vendredi 20 décembre 2013

Ma douceur

«18 novembre 1929

En dépit de la brume et de mon adoration
Départ de Xenia Alexandrovna

Aucun cri
Aucune larme

Pas un
battement
de coeur

Rien
Qu'un
Souffle
Froid

29 novembre 1929

Retour

Avion de nuit
De longue, longue nuit
Un désir, un seul
M'endormir sans peine
Sans peine et sans en croire mes yeux...

10 décembre 1929

Et voici
L'orange des matins d'Itacombra
Le miel du vent d'Itacombra
Et me voici accueilli par les colibris
Ma douleur se transforme en un chant bouche close
Elle transforme, mais se laisse transformer
Elle n'est plus une porte fermée.

Elle est une corde tendue.

Bel et bien là mais promesse d'un nouveau paysage à venir après
Une rivière, Ô, une rivière encore à traverser!»

Extrait d'Amorguras, de Lazáro Oswald do Beijaflor


C'est ici et c'est ceci:

01 De quoi souffres-tu?
02 Chassol - U were in Love
03 Connie Converse - Talkin' like you (two tall mountains)
04 El Kinto - Esa tristeza
05 Tom Waits - I want you
06 Georges Thill - La maison grise
07 Françoiz Breut - La fille des eaux
08 Julien Gasc - Canada
09 Catherine Hershey - Smiles with her eyes
10 Belle and Sebastian - Jonathan David
11 Erlend Øye - La prima estate
12 Schoolboy Q - #BETiGOTSUMWEED
13 Baron Rétif & Concepción Pérez - Beijos seus labios (feat. Tita Lima)
14 Caetano Veloso - Asa branca
15 Hoagy Carmichael - Stardust


jeudi 12 décembre 2013

Matthew E. White - "Eyes like the rest"

 

De l'ogre, Matthew E. White a tous les attributs, hors les yeux. Et la voix aussi. Non pas une voix grondante et caverneuse, mais un timbre caressant qui a cette tendance à capturer l'oreille et puis le reste. Un ogre sirène?


Peu importe, Matthew E. White s'est fait connaître en 2012 avec un L.P. suivi d'un premier album, Big Inner. Il y faisait montre donc d'une capacité à enjôler le dernier asexuel couché par une voix qui servait des chansons incitant fort à donner un coup de fouet à n'importe quelle démographie. Mais pas que, car ce qu'il y a de super admirable chez le monsieur c'est également sa capacité à pondre des arrangements tantôt redoutables d'efficacité (« Big love » par exemple, et le mariage parfait des violons et des chœurs qui fait revenir à nos oreilles ce souci très 60's d'une honnête chanson-somme), tantôt d'un chiadé inattendu et imprévisible qui a tendance à faire avancer l'auditeur dans d'autres dimensions où la nature du sol sur lequel se posera le pas suivant reste incertaine.


Et le mois dernier Matthew E. White est revenu nous faire coucou via un nouvel E.P., Outer Face, où il taquine beaucoup de muses, toujours avec classe et réussite. C'est la chanson « Eyes like the rest » qui ouvre cet E.P. et alors arrêtons-nous y un peu, tant elle représente le grand talent de White en termes de construction et d'arrangements: d'abord des violons qui semblent annoncer la fin de quelque chose, un brin angoissés.
Et puis les mêmes qui soudain prennent des ailes et commencent à s'étendre en vagues plus sereines qui s'arrêtent net avant que de reprendre, créant une sorte de douce syncope.
Derrière ça une rythmique basse/percussions qui ne dit pas trop son nom; il y a du groove oui, mais aussi un rythme de fauve qui avance caché et prend le temps de faire sien l'espace autour de sa proie, une sorte de tigre des airs, on se dit que quelque chose va se produire, mais quoi? D'où va jaillir la foudre? La voix de Matthew E. White arrive très tôt avec son phrasé nonchalant, ses petits "hmmmm" qui font baisser la garde.
Et puis les chœurs s'avancent, au départ assez classiques, on n'y prend pas trop garde, d'autant que tout ça tient bien, on se laisse flotter et on se sent plutôt bien, même si des discordances font parfois des violons des courants contraires qui invitent à la fois à la paix et à l'angoisse. Mais Matthew E. White chante des trucs qui disent "Je veux être avec toi" et se terminent par "baby" et bon sang, vraiment, tous ces éléments si disparates se marient foutrement bien.
C'est là que l'événement se produit: les chœurs prennent le pouvoir, suivant un rythme propre, plus rapide que celui posé par la base rythmique. Et à cet instant là le rapport avant-scène/arrière-scène s'inverse: ce qui fait la chanson n'est plus le chanteur, mais ce qu'il y a derrière lui. On a le sentiment qu'il se laisse submerger avec plaisir comme un dompteur seul au milieu de l'océan se lasserait chahuter en souriant par des fauves marins dont il a su gagner la confiance, en continuant sa petite chanson, tandis que les choristes refont la pièce et emportent le morceau vers des ailleurs qu'on aurait pas imaginés. Les percussions suivent le mouvement, un peu désorientées on dirait, ne sachant plus où est le temps, où est le contretemps, et au fond on finit par s'en foutre pas mal parce que ce qu'on entend à ce moment-là, c'est pas habituel mon vieux.
Et puis le vent retombe, et il reste la voix de Matthew E. White, son orchestre, et c'est toujours aussi beau, mais chargé du souvenir des voix qui reviennent faire coucou de loin, en restant à leur place cette fois, comme pour laisser la vague atteindre enfin le rivage. On se retrouve là, comme échoué après une tempête qui non contente de nous avoir fait perdre le Nord nous aurait aussi montré le visage de Dieu. Et ça serait une belle femme en vrai.

C'est ça ou autre chose, ce qui est certain c'est que Matthew E. White est un sorcier (voilà, un sorcier, on oublie l'ogre et les sirènes) qui avance masqué, et qu'on lui donne notre âme et le reste quand il veut pour peu qu'il continue à nous gâter avec la si belle magie noire et dorée de ses chansons.

vendredi 29 novembre 2013

Joe Dante - Matinee

- Je t'ai vue pendant l'exercice aujourd'hui, comment ça a fini?
- Je suis collée, une semaine... On a bien enfermé Gandhi toute une année...
- Je ne savais pas, je ne connais pas encore tout le monde ici.


Même si nous sommes les premiers à dire qu'être en vie devrait suffire à faire le bonheur de tout un chacun, il est une chose qui nous fait pleurer dedans nous-mêmes, et c'est le manque de considération et de respect pour Joe Dante. Oserions-nous l'avouer?, et comment tiens!, ça nous pique encore plus les yeux que ce désintérêt à son égard soit en part non négligeable dû au fait qu'un autre réalisateur de la même époque (et frère d'armes, ne l'oublions pas) ait récupéré la grosse partie des lauriers, et que ce réalisateur soit Steven Spielberg. Et alors mince quoi. En essayant de ne pas taper sur Paul pour mieux louer Jacques (ce qui est nul, convenons-en, même si c'est pratique pour le journaleux en manque d'inspiration, mais zut alors voilà que nous nous y mettons, quel cercle vicieux alors), soulignons qu'il y a donc injustice, car si Steven Spielberg se pique de faire des films adultes alors qu'il a une intelligence enfantine, Joe Dante fait des films qui semblent destinés à la jeunesse, mais avec une subtilité et une intelligence du regard toutes adultes. Et alors parlons de Matinee1.


