème, Morris nous fait rire, et nous pousse en même temps à réfléchir au langage visuel qu’a instauré la télévision, et du même coup à la crédibilité de ce que nous sommes  amenés à voir au quotidien.
Notre homme se livre ensuite à un brillant exercice canulardesque en partant d’un postulat des plus absurde : l’histoire d’un éléphant est-allemand (nous sommes en 1997, rappelons-le) qui, traumatisé par les mauvais traitements qui lui sont infligés dans son zoo, s’est enfoncé la trompe dans le rectum. Ce qui met sa vie en péril, bien évidemment. Une légion de personnalités accepte alors de prononcer des discours en faveur de cet éléphant est-allemand, sans jamais réfléchir un instant au simple fait qu’un éléphant, si souple soit-il, ne peut s’enfoncer la trompe dans l’anus, ou encore que l’Allemagne de l’Est n’existe plus depuis presque dix ans.
A travers cet exercice de dérision, c’est la société du spectacle entière qui en prend un coup dans les gencives. Chris Morris, dans sa volonté de révéler l’absence de jugement des classes dirigeantes et des personnalités influentes, ne fait pas autre chose que les situationnistes quand ces derniers s’amusaient à peindre une trentaine de toiles dans une soirée avinée avant de les exposer le lendemain aux intellectuels parisiens, qui par snobisme s’ébaubissaient bien sûr devant la profondeur de ces œuvres. C’est la mise en avant du ridicule crasseux de la société du divertissement, dans tous les sens du terme. Elle est démontée avec allégresse, révélant les ficelles de ce système et l’imbécillité de ceux qui accourent pour se voir accorder un droit de parole par celui-ci.
Avec Brass Eye, Morris repousse sans cesse les limites de l’absurde et révèle la gravité du néant intellectuel sur lequel repose la communication médiatique (puisqu’il devient difficile de décemment parler d’ « information »). Pour conclure, évoquons l’émission spéciale que Morris consacra à la pédophilie, et qui fut la création télévisuelle qui déclencha en Angleterre le plus de courriers d’indignation de la part des téléspectateurs. Lesdits téléspectateurs n’avaient bien sûr pas compris que le but de l’émission n’était pas de se moquer des victimes de la pédophilie, mais du traitement médiatique parfois hystérique et souvent racoleur accordé à ce phénomène. Cette levée de bouclier prouve instantanément l’utilité publique de la démarche du créateur, mais aussi l’étendue des dégâts. On admirera en passant le courage (ou l’inconscience) des responsables de programme de Channel 4, qui ont donné leur accord à la simple idée que Chris Morris fasse une émission sur la pédophilie[3].

En avril 2000, la même chaîne programme Jam, une émission dont l’origine et le principe même laissent rêveur. Il s’agit en fait d’une mise en image de Blue Jam, une émission de radio créée par Chris Morris ; une post-synchronisation inversée, en quelque sorte. On se trouve face à un véritable OVNI, sorte de défilé d’histoires plus ou moins absurdes et malsaines accompagnées en permanence d’une musique électronique parfois composée par Morris lui-même. Il est également réalisateur de ces émissions, qui sont construites sur une identité visuelle très forte puisque l’immense majorité des images est retouchée. On pourrait alors parler d’émission de synthèse comme on parle de drogue de synthèse, dans le sens où le principe est de mettre en place une représentation irréelle du réel pour faire atteindre au spectateur un état second, déstabilisant.
Chris Morris profite de Jam pour repousser encore les limites du télévisuellement représentable, alternant des passages anti-spectaculaires au possible avec des sketches d’une violence visuelle ou psychologique rare, qui n’est rendue acceptable que par l’humour noir et acide dont Morris a montré qu’il était un des patrons. Pour donner une idée du ton de la série, le préambule du premier épisode montre une femme, perdue dans les transes de la musique électro, qui prend soudain conscience qu’elle danse sur le son du « bip » qui marque les battements de cœur de son bébé, qui diminuent progressivement. Raconter Jam est de toute façon une entreprise vaine puisque cette émission est construite sur une ambiance sonore et visuelle, et que jamais les mots ne rendront compte de ce que Chris Morris parvient à tirer d’une telle idée, à savoir ceci.
Jam est une véritable révolution télévisuelle, une expérimentation qui fait passer les intermèdes déglingués de Die Nacht sur Arte pour un bulletin météo. Le format télévisuel est pris comme un matériau, et Morris se livre à un travail de (dé)composition de ce dernier, il le triture et le travaille de toutes les manières possibles pour faire sortir de lui des choses que l’on n’imaginait pas faisables. Une fois de plus les règles de la représentation télévisuelles sont chamboulées, et l’on se prend à croire que la liberté créatrice existe encore.