Matinee raconte une histoire qui se déroule pendant les quelques jours que dura la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. Alors qu'une ville de Floride tremble de recevoir une bombe nucléaire soviétique sur la tête, le jeune Gene est quant à lui obsédé par la venue en ville du grand producteur de films d'horreur Lawrence Woolsey, qui va présenter sa dernière création: Mant ! (ou l'histoire d'un homme qui se transforme en fourmi géante après avoir été exposé à des radiations atomiques chez le dentiste). C'est donc par un tout petit bout de lorgnette et à travers le regard d'un jeune adolescent que Joe Dante va rendre compte de l'état d'esprit américain d'alors. Et non seulement c'est drôle et divertissant, mais en plus c'est foutrement piquant et fin.


Déjà, il y a cette capacité qu'a Dante à trouver une distance parfaite vis-à-vis de ses personnages: s'il refuse d'être leur dupe et de faire parole d'évangile de leur point de vue, il se garde aussi bien de les juger de trop haut, de prétendre en savoir plus long ou d'être meilleur qu'eux. Cette attention aboutit à un ton gentiment moqueur où s'épanouissent à la fois l'esprit critique de Dante à l'égard d'une société qui est un pur produit d'une pensée de masses (et ce même dans ses marges), et une bienveillance complètement sincère à l'égard de personnages qui ne pensent peut-être pas beaucoup, mais qui au moins ne pensent pas à mal. Ce trait typique des films de Joe Dante se retrouve dans une esthétique très colorée et pittoresque dans sa représentation du début des années 60 aux États-Unis, qui n'est qu'un trompe-l’œil permettant à Dante de traiter cette période avec distance et de manière masquée en infiltrant ses codes de représentation habituels (rendant ainsi l'évocation de la ségrégation ou du Maccarthysme par exemple encore plus significative, principe qui sera repris plus tard dans Mad Men). Surtout, cet esprit mordant et gentil à la fois se retrouve disséminé dans tout plein de petits détails qui semblent être des signes de naïveté alors qu'ils sont au contraire chargés de sens. Seulement, Dante a l'élégance de ne jamais souligner son propos par sa mise en scène. C'est ainsi que beaucoup passent à côté de la finesse de son travail: comme il n'y a pas de gyrophares indiquant où il faut regarder et ce qu'il faut comprendre (comme chez Spielberg par exemple), on n'y fait pas attention.


Mais la finesse de l'esprit de Dante ne s'arrête pas là: son propos de cinéphile dans Matinee est de rendre hommage à un genre conspué dès que ça peut servir, le film d'horreur. Et plus particulièrement, le film d'horreur un peu fauché, un peu mal branlé, mais fait pour que le spectateur en ait pour son argent. Cette tendance cinématographique est ici incarnée par le personnage de Lawrence Woolsey qui est un hommage à William Castle et à ses comparses, et qui surtout est joué par John Goodman, à propos duquel il serait temps de se rendre compte qu'il est l'un des plus grands acteurs américains. Dans le film, Woolsey expose sa philosophie du film d'horreur: nous vivons dans une société nourrie par la peur; dès lors, en allant avoir peur au cinéma et en s'apercevant une fois le film terminé que rien de tout ça n'était vrai, nous sortons de la salle avec un regard changé sur notre quotidien, qui ne nous semble plus si terrifiant que ça. Là encore ça pourrait sembler naïf, et pourtant il y a bien un propos politique là-derrière. Pour l'étayer, Dante situe l'action de son film pendant la crise des missiles de Cuba qui plongea la population américaine dans une vague de paranoïa complètement folle. Que ce soit les exercices de sécurité organisés dans les écoles (si une bombe nucléaire tombe il faut se mettre à genoux et cacher sa tête sous sa veste) ou l'installation de bunkers post-apocalyptiques individuels, Dante montre les répercussions d'une situation angoissante sur le comportement d'individus quelconques. La démesure qui en naît prouve à elle seule à quel point la représentation de masse qui s'épanouit à cette époque à travers la télévision (représentée ici comme étant omniprésente) peut contaminer les esprits et leur faire perdre la raison. En face de cette politique de la peur, on trouve donc une esthétique de la peur, celle du cinéma de Lawrence Woolsey. Elle ne va pas chercher midi à quatorze heure, mais son but est de rassurer les spectateurs, et justement de les ramener à la raison. A travers Woolsey, on est bien tenté de voir un autoportrait de Joe Dante qui, sous airs de faiseur de films commerciaux, a toujours tendu un miroir critique à la société américaine en particulier, et occidentale en général. En faisant du divertissement, Joe Dante nous invite à nous observer un temps de l'extérieur et à prendre conscience du ridicule de nos modes de vie et des réflexes qu'ils conditionnent.


Car Joe Dante est un cinéaste de la distance, et c'est en cela qu'il est grand. Cette distance est souvent celle d'un humour, amusé ou ravageur (voir les deux Gremlins, films complètement punks dans le fond), mais elle est signe d'autre chose. Ainsi, le fait de porter un regard gentiment moqueur sur ses personnages revient également à leur admettre plusieurs facettes: certes ils sont aimables, mais ils sont un peu bêtes, et inversement; autrement dit il est difficile de condamner ou de sauver inconditionnellement un personnage, il n'y a pas de héros ou de salauds, il y a des êtres faillibles mais dotés de qualités, aimables et critiquables. Rien n'est simple dans la nature humaine et c'est ainsi que la représente Joe Dante, là où d'autres (vous voyez qui je veux dire?) s'engluent dans une représentation puérile d'un monde partagé entre gentils et méchants univoques.
Qui plus est, en faisant preuve de recul et de distance, Joe Dante a l'honnêteté d'éviter une forme de putasserie à l'émotion et de donner au spectateur d'entrée de jeu l'espace nécessaire à un abord critique de ce qui est montré. Là encore c'est une grande et rare qualité chez un cinéaste de divertissement hollywoodien, et surtout cela lui permet de faire des films intelligents à partir de sujets parfois bêtas2.


Il faut donc voir Matinee, déjà pour conjurer l'échec commercial qu'il fut injustement à l'époque, ensuite pour voir ce qui est peut-être le meilleur film de Joe Dante, et donc pour passer un bon moment, se divertir, rire, et puis se poser des questions, réfléchir agréablement, et puis aussi pour voir Naomi Watts dans un de ses premiers rôles dans un faux film dans le film qui raconte la réincarnation d'un homme en caddie de supermarché. Ah oui, Joe Dante a de l'esprit, beaucoup d'esprit, beaucoup de talent, et nous l'aimons fort fort et nous lui faisons de gros bisous.