Seulement voilà, quand Chris Morris crée Jam, il s’expose aussi bien à être critiqué par ceux qui sont choqués par son style qu’à être adulés par des adolescents qui ne voient dans son travail qu’une sorte de télé trash. Conscient de ce fait, Morris prend ses distances avec le devant de la caméra et décide de se consacrer uniquement à la réalisation[4]. C’est ainsi qu’en 2002 il met en scène le court-métrage My Wrongs 8245 – 8249 and 117, dans lequel un homme franchement dépressif se fait dicter sa conduite par un doberman. Ce film (qu'on peut regarder ici) est produit par la très recommandable maison de disque Warp, et Chris Morris nous prouve une fois de plus qu’il est un homme de goût en le concluant par le magnifique « The nights are cold », de Richard Hawley. Le court-métrage, qui naît donc sous de bonnes étoiles, montre que l’univers créé par Morris dans Jam n’était pas une façade stylistique, mais une manière de regarder le monde. D’aucuns cherchent à se débarrasser de leurs névroses et des idées étranges qui leur traversent parfois l’esprit ; Chris Morris semble quant à lui cultiver ces déséquilibres pour en extraire un matériau créatif. La réussite est grande et le film reçoit le BAFTA (équivalent de nos Césars) du meilleur court-métrage de l’année 2002.

En 2005, Chris Morris retourne au charbon télévisuel en co-écrivant et réalisant une série intitulée Nathan Barley. Ledit Nathan Barley est ce qu’on pourrait appeler un trou du cul 2.0, qui se sert d’internet et de l’espace de liberté qu’il représente pour laisser libre court à sa médiocrité et à son absence de honte. Face à ce personnage se trouve Dan Ashcroft (joué par le grandiose Julian Barratt, déjà interprète et co-responsable des cultissimes séries Asylum et The Mighty Boosh[5]), journaliste désabusé par l’admiration aveugle que lui portent ceux qu’il déteste et honnit à longueur d’articles : les idiots.
Les six épisodes de cette série sont construits sur ce duo d’opposés et sur une idée forte : une nouvelle hiérarchie sociale est apparue avec l’essor d’internet, dans laquelle l’instinct grégaire n’est plus un mécanisme honteux mais une nécessité pour être admis dans la caste la plus haute, celle des gens cools. Le jugement personnel et l’esprit critique sont donc à bannir : il faut regarder ce que les gens cools font, et faire la même chose. Rien de nouveau sous le soleil, mais à l’ère d’internet ce comportement rencontre de moins en moins de résistance. Avec le personnage de Dan Ashcroft, Chis Morris part du principe qu’une personne un tant soit peu intelligente aura pour désavantage d’être en proie à la remise en cause et au doute, là où les idiots, qui ne doutent de rien et surtout pas d’eux-mêmes, ne voient pas d’obstacles autres qu’extérieurs s’élever face à eux. La moitié du travail est alors déjà faite, et pour peu qu’un idiot soit chanceux il se sortira constamment mieux d’un mauvais pas qu’une personne normalement intelligente, c'est-à-dire dotée d’une conscience et/ou d’une âme. 
Avec Nathan Barley, Morris en profite également pour régler son compte aux milieux intellectuels hype, qu’il présente comme mus par un esprit de cour classique, et dès lors comme un phénomène incapable de donner lieu à quelque progrès que ce soit. Il dissocie donc clairement la créativité des milieux branchés, pour mieux montrer leur vanité. On ne peut s’empêcher de penser qu’il sait alors de quoi il parle, et que cette série est pour lui un moyen d’exprimer sa colère, une sorte d’exutoire en même temps qu’une auto-critique.
Car oui, Chris Morris a été suivi par des personnes qui n’ont rien compris à son travail, comme le montre l’excellent faux bonus DVD de Jam dans lequel deux adolescents essayent d’imiter le style de l’émission en brisant tous les tabous. Ils ne parviennent bien sûr jamais à provoquer le malaise que sait susciter Morris. De même qu’il ne suffit pas d’avoir un stylo et du papier pour être écrivain, il ne suffit pas de parler de sodomie sur un bébé mort pour être tendancieux : on peut simplement le faire en étant très con. Morris crache donc à la face de ceux qui le suivent aveuglément et tentent de reproduire son style sans se rendre compte que, ce faisant, ils prouvent que son travail les dépasse complètement. Mais il met aussi en avant ses remords, son incapacité à dire plus simplement, plus « normalement » les choses qui lui semblent importantes. A travers le personnage de Dan Ashcroft, Morris fait son mea-culpa et se présente comme dégoûté par la société dans laquelle il évolue, mais incapable d’en faire abstraction et de vivre à la marge.
Cette mise au point est faite en six épisodes. De nombreux admirateurs attendent une seconde saison, sans cesse annoncée, toujours repoussée ; j’espère qu’elle ne verra jamais le jour. Chris Morris a dit ce qu’il avait à dire sur le sujet, et une suite ne pourrait qu’être répétition ou égarement.

Notre homme est ensuite retourné au cinéma, pour lequel il a réalisé son premier long-métrage, intitulé Four lions et sorti au printemps dernier au Royaume-Uni. Pourvu d’une des affiches les mieux senties de l’histoire des affiches bien senties, le film raconte l’histoire de terroristes bras-cassés qui veulent mettre l’Angleterre à feu et à sang. Il semble qu’on ait affaire à une réussite (au vu des critiques élogieuses parues outre-Manche). La sortie française est prévue pour début décembre. Il sera alors intéressant de voir quel traitement sera accordé au film ; à n’en pas douter on entendra autant de bêtises atterrantes que de choses sensées.


Ce tour d’horizon succinct de l’univers de Chris Morris n’a pas pour but d’en faire la synthèse, puisqu’il est impossible de synthétiser un travail si complexe. L’objectif est simplement de susciter chez celui ou celle qui aura lu cet interminable article jusqu’au bout (bravo champion(ne) ) l’envie d’en savoir plus. Si cette envie est là, l’intégrale du travail télévisuel et cinématographique de Chris Morris a été publiée outre-Manche en DVD[6]. Et que c’est le genre de divertissement dont on a le sentiment de sortir un peu moins bête, ou du moins plus lucide. Ça n’est pas rien.


[1] Effort dont il n’a d’ailleurs jamais été satisfait, d’où la brièveté de l’entreprise
[2] C’est une manière diplomatique de dire que le Groland du début a sans doute allègrement pillé « The day today » ; ou alors ils étaient en osmose intellectuelle parfaite avec l’équipe de cette émission, ce qui est possible aussi.
[3] Car oui, en France, cette émission sur la pédophilie aurait sans l’ombre d’un doute envoyé tout ce petit monde au tribunal, et des pelletées de politiciens, psychologues et artistes seraient intervenus sur les antennes et devant les caméras pour tenir un discours commençant par « Comme le disait Pierre Desproges… »
[4] Il ne réapparaîtra d’ailleurs devant la caméra que pour camper un somptueux Denholm Reynholm dans « The IT crowd », la très chouette série dans laquelle joue aussi son copain Richard Ayoade
[5] Soit dit en passant, même si les séries qui s’exportent le mieux sont américaines, c’est vraiment d’Angleterre que viennent les meilleures créations télévisuelles.
[6] Ces DVD ne sont par contre pourvus que de sous-titres anglais.

jeudi 21 octobre 2010

Lullabies for Ray Hueston's broken heart

Aujourd'hui, une compilation. C'est toujours pratique quand on rame sur le reste. Et puis pendant ce temps-là au moins on n'est pas au bistrot. C'est c'qu'y faut s'dire.


Quelques points de la plus haute importance:
- l'idée de départ était de faire une compilation de morceaux dont les titres sont des questions
- quelque chose de marrant est arrivé: les titres, et parfois les paroles des chansons, se sont mis à se répondre mutuellement, et finalement à raconter une histoire
- une histoire pas très gaie, prise au milieu, qui finit moyennement bien
- mais bon, l'idée c'est surtout de faire une compilation de bonne musique, voilà.

La compilation est donc trouvable ici. Elle est affublée  d'un titre anglais, ce qui permettra au blog d'avoir un meilleur coefficient de pénétration dans  la blogosphère mondiale, et à terme de prendre le contrôle de l'internet. Tremble, Mark Zuckerberg!