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1sorti en France sous le titre de Panic sur Florida Beach, titre que nous jetons dans la rivière avec une pierre attachée aux pieds parce que soit on fait un titre en français et alors on écrit "panique", soit on fait un titre anglais et alors on garde le titre d'origine, mince à la fin!
2 à ce sujet on ne peut s'empêcher de taper une fois de plus sur Spielberg (que nous aimons bien au fond, mais que nous aimerions plus s'il s'en tenait à ce qu'il sait faire, à savoir du divertissement pur et dur) en vous renvoyant à ce court mais passionnant extrait d'entretien avec Terry Gilliam où, citant Stanley Kubrick, il pose le fond du problème qui traverse le cinéma de Spielberg. Pour les non-anglophones, l'idée est en substance qu'en faisant la Liste de Schindler, Spielberg arrive à une fin qui dit "Nous avons gagné parce que nous avons sauvé tant de prisonniers", ce que Kubrick commente en disant que l'Holocauste ne peut pas être abordé sous l'angle d'un succès, puisqu'il est un échec absolu de notre civilisation. Soit dit en passant c'est un grand défaut chez Spielberg, celui de vouloir marcher dans les pas de Kubrick. Jamais Spielberg ne pourra marcher dans les pas de Kubrick, et ce ne serait-ce que pour une raison simple mais rédhibitoire: Spielberg n'est pas assez intelligent pour avoir une véritable conscience du vice.

mardi 26 novembre 2013

Tim Hardin - 1


Autre question de l’œuf et de la poule: les chansons sont-elles tristes à cause de la vie qui les a inspirées, ou bien chanter des chansons tristes rend-il malheureux?

Tim Hardin aimait raconter qu'il était le descendant du hors-la-loi John Wesley Hardin.

Comme beaucoup il aime le blues, mais comme quelques-uns élus à la merde de poule (Jackson C. Frank étant le maître-étalon), il est aimé du blues; mélancolie et insatisfaction, 1941-1980.

Don't make me listen to words you think will please me
When pleasing me don't mean anything to you

La vibration d'où sont nés Stuart Staples, Antony Hegarty, tant d'autres: Tim Hardin chante parfois avec une voix de cow-boy lucide; plus souvent avec la voix d'un homme blessé; quelque fois avec la voix du vrai soulman, celui qui met son âme sur la table parce qu'il souffre tellement qu'il n'est même plus sensible au regard d'autrui: ce qui est dit se passe entre lui et la douleur.

Parfois on se demande si Tim Hardin n'a pas passé la majeure partie de sa vie à voir la mort venir, et peut-être à trouver qu'elle traînait en chemin. Pour chanter ces choses-là avec cette voix-là, on doit bien voir quelque chose que d'autres ne perçoivent pas.

Does it ease your heart to say
Tomorrow brings another way to lose you?

Il a découvert l'héroïne à l'adolescence, il y a pris goût au Viet-Nam. Il est revenu de la guerre à 20 ans, sans doute était-il déjà beaucoup plus vieux.

« Il y a ce truc parfois, tu sais, la chanson s'arrête comme suspendue... des points de suspension sonores. J'ai toujours l'impression que je vais tomber quand j'entends ça. Enfin mon corps tient, mais le reste... »

Tim Hardin avait du mal avec le succès et il s'est consciencieusement employé à scier la branche sur laquelle il était assis; à Woodstock, où il était censé jouer en ouverture de festival, il s'est présenté défoncé à un point tel que Richie Heavens a du le remplacer au pied levé. « Être trop défoncé pour ouvrir Woodstock », c'est amusant.

Tim Hardin a habité à Hawaï.
Tim Hardin a voulu élever des chevaux dans le Colorado.

It's a green rocky road, promenade in green
Tell me who you love
Tell me who you love

Tim Hardin a un rapport avec le temps construit sur la brièveté. La plupart des chansons de cet album ne dépassent pas les deux minutes trente, mais elles les remplissent et les rendent profondes comme des années.


Le premier album de Tim Hardin s'appelle 1.
C'est cohérent.
Il y a sur certains morceaux des arrangements de cordes magnifiques.
Ils ont été ajoutés par les producteurs après l'enregistrement.
Tim Hardin n'aimait pas ces arrangements de cordes.

dimanche 17 novembre 2013

Eduardo Mateo - "Quien te viera"


 


«Maldonado, le 18 avril 1975

(Les premières lignes du courrier sont illisibles)

Tu sais, j'essaye de comprendre ce que ces mots peuvent bien vouloir dire.
J'ouvre un dictionnaire, je dissèque.
Il n'en ressort rien.
Je fais des incantations, je prie des morts que je ne connais pas.
Il n'en ressort rien.
Je chante à la lune remplie, je cherche dans la nuit la forme de
L'ombre du jasmin.
Il n'en ressort rien.

Parfois je me dis que les mots sont de trop.

Ce qui remplit mes veines, ce ne sont pas des mots.

Les souvenirs que j'ai de l'eau dans tes yeux, ce ne sont pas des mots.

Ce qui fait que je tremble, ce ne sont pas des mots.

Je pense à toi. Ce ne sont pas des mots.»



mercredi 30 octobre 2013

Alain Gomis - Petite Lumière

Au début de l'année est sorti Aujourd'hui (Tey), dernier film en date d'Alain Gomis. La fin de l'année approche et nous n'avons pas encore trouvé de film capable de disputer à ce dernier le titre de plus belle chose vue depuis des lustres. Il est alors d'autant plus regrettable que sa sortie n'ait pas suscité davantage de réactions, et ce malgré son triomphe au dernier Fespaco. Mais joie, réjouissance et trépignements d'aise parce qu'Aujourd'hui vient de sortir en DVD et qu'on peut donc organiser une (ou quinze) séance de rattrapage. Et ce qui est encore plus chouette c'est que dans les bonus de ce DVD se trouve Petite lumière, un court-métrage réalisé par Alain Gomis en 2002, et qu'à l'image de son cinéma ce film une sorte de prouesse humble. Alors nous nous permettons de mettre ce court-métrage en ligne ici1 pour en faire une sorte d'introduction au cinéma d'Alain Gomis, dans lequel il est urgent de s'immerger.


Petite lumière met en scène les questions que se pose Fatima sur le fait d'exister et sur le rapport que l'on entretient avec le monde. Dit comme ça ça a l'air assez nébuleux, mais ce qui fait justement la grâce du cinéma d'Alain Gomis, c'est sa capacité à traiter des sujets profondément métaphysiques sans aucune lourdeur intellectuelle. Pour ce faire il fait une chose finalement assez rare: il fait confiance à son art.