Ces chansons sont dédiées à Ray Hueston, qui a apporté la lumière quand la confusion régnait.
Ray, mon grand, tu n'es pas seul.



Liste des morceaux:


01 Ray Hueston - Did you listen to the mix-CD I made for you?
02 Stretch - Why did you do it?
03 Nick Drake - Which will?
04 Al Green - How can you mend a broken heart?
05 Belle & Sebastian - Is it wicked not to care?
06 The Field Mice - You're kidding aren't you?
07 Sharon Jones & the Dap-Kings - What have you done for me lately?
08 Darondo - Didn't I?
09 The Strokes - Is this it?
10 Alfred Deller - How should I your true love know?
11 His Clancyness - Is it all passè?
12 Kim Jung Mi - From where to where?
13 Nick Cave & The Bad Seeds - Where do we go now but nowhere?
14 The Modern Jazz Quartet - Regret?
15 Elli & Jacno - Why should I cry?
16 Chet Baker - Why shouldn't I?
17 Owen Pallett - What do you think will happen now?
18 Jonathan Richman - Que reste-t-il de nos amours?
19 Yann Tiersen - Qu'en reste-t-il?

P.S.: par souci de cohérence, j'ai rajouté des points d'interrogation aux titres qui en étaient dépourvus. C'est bien joli d'être un artiste, mais si c'est pour pas mettre de point d'interrogation à la fin d'une proposition interrogative, autant retourner en CE2.
P.S. bis: J'espère que cette musique vous agréera les oreilles.

dimanche 10 octobre 2010

Bertrand Belin

Jusque là je n'ai parlé ici que d'œuvres finies que l’on peut à peu près circonscrire, et vis-à-vis desquelles on peut prendre la distance de l'historien, ce qui permet de surcroît de fumer la pipe et de porter des vestes en velours côtelé (avec des pièces de cuir au coude, bien évidemment). Et c'est bien joli mais ça nous coupe un tantinet du monde des vivants. C’est dommage, et il faut y remédier, d'autant plus qu'il y a, parmi les vivants, des êtres qui le sont plus que d'autres. C'est le cas de Bertrand Belin.


Cela fait à peu près un mois qu’est sorti Hypernuit, le troisième album de Bertrand Belin, mais certains citoyens ont passé l’été à écouter les rares morceaux qui filtraient dudit disque, en se disant « Si l’album est à la hauteur, bon sang, ça va envoyer du bois !» Et ça en envoie. Ô combien. Et du bois précieux. 

Si l’on veut commencer par le début, ce qui se fait, Bertrand Belin a sorti son premier album (éponyme) en 2005. Ce qui est frappant avec ce coup d’essai, c’est qu’il ne ressemble précisément pas à un essai, dans le sens où il ne joue pas sur la juvénilité ou les failles. Le son est déjà présent, léché, réfléchi, on ne sent pas de coups d’yeux sur les côtés, ni de volonté de rendre aux pères ce qui leur est dû. On a le sentiment d’écouter quelqu’un qui marche depuis longtemps déjà[1] et qui sait où il va, et surtout comment il veut y aller. Mais cette détermination n’est pas sculptée dans le marbre ; il est ici question de voyages, souvent, d’amours heureuses ou tristes, la plupart du temps, et de vin, beaucoup. Le vin et ses nombreux visages : celui de la jouissance (« Amoureux fou»), celui d’une invitation au départ (« Porto »), celui d’un enlisement dans la lourdeur de l’âge adulte vu par le regard d’un enfant (« Madeleine ») ou celui de la violence amère de l’échec (le très nerveux et sec « T’as l’vin, t’as pas l’vin », qui commence par « T’as l’vin, t’as pas l’vin / Dis-moi ou je te saigne », ce qui en terme d’entrée en matière percutante se pose là). L’album est sanguin, vivant, il a une tonalité sensuelle très forte. Très lumineuse aussi, avec l’idée d’un bonheur possible, perdu ou accessible encore. La musique apparaît déjà comme le fruit d’un travail considérable, ce qui donne lieu à des petits bijoux d’arrangement, comme avec « Le colosse » par exemple. Quant aux paroles, elles ne cherchent pas l’universalité, mais ne l’en atteignent que mieux, en agissant comme autant de plans serrés qui parviennent, à partir du détail, à révéler l’essence d’un visage ou un corps, et d’une âme. Comme si l'infiniment petit était la porte vers l’infiniment grand.

Je disais plus haut que ce premier album ne ressemblait pas à une maladroite perte de virginité, mais à l’écoute du deuxième album l’on s’aperçoit que ce jugement était hâtif. Il s’avère avec La Perdue (2007) que Bertrand Belin en a en fait tellement sous la semelle que ce qui nous semblait être un solide premier effort n’était en réalité qu’un honorable  premier pas (ce qui n’enlève bien sûr rien à sa valeur). Disons que si l’on avait tendance à conseiller Bertrand Belin en disant « Tu vas voir, c’est vraiment sympa !», on parle de La Perdue de manière plus émue, voire grave, en disant que là, quelque chose est en train de prendre forme et qu’il serait dommage de passer à côté. L’évolution est saisissante, et l’on ne sait par quel bout la prendre. Alors commençons par les textes ; prenons le morceau d’ouverture, « Le trou dans ta poitrine », qui révèle tout ce qui peut se tramer de malsain dans l’attirance et la séduction: « Le trou dans ta poitrine / Mes tigres s’y élancent / Ils auront senti dans le vent, le bon moment (…)/ Mes tigres s’y élancent, / Bien assurés qu’en place de chance, / La bête est déjà blessée… / Moi, odieux ? que veux-tu / Tout s’abîme / Toi aussi tu veux, tu veux / tu t’abîmes ». Arriver à se faire rencontrer en quelques mots un sens du poétique si personnel et aguerri et une telle lucidité, taquinant par conséquent la cruauté… Cela mérite son chapeau bas, et l’évocation du nom de Dominique A (ne nous-en faisons pas, les journalistes s’en chargent).


Si la lecture du livret du premier album était plaisante, celle des paroles de La Perdue s’avère fascinante ; c’est la découverte qu’entre l’écrit et le chanté le texte peut prendre plusieurs visages, et davantage encore de sens : « À l’assaut du village, l’eau même se lance. / Retranchant d’un coup : mains, visages… » (« Au cœur des astres », sorte d’apothéose progressive qui donnerait un coup de fouet au dernier des dépressifs). Plus globalement, l’écriture des textes évolue vers de nouveaux horizons, plus elliptiques, qui rendent l’ensemble peut-être moins intelligible de prime abord, mais bien plus riche et intrigant à mesure que l’on apprivoise l’ensemble. Pour ce qui est de la musique, les arrangements s’enrichissent, s’ouvrent à une forme de lyrisme proche parfois de l’emphase sans jamais tomber dans la lourdeur (autant dire tout de suite qu’on songe à plusieurs reprises à un Sufjan Stevens qui irait au nerf et ne chercherait pas à faire son intéressant ; un Sufjan Stevens en mieux, en somme), et puis se montrent soudain capables d’une discrétion et d’une subtilité proprement délectables. L’évolution d’ensemble est visible à la pochette même : celle du premier album nous montrait le visage de Bertrand Belin, le regard un peu fuyant, un léger sourire aux lèvres ; celle de La Perdue met en scène un homme entier qui se tient droit et regarde le spectateur dans les yeux. C’est la nuit mais il y a une lumière éclatante qui émane d’on ne sait quoi; en arrière-plan des gens s’intéressent à des dessins sur une large bâche blanche, bâche sur laquelle est campé Bertrand Belin, qui regarde droit devant lui.

En 2009, Bertrand Belin participe au livre-disque collectif Fantaisies littéraires, qui propose à différents chanteurs français de mettre en musique des passages de romans contemporains. Il se détache du lot en choisissant un texte (extrait de Cendrillon, d’Eric Reinhardt) qui lui permet de faire s’épanouir un allant classieux et galvanisant dans un recueil qui a plutôt tendance à tirer vers le sombre (exemples de titres : « On attend quelqu’un qui ne viendra pas », « Personne ne rêve », « Suicide »…). L’idée point alors que, même sans chercher à le comparer à ses contemporains, Bertrand Belin pratique une chanson qui ne peut pas être rattachée à un courant en particulier, ni à une école. C’est du Bertrand Belin, voilà. 