Plutôt que de développer un discours ou un symbolisme appuyé indiquant au spectateur ce qu'il faut comprendre de telle ou telle image, Gomis semble donner de très légères indications, puis faire en sorte que s'épanouisse un ressenti qui mènera le spectateur à évoluer, par le biais du film, vers ses propres réponses. Ce ressenti naît de l'utilisation de la technique cinématographique dans toute sa richesse. Ici par exemple, l'usage réfléchi et astucieux d'éléments aussi fondamentaux que le son ou le hors-champ nous font soudain prendre conscience que 95% des films que l'on voit ne sont pas marqués par leur appartenance au cinéma, qu'ils sont le travail de réalisateurs qui ne semblent pas conscients de ce que leur outil leur offre.


Plus concrètement, et c'est là la beauté de la chose, ce qui fait la grande valeur de Petite lumière, c'est que sur le papier tous les obstacles sont réunis pour donner naissance à un film boursouflé, bancal, tiraillé entre des aspirations philosophiques et des principes esthétiques. Mais c'est le contraire qui se produit: tout ça est d'une grâce, d'une légèreté et d'une élégance totales. Des interrogations extrêmement précises sont formulées, mais les réponses qui leur sont apportées se défient du langage, comme si ce qui était le plus à même de répondre à la métaphysique était le ressenti, ou en d'autres termes l'expérience de la vie en elle-même.


C'est là l'une des plus grandes réussites du cinéma d'Alain Gomis: le travail d'identification qu'il suscite n'est pas de ceux, assez malsains, qui font qu'on s'attache à un personnage bien précis qui nous laisse comme orphelins une fois le film terminé. Non: le cinéma d'Alain Gomis, par le biais de ses personnages, nous aide à reprendre contact avec notre nature profonde d'être vivants, avec l'expérience concrète et entière que nous avons de la vie. On pourrait dire d'une certaine manière que c'est un cinéma qui nous libère du cinéma pour nous faire apprécier le réel, soit l'antidote à la production cinématographique de masse qui nous coupe de la vie et nous dégoûte de ce que nous sommes en nous excluant de ce qui nous est montré, en faisant de notre statut de spectateur un poste d'observatoire passif et honteux d'où l'on regarde avec envie les aventures de quelqu'un qui vaut mieux que nous puisqu'il est le spectacle et que nous sommes les mateurs. Dit comme ça c'est un peu confus, mais l'expérience des films d'Alain Gomis s'explique par elle-même, il suffit d'y aller.


A la fin de son précédent long-métrage, Andalucia, le personnage principal (interprété de manière magistrale par le grand Samir Guesmi) semblait soudain sortir d'une longue nuit. Il s'élevait alors au-dessus du sol, comme détaché du principe même de gravité, et semblait jouir du simple fait d'être là, dans le paysage. Quand on sort de voir un film d'Alain Gomis, on se sent un peu pareil: on a assisté à un spectacle esthétique complet, discrètement nourri d'une réflexion profonde, et qui nous a remis en contact direct avec l'intense beauté qu'il y a à être au monde.



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1 Même s'il va sans dire que nous n'en possédons pas les droits etc. mais que promis juré craché nous n'en tirons aucun profit. Et même au contraire. Ce blog nous coûte extrêmement cher ne serait-ce qu'en chauffage. Parce qu'il est très mal isolé et que le prix du fuel, n'est-ce pas.

mardi 22 octobre 2013

Les esprits dansent au plafond

« Les esprits dansent au plafond

Il est mort dans un autobus
Dans une haie d'aubépines
Dans un wagon de deuxième classe
A l'arrière d'une carriole
Sous les roues d'un monospace
Dans les cales d'un cargo
Sur une barricade électrifiée
A côté d'un magasin spécialisé dans l'outillage de précision
Cinq fois avant une date anniversaire
Quatre fois en ne sachant pas quoi faire d'autre
Trois fois alors que des enfants jouaient à chat
Deux fois par inadvertance
Une fois par esprit de contradiction
Il est mort sous la pluie
Il est mort au soleil
En chantant
En pleurant
En se demandant ce qui se passe
Il est mort et puis il a dormi.
Dormi et dormi.
Il a dormi et il s'est éveillé.
Il s'est éveillé et il s'est élevé.

À présent il fait
tout autour de lui
le bruit d'un ruisseau. »

 Raymond Graveur, extrait d'Ultramers (éditions du Phalanstère)


Pour bien comprendre il faut cliquer ici. On se trouve alors en présence de:

01 Entrer en matière
02 Michael Yonkers - Nevermore
03 Gérard Souzay - L'invitation au voyage
04 Mark Hollis - The gift
05 Max Roach -  Onomatopoeia
06 Sufjan Stevens - We won't need legs to stand
07 Hans-Joachim Roedelius - Étoiles
08 Vincent Gallo - Was
09 Rien - Stare Mesto
10 Molly Drake - Do you ever remember?
11 The Unicorns - Tuff ghost
12 Caetano Veloso - Michelangelo Antonioni
13 Samson François - Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir (Debussy)
14 Charles Trenet - Verlaine

Par temps brumeux c'est encore mieux.



vendredi 4 octobre 2013

Maurice Pialat - La Maison des Bois

"Mon ami z'il est à la guerre..."
 
En 1971 Maurice Pialat a derrière lui l'expérience d'une douzaine de courts et d'un long-métrage quand il se lance dans la réalisation de la Maison des bois, une série télévisée en 7 épisodes. Après diffusion cette œuvre tombe tranquillement dans l'oubli avant que d'être rediffusée sur le câble au début des années 2000 et désignée par Pialat lui-même comme étant ce qu'il a fait de meilleur. Quand on sait la sévérité qu'a Pialat lorsqu'il juge son propre travail, on se dit qu'il y aurait sans doute intérêt à aller voir de quoi il s'agit. Et on n'est pas déçu du voyage.



La Maison des bois, pour faire simple, raconte l'histoire de garçons perdus. Plus spécifiquement, durant la première guerre mondiale on suit la vie de trois enfants, Hervé, Michel et Bébert, dont les parents ne peuvent s'occuper (pères au front, mères au travail ou absentes) et qui sont hébergés par Jeanne et Albert, sortes de parents universels qui habitent dans une maison dans les bois, non loin d'un petit village. De ce point de départ extrêmement simple, Pialat tire matière à ce qu'il sait faire de mieux, un cinéma du réel qui à force d'épuiser ce dernier finit par en faire rejaillir les éclats, lumineux ou sombres. "Cinéma" même si on est à la télévision, puisque de toute évidence Pialat ne fait aucune différence entre les deux médias (ce en quoi il est foutrement en avance, même si des réalisateurs comme Rossellini s'étaient déjà prêté à l'exercice télévisuel avant lui). On sent d'une part que l'idée de pouvoir raconter une histoire en six heures et quelques lui permet de laisser vivre et respirer son sujet et ses personnages mieux que ne le fait le cinéma. Le spectateur a le temps de découvrir l'univers du récit et de s'habituer au style de Pialat, pour finir par faire corps avec les personnages, par développer une sensibilité à leurs histoires rarement (jamais?) ressentie devant un programme de télévision1. D'autre part on a le sentiment que pour son œil de peintre la taille de l'écran importe peu. Pialat n'est pas un esthète de chaque instant, mais de l'irruption de plans composés comme des tableaux (dont le plus saisissant demeure celui d'environ trois minutes montrant un soldat qui monte la garde auprès d'un avion écrasé dans une plaine), de mariages de couleurs et de lumières saisissants, ou de thèmes hantés (voir l'épisode presque entièrement consacré à une partie de campagne sur lequel planent les ombres, et surtout les lumières, de Renoir père et fils).