Et puis il y a également le côté homme de scène. Il avait livré voici quelques années une véritable performance lors d’une première partie de Dominique A. Quand la lumière s’était éteinte et qu’il était entré, seul, sur scène, personne ne l’avait remarqué. Les spectateurs poursuivaient leurs discussions, non par mépris, simplement ils ne l’avaient pas vu. Il s’était alors mis au micro, avait lancé à la guitare sa rythmique si particulière et puis il avait chanté de sa voix chaude. Le public se laissait doucement séduire quand soudain Bertrand Belin se mit à se déchaîner sur sa guitare, parvenant à allier un sens de la mélodie à une intensité - voire une violence - du jeu qui a laissé la salle entière K.O. Dès la première chanson il était parvenu à faire du public un allié, et la demi-heure qu’il a passée seul sur scène a été d’un bloc, sans temps mort. À la fin plus personne ne voulait le voir quitter la scène. Chacun a connu la banale douleur de premières parties ratées ; une telle prestation fait alors figure de baleine blanche.

Et puis voilà, Hypernuit est paru, un album qui enchaîne les morceaux de bravoure, tour à tour ombrageux et lumineux, fouillé et creusé jusqu’à l’os, en deux mots incroyablement complet et dense. Bertrand Belin continue à prendre de l’assurance dans la pratique de son art, au point qu’il lui est arrivé pour cet album de se mettre devant le micro sans avoir écrit de paroles au préalable, avec une idée d’atmosphère en tête. Il s’est fait confiance, et on ne saurait trop l’en remercier. L’ellipse est plus que jamais présente dans les textes de cet album, mais elle ouvre les portes vers des possibilités interprétatives d’une richesse rare. Si l'on prend pour exemple « Tout a changé », on est face à une histoire avec très peu d'éléments: un retour inattendu, quelqu'un qui espère que les choses ont changé, le/la revenant(e) qui dit que non, une mare comblée, une cave vide, voilà à peu près tout. Pourquoi avoir comblé la mare? Parce qu'elle rappelle un mauvais souvenir? Parce que quelqu'un s'y est noyé? Un suicide? Un meurtre? Celui ou celle qui revient revient-il/elle de prison? Et la cave vidée, qu'y avait-il dedans? Les bouteilles d'un parent alcoolique? Celui qui est mort? On est encore loin d'avoir épuisé toutes les possibilités d'un tel texte. Quant à la musique, si elle semble ici viser l’épure, elle est rendue véritablement obsédante par l’ingéniosité et l’efficacité des arrangements (les guitares d'abord presque désaccordées d' « Avant les forêts », et qui finissent par s'envoler dans des accords d'une rare fluidité). « Obsédant », le mot est lancé: on ne se débarrasse pas facilement d’un album comme Hypernuit, il nous hante, on y retourne, et on le redécouvre à chaque fois. "Un jour arrivera où nous arriverons" répète «La Chaleur »; peut-être, mais on n'est pas vraiment pressés; en attendant, "Courage, avançons", conclut cet album; c'est bien ce que fait Bertrand Belin.

Dans un entretien récent (lisible ici), Bertrand Belin se dit passionné d'archéologie ; à la réflexion on se dit que tout concorde. Ceux qui cherchent à masquer leur vide intérieur mettent le peu qu'ils ont en avant et font tout pour attirer l’attention dessus. Bertrand Belin, lui, cache les choses. Il  laisse planer un soupçon sur elles, donne parfois de légères indications. Mais c’est à l'auditeur que revient ensuite le devoir de plonger, d'aller fouiller dans les constructions étranges que sont ses chansons, et de trouver à l'intérieur la beauté et la poésie. Oui, il y a une démarche à faire. Rien n’est donné de prime abord, et c'est rare. C’est rare parce que c’est courageux. C'est rare qu'un chanteur nous propose de le suivre sans nous dire pour autant par où passer, qu’il laisse une marge de manœuvre à son destinataire.

J’avais promis dans le préambule de ce blog de ne pas trop la ramener sur l'art. Mais force est de le constater : Bertrand Belin est un artiste, c'est à dire un homme profondément libre qui sait plier le(s) langage(s) à sa volonté, et qui évolue dans une sorte de dimension parallèle, se rendant inaccessible à toutes les médiocrités qui rodent autour de nous en espérant constamment nous enlever morceau par morceau le peu d'âme qui nous reste. Par ses chansons, Bertrand Belin nous donne avec beaucoup de discrétion l'envie de nous hisser vers le haut. On appelle ça l'élégance.


[1] ce qui est le cas puisque Bertrand Belin a alors une quinzaine d’années d’expérience au sein de différents groupes et pour divers chanteurs.