Mais Pialat n'est pas que l'ancien peintre, il est aussi et surtout le cinéaste. Travail avec les acteurs et choix de réalisation sont déjà parfaitement au diapason,et tout le dispositif de mise en scène est orienté vers la recherche d'une émotion entière, intacte, pure. C'est ainsi par exemple que sa science de la durée du plan se révèle déjà phénoménale. Il ne s'agit pas de chercher la maestria visuelle consistant à faire passer la caméra partout sans couper juste pour se faire reluire, non: il s'agit de laisser vivre le sujet, de laisser les choses s'installer et de faire jaillir l'émotion réelle d'un dispositif cinématographique par essence artificiel. Il y a par exemple cette chose très troublante quand on voit comment Pialat parvient à faire évoluer en un seul plan des acteurs amateurs d'abord maladroits qui, à force d'être immergés dans le plan et dans le déroulement dramatique de ce que s'y produit, finissent par être d'une justesse désarmante. Un exemple vaudra un discours.



Dans un autre ordre d'idée, Pialat s'attache à filmer les enfants, exercice casse-gueule par excellence. Ici c'est bien simple, on se demande parfois si ces enfants sont conscients qu'il y a une caméra. Quand ils parlent entre eux on ne peut pas imaginer qu'ils disent un texte établi par avance, les choses semblent jaillir d'elles-mêmes. D'une manière générale on n'a jamais l'impression que Pialat filme un scénario, mais bien davantage qu'il s'emploie à faire exister les entre-temps des événements qui constitueraient le récit d'un film traditionnel. En s'intéressant à l'absence d'événements, Pialat représente avec une acuité bien supérieure ce qui fait l'essence même de son récit. A la manière d'un Bresson qui s'emploie à faire exister ce qui est tu, Pialat semble chercher à filmer ce qui n'est pas écrit, ce qui se passe après le cinéma, quand les acteurs ne jouent plus la scène, qu'ils ont fait le travail qui leur était imposé et qu'ils se retrouvent seuls avec leurs personnages. Ils n'ont alors plus rien de précis à faire, sinon exister dans cet état parallèle, être acteurs pour de bon, ne plus réciter quoi que ce soit, simplement être quelqu'un d'autre dans l'expression la plus pure, la plus nue de ce que peut être l'incarnation de cet autre.



On pourrait passer des heures à s'extasier de la puissance du discret travail formel de Pialat, mais le fond mérite aussi qu'on s'y arrête. Si l'on cherche à caractériser ce récit, à lui donner une appartenance, on pensera dans un premier temps être face à une chronique naturaliste où petites histoires et grande Histoire se côtoient. Pialat s'emploie à faire exister sa période historique aussi bien par l’évidence de la guerre (qui n'est cela dit jamais représentée que du point de vue de l'arrière, et jamais de celui du front) que par l'angle plus subtil de l'éducation que reçoivent les jeunes personnages à l'école, qui n'est qu'un endoctrinement visant à faire d'eux "de bons soldats", autrement dit de la chair à canon quand tous leurs aînés y seront passés (le fait que Pialat s'attribue alors le rôle de l'instituteur sévère mais juste ne manque pas d'ironie). Mais de ce récit réaliste Pialat tire progressivement la substance, et c'est bien d'un récit d'amour et d'abandon qu'il s'agit, de l'histoire de petits et de grands garçons perdus dans un contexte qui les dépasse et qui tiennent le coup tant bien que mal. Pour les enfants, et surtout pour Hervé (que n'importe quel spectateur a envie d'adopter au bout d'un épisode), la défense face à la violence de la vie consiste à l'aimer encore plus, à s'attacher aux gens, à se construire sa propre famille. Les garçons petits et grands de la Maison des bois jouent à la guerre, plus ou moins pour de faux, se blessent, font les bravaches, mais le fond de la chose demeure: tout ça parle de gens qui ont besoin d'aimer et d'être aimés. La vie est chaotique et cahoteuse mais cette soif demeure et elle est ce qui dirige leurs existences.




C'est ainsi qu'en partant d'une chronique réaliste, la Maison des bois finit par prendre une autre dimension et quand un personnage se voit offrir un roman de Charles Dickens (comme par hasard), alors la vérité éclate soudain à nos yeux: derrière ses atours réalistes, le film de Pialat est en vérité un mélodrame d'une grande pureté, détaché de toutes les scories qui transforment trop souvent ce genre noble (si si, ceux qui pensent que mélodrame = dégoulinements n'y connaissent rien) en mélasse dégoûtante. On est dans l'émotion nue, intacte, préservée de tout enrobage artificiel, de toute duperie. Les sept épisodes de la Maison des bois constituent un film profondément et dignement sentimental où la vie est rythmée par la mort et où les enfants sont doux et cruels.


De ce tournage Pialat déclarait qu'il l'avait « forcé à regarder les autres.» Quelle que soit la dureté des événements racontés, quelle que soit la tristesse qui habite ces personnages abandonnés et la colère et le désespoir qui flottent toujours dans les alentours, on sent en œuvre cette naissance à l'empathie qui rend ce film terriblement touchant. Même si la télévision française semble progressivement se mettre à la création de séries de qualité, on peut affirmer sans mal que pour l'instant, en terme d'émotions véritables sur petit écran, la Maison des bois reste la plus belle chose qui soit.


 N.B.: nous ne nous sommes pas arrêté ici sur les acteurs; inutile de préciser qu'ils sont tous parfaits et que la rencontre plus qu'improbable entre l'éternel élégant Fernand Gravey et Pierre Doris (qui se trouve du coup l'auteur du plus grand écart cinématographique du monde puisqu'il aura aussi bien joué chez Pialat que chez Jean-Louis Van Belle dans l'inénarrable et épuisant Bastos, ou ma sœur préfère le colt 45), au-delà de la preuve qu'elle apporte de l'absence totale de snobisme chez Pialat, montre également qu'il savait transformer n'importe quel acteur comique cantonné aux secondes zones en comédien le plus émouvant du monde (à ce sujet voir aussi Hubert Deschamps dans la Gueule ouverte).


1Car oui, pour paraphraser les propos de Jean-Patrick Manchette sur l'Aventure de Madame Muir, ce que je sais de plus important sur la Maison des Bois, c'est qu'à la fin toujours je vais pleurer.

vendredi 27 septembre 2013

Général Alcazar / Arlt - Outsiders

Demandez un peu à l'homme de la rue ce qu'il pense des reprises: s'il ne vous colle pas son poing en travers de la gueule, il vous vomira sur les chaussures (dans respectivement 54 et 42% des cas selon les dernières estimations du CERN1). Et pourtant, si une bonne majorité des réinterprétations s'avère effectivement insupportable, il faut bien admettre que parfois on assiste à un étrange phénomène qui a tendance à inverser l'ordre des choses et alors c'est beau. La preuve par un.




Dans un premier temps, un morceau du Général Alcazar, contrebandier de la chanson française et proche du Grand Pirate en chef Pascal Comelade. Dans son album de 2007 "Les Singulières", le Général nous raconte une histoire d'immigration clandestine à hauteur d'individu, sans factualisation excessive ni pathos, et trace un parallèle entre ce fait d'actualité traité à tort et à travers sur tous les toits et une forme d'aventure qui renvoie aux voyages incertains des pionniers. Musicalement, c'est une sorte d'orchestre de poche qui accompagne le récit de manière chaloupée et dégingandée, et c'est fichtrement réussi. On est bien loin de la chanson à thèse, de la chanson à message, on est dans une forme de récit humain poétisé juste ce qu'il faut. C'est bien.




Mais voilà qu'arrivent les deux membres d'Arlt qui décident, épaulés par quelques alcoolytes (car oui, des canettes de bière vides en guise de percussions, il doit y avoir du liquide à feu intérieur derrière tout ça), de reprendre ledit "Outsiders" pour une session absolue du chouette webzine L'Oreille absolue2. Et on est tentés de parler de magie.

On commence par le fond ou par la forme? Les deux sont imbriqués mais commençons par la seconde. Plus d'orchestre de poche, mais une guitare, puis une basse, puis des percussions improvisées donc, une deuxième guitare qui s'invite parfois et sonne comme un piano de bar en arrière-plan, et puis des chœurs qui semblent naître inopinément de la floraison de la chanson qui se crée à nos oreilles comme par miracle. Le côté extrêmement dépouillé du squelette est à peine habillé par la voix presque soufflée d'abord, puis progressivement plus assurée de Sing Sing et celle, évanescente comme pas possible, fantomatique comme perdue dans la brume, d'Eloïse Decazes, dont on croit ne recevoir que quelques échos comme si le reste se perdait dans le vent. La musique s'incarne progressivement, se voit pousser une rythmique qui lui donne du poids et dégage progressivement un paysage imaginaire où l'on croit voir un groupe de naufrageurs ayant perdu la raison au contact sans destination de l'océan répéter sans cesse un même couplet, qui à force finit par ressembler à un mantra halluciné.


Et c'est là qu'intervient le fond et qu'on touche à quelque chose de l'ordre de la beauté: plutôt que de garder intact le texte du Général Alcazar, Arlt décide (si décision il y a eu) de n'en garder qu'une infime partie et de le dégager de tout ce qui peut le rapprocher d'un ancrage précis, dans l'actualité comme dans l'inconscient collectif. Il n'est plus question ici d'immigration clandestine mais de personnages qui partent on ne sait où, et qui restent en mouvement. Il n'y a plus d'objectif au voyage, seule l'errance compte et nourrit les voix. C'est peut-être l'entrave à la portée poétique du texte d'origine: il y a des points d'ancrage. Ici on est dans une sorte de flottaison au gré des courants, où rien n'est au bout de rien. La chanson en elle-même semble naître ainsi : elle est lancée comme au hasard puis progressivement se donne naissance à elle-même, se révèle à ceux qui la créent et se donne sa propre nature, un peu comme si ça n'était pas les parents qui faisaient des enfants, mais les enfants qui font des parents. Le périple pourrait aussi bien être métaphorique, métaphysique, ou dieu sait quoi encore. On quitte pour de bon la terre ferme. On songe à Aguirre perdu et fou sur son radeau de massacrés qu'envahissent progressivement les cris de singes, à la démence d'un voyage qui engloutit le voyageur mais qui, peut-être, le fait entrer dans une sorte de nouvel ordre sensible.


La répétition finale de « Nous étions tous vivants » donne l'impression que ceux qui chantent à cet instant sont des fantômes qui ont fait le Voyage et ont décidé d'errer dans un entre deux mal dessiné où l'impalpable et l'indéfini sont maîtres. Tout semble suspendu comme par miracle à un fil malingre mais ça tient ferme et, comme tout ce que fait Arlt, c'est infiniment précieux.


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1 Les 4% restants sont bien évidemment les sourds, qui se contentent de dédaigneusement hausser les épaules avant de reprendre leur route.
2 On retrouve d'ailleurs ce morceau sur cette compilation, déjà téléchargée 3500 fois et élue présidente du Yémen.

mardi 13 août 2013

Jean-Luc le Ténia - « Seul de nouveau »

L'envie de parler ici de Jean-Luc le Ténia, de dire la valeur de son œuvre, sa force, sa densité à nos yeux, cette envie-là est présente depuis le jour de la création de ce blog. Elle l'était même avant, au moment où le projet se mettait en place.
Cette envie s'est transformée en nécessité le 3 mai 2011, date à laquelle Jean-Luc le Ténia s'est suicidé. Au-delà de la tristesse des faits, au-delà de l'abattement provoqué par l'idée qu'un homme qui semblait avoir fabriqué ses propres armes pour mener le combat ordinaire avec un panache bancal (et parfois sublime) puisse finalement décider de baisser les bras, il y a ce sentiment qu'il est nécessaire de parler de Jean-Luc le Ténia pour combler cette période de latence que nous traversons.
A l'issue de cette période de latence, nous en sommes convaincu, viendra le jour où l'on commencera à prendre cette œuvre au sérieux, où l'influence de Jean-Luc le Ténia se fera concrète et évidente, où la justesse et la précision de son style seront estimés à leur entière valeur.
Écrire à propos de Jean-Luc le Ténia est donc une nécessité. Mais comment faire pour présenter une œuvre si pléthorique (35 albums, la plupart d'entre eux étant composés de trente à quarante morceaux faisant rarement plus de deux minutes, mais dépassant parfois le quart d'heure) et atypique (des morceaux faits maison enregistrés à la zeub dont la légende dit qu'ils ne devaient pas représenter plus d'une heure de travail pour leur auteur, sans quoi il les foutait à la poubelle automatiquement), comment faire pour l'embrasser dans son ensemble? C'est impossible. Prenons alors le petit bout de la lorgnette et intéressons-nous à une seule chanson de Jean-Luc le Ténia, « Seul de nouveau », extrait de l'album le Meilleur chanteur français du monde.



Pourquoi celle-là plutôt qu'une autre (et Dieu sait que parmi le bordel foisonnant de morceaux plus ou moins hasardeux et improbables il y a un sacré paquet de pépites, sombres comme légères), simplement parce qu'ici et maintenant c'est celle qui nous occupe et qui nous semble être la plus révélatrice du style de Jean-Luc le Ténia. C'est du travail d'avoir un style pour un chanteur, pour beaucoup une vie n'y suffit pas. Jean-Luc le Ténia n'était pas chanteur professionnel mais c'était un styliste unique en son genre. Qu'y a-t-il dans « Seul de nouveau »? Quelques accords de guitare répétés, une variation de rythme progressive, et quatre phrases. Et pourtant, une vérité profonde du ressenti humain est exprimée par cette voix dénuée de faux affect ou de recherche d'effets. Est-il manière de mieux dire le désarroi et le doute aussi simplement, avec un tel sentiment de vérité, d'immédiateté? Ici et maintenant, ça nous semble difficile. Et c'était ça le travail de Jean-Luc le Ténia : saisir l'ici et maintenant à la microseconde près, à l'instant où le jugement réflexif, l'égo, la peur du ridicule ne sont pas venus trahir le ressenti à vif, et parvenir à le faire exister entièrement.


Jean-Luc le Ténia travaillait à la médiathèque du Mans, quand il rentrait chez lui il écrivait et enregistrait des chansons, ça n'était sans doute pas l'homme le plus resplendissant du monde, ça n'était sans doute pas la plus grande crapule sur terre, c'était un parmi d'autres, mais lui avait le chic pour transformer son art en blocs de vérité.
Et Jean-Luc le Ténia n'est pas mort, il n'est peut-être même pas encore vraiment né.

mardi 30 juillet 2013

Louis Calaferte - C'est la guerre



C'est la guerre est le dernier roman de Louis Calaferte ayant paru avant sa mort en 1994.

            « Il est cinq heures d’un après-midi de septembre tiède et gris.
            Le tocsin sonne.
            On arrête de jouer.

            Robe noire fermée jusqu’au cou, les bras levés, des mains blanches osseuses, le regard fixe, la vieille femme crie sur la place du village que c’est la mobilisation générale.
            Il n’y a pas un souffle d’air dans les feuilles du gros arbre.
            Des oiseaux chantent.

            Au garde-à-vous dans sa salopette de travail, les mains dans les poches, un homme pleure.
            Il est en sabots.
            Il y a du bruit et du silence, mais le silence absorbe le bruit. C’est comme aux enterrements.
            Un long chat noir est étiré sur le rebord d’une fenêtre.
            Deux femmes âgées s’étreignent, chacune la tête dans le cou de l’autre. Le chignon de la plus petite s’est défait, ses cheveux grisonnants tombent en longues mèches ondulantes de chaque côté de ses épaules. On dirait des anguilles vivantes. J’ai envie de faire pipi. »

            (…)

« Quelqu’un a sorti une table et des chaises dans la rue devant la maison. Une femme a apporté deux bouteilles de vin rouge et des verres. Des hommes sont assis. Des hommes sont debout. Des femmes sont derrière les hommes. Le chien blanc dort en rond sur le pavé. Un enfant joue au yoyo. Un enfant a un cerceau. Un enfant a une trottinette. Un enfant a un petit chapeau de paille jaune. Un enfant a la bouche barbouillée de chocolat. Ils parlent. Ils tapent sur la table. Ils reniflent. Ils se grattent dans les poils. Ils se grattent la tête. Ils se renversent sur leurs chaises. Ils mettent leurs pouces dans leurs bretelles. Ils font semblant, mais ils ne sont pas bien. Ils griffent de l’ongle le bois de la table. Ils parlent. Ils se comprennent. Et pourtant, c’est quoi 14, c’est quoi l’Armistice, c’est quoi Daladier, c’est quoi les Boches, c’est quoi Hitler, c’est quoi la politique, c’est quoi le Taureau du Vaucluse, c’est quoi Chamberlain, c’est quoi le pape, c’est quoi la guerre ?

            - C’est quoi la guerre ?
            - Occupe-toi de ta soupe. Mange. »

« C'est la guerre », c'est le constat que fait l'enfant Calaferte ( mais est-ce vraiment autobiographique? On a autant de raisons de le penser que d'en douter), qui observe sans bien comprendre et se cogne à l'incommunicabilité adulte qui le laisse seul avec son incompréhension et plonge chaque chose vue dans une sorte de flou donnant un côté mystérieux à des événements que nous connaissons. La violence hante déjà tout, mais le narrateur n'a tout d'abord ni les armes ni le vécu pour pouvoir poser des mots précis sur ce dont il est témoin. L'approche est d'une grande puissance puisque, derrière cette sorte de naïveté, l'art de retranscrire la vérité nue avec des mots simples en révèle bien davantage sur les sentiments profonds qui sous-tendent le quotidien de cette époque. Pas de jugement, pas de considérations émotives ou morales, mais une retranscription brute (et non dénuée d'un humour d'une violente noirceur) de la réalité.

            « - Le charcutier s’est pendu dit la petite femme maigre.
            - Vous l’avez vu ?
            - Je n’ai pas voulu le voir. Les pendus c’est pas beau à voir.
            - Mon mari l’a vu. Il s’est pendu à un crochet. À côté du cochon.
            - Il avait le menton tout bleu.
            - C’est la faute à la guerre dit la petite femme maigre.
            - Il l’avait dit. Si c’est la guerre je me pends.
            - Bon Dieu il l’a fait dit le gros homme de la maison.
            - Voilà ce que c’est que la guerre dit la petite femme maigre.
            - Il devait rejoindre.
            - Cette guerre on ne sait pas ce que ça va devenir.
            - Les Boches ils en voulaient trop. Après l’Autriche, Dantzig. Et pourquoi pas nous ?
            - Y en a qui disent que ça va pas durer. Quand il va voir que tout le monde est contre lui Hitler il prendra peur.
            - Faudra quand même lui donner une leçon.
            - Faudrait quand même pas que le charcutier se soit pendu pour rien. »

            (…)

« Une fois au lit avant de s’endormir on pense à ce qu’on a vu dans la journée à ce qu’on a fait à ce qu’on a entendu à la tête des gens à l’homme qui a un œil en l’air et qui fait peur aux copains à moi aussi il me fait peut mais son œil en l’air ça m’attire il parlait avec le garagiste il disait que dans son malheur il avait bien de la chance qu’avec son œil en l’air on ne le voulait pas dans l’armée ça tombait pile parce que lui et la guerre ça faisait deux c’est de la pure merde cette guerre est-ce qu’on sait seulement pourquoi on la fait pour les marchands de canon et les marchands de canon ils s’engraissent tant et plus avec leurs gonzesses qui leur sucent leur pognon et elles ne sucent pas que ça pendant que nous le bétail on va au casse-pipe merde à la fin il faut quand même pas trop nous prendre pour des cons la guerre des industriels on n’en a rien à foutre Cachin l’a bien dit mais au lieu de l’écouter on écoute les salopards de la droite qui ont le patronat total qu’est-ce qu’ils ont trouvé de mieux à faire la guerre une de plus le peuple pour eux c’est rien que de la bidoche qu’ils aillent donc la faire eux-mêmes leur chierie de guerre moi j’ai pas honte de le dire heureusement que j’ai mon œil sinon je désertais aussi sec et j’en connais d’autres qui feront comme moi mais ceux-là on n’en parlera pas c’est comme les fusillés de 17 on a fait croire qu’il n’y en avait que un ou deux la vérité c’est qu’il a fallu en fusiller des milliers tout ça c’est de la merde les riches d’un côté les autres de l’autre c’est toujours pareil depuis le début du monde mais moi je ne marche pas dans leurs combines j’attends la revanche Cachin l’a bien dit j’ai un œil pour les emmerder alors je les emmerde une fois au lit avant de s’endormir on repense à tout ça fait un peu peur depuis que c’est la guerre les choses font un peu peur. »

Et puis le narrateur grandit, et du compte rendu naïf de l'enfant l'écriture progresse à mesure que les yeux de l'adolescent s'ouvrent sur la réalité du monde pendant la deuxième guerre mondiale et sur les rapports humains en général. Frappe alors le dégoût du conditionnement qui semble toucher l'immense majorité des personnes observées, avec cette question qui tourmente : est-ce du déterminisme social? Est-ce inscrit dans la nature humaine? Est-ce que la liberté existe, vraiment?

            « Chez le boulanger on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez l’épicier on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le quincaillier on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le cordonnier on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez la mercière on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le coiffeur on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le boucher on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le garagiste on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.


            On boit et on dit Nom de Dieu Vive Pétain. »

            (…)

            « On vend le portrait du Maréchal. Encadré ou pas. On met le portrait du Maréchal à la cuisine. Dans la chambre au-dessus du lit. Dans la salle à manger. Il y a le Maréchal dans la salle d’attente du médecin. Il y a le Maréchal à la poste. Il y a le Maréchal chez le boucher. Il y a le Maréchal chez le boulanger. Il y a le Maréchal dans les vitrines. Il y a le Maréchal chez plusieurs de mes copains. Maman Guite dit qu’elle ne met pas ça chez elle. On distribue des portraits. J’en ai un. Je le cache dans le bas du buffet. »

Dans le portrait de la France durant la deuxième guerre mondiale, cette impression aussi que ce pays a à peine eu besoin des nazis pour instaurer un état totalitaire, comme si finalement beaucoup n'attendaient que ça. On croise peu de soldats nazis dans le roman, mais beaucoup, beaucoup de miliciens, ce qui laisse à penser que la réalité était sans doute plus proche d'un pays laissant soudain libre cours à un fascisme rampant, bien plus que d'un pays subissant le joug totalitaire. La Résistance existe bien sûr, cachée, donc moins évidemment perceptible, mais cette violence et ce pouvoir absolu dont jouit la milice dans les scènes observées puis retranscrites par Calaferte laisse un goût de rouille dans la bouche.

            « Ils ont peint des étoiles jaunes.
            Ils ont écrit youpins.
            Ils ont cassé les vitrines.
            Ils ont jeté les mannequins sur les trottoirs.
            Ils ont peint des étoiles jaunes sur le trottoir devant les magasins.
            Ils ont essayé de mettre le feu.
            Des étoiles jaunes.
            Des vitrines crevées.
            Des trottoirs avec des étoiles jaunes.
            - C’est aux youpins, on les emporte.
            Ils emportent les mannequins.
            Ça me fait peur.

            Charles Trenet c’est le Fou chantant.
            Il chante Y a d’la joie.

            Les B.O.F.[1] s’enrichissent.

            La Gestapo arrête les Juifs.

            Il n’y a autour de moi que vol, mensonge, compromission, passion de l’argent, égoïsme, indifférence, corruption, hypocrisie, prostitution déguisée, violence, lâcheté, bassesse, obséquiosité intéressée.

            J’ai treize ans. Quatorze ans. Quinze ans.
            J’apprends l’homme.
            L’homme est une saloperie. »

            (…)

« La traction avant noire s’arrête devant la porte de la maison. Le chauffeur et trois autres. Avec le chapeau et le manteau de cuir. Des gueules aiguisées. Des gueules blanches. Pas de regard sous le chapeau. Des ombres dures et rapides. Un chapeau reste à la porte. Le revolver dans la poche. La main dessus. Pas grand. Pas lourd. Fermé. Ça crie dans l’escalier. Il n’entend pas. Il n’entend rien. Le chauffeur met le contact. Le chapeau ouvre la portière. Un vieil homme est poussé. Violenté. Il trébuche. On le tient par les cheveux. Derrière la tête. On lui tord un bras dans le dos. Il est en pyjama. Bleu à rayures. Nu pieds. Ils le poussent dans la traction avant noire. Ça se referme. Ça s’en va. De l’autre côté de la rue il y a la queue devant le boucher. C’est le jour du pâté sans tickets. »

            (…)

            « Droite française.
            Capitalisme français.
            Bourgeoisie française.
            Clergé français.
            Intellectuels français.
            Police française.        
            Milice française.
            Commerçants français.
            Français moyens.      
            Les usines tournent. L’argent rentre. L’ordre règne. Ça marche. »

Et puis il y a la force de Calaferte quand il s'agit de définir en une phrase simplissime ce que d'autres mettraient trois romans à établir comme quadrature du cercle. On retrouve la puissance de la crudité propre à Calaferte: le temps qu'il ne perd pas à appeler un chat un chien lui permet d'aller chercher plus loin la vérité des choses, même si cette vérité n'est pas rose, même si elle sent franchement la pisse.

            « Les filles ont des jupes serrées qui s’arrêtent au genou.

            Les filles ont des robes d’été que le vent soulève quand elles sont à bicyclette. On voit leur culotte. Bleue. Rose. Blanche. Noire. Je les suis avec mon vélo et ma carriole. Elles le savent.

            La secrétaire du dépôt a une jupe serrée. Quand elle se baisse on voit sa culotte. Elle se peint les jambes pour que ça fasse des bas. Les bas de soie sont chers au marché noir. Toutes les filles se peignent les jambes. Elles tracent une ligne brune le long du mollet et de la cuisse pour faire la couture du bas. La secrétaire du dépôt s’assied dans le bureau et écartent légèrement les cuisses.

            Les hommes sont prisonniers. »

            (…)

« Une nouvelle secrétaire me dit on prend le pognon du coffre-fort et on fout le camp tous les deux. Tu ne le regretteras pas j’ai un truc spécial dans la chatte. Le patron c’est un vieux dégueulasse. Ça lui fera les pieds. On a bien le droit de vivre nous aussi. Il s’envoie en l’air tous les jours. Pourquoi pas nous. Avec tout le fric qu’il y a là-dedans on peut se faire la belle vie. S’il veut nous emmerder on le dénonce pour marché noir au  Contrôle Économique. Dans les classeurs il y a de tout. Elle a fouillé. Des bons de commande. Des fausses factures. Avec ça on est couverts. On va à Collioures. Elle y est allée quand elle était petite. Si je veux elle m’en taille une tout de suite pour que je voie ce qu’elle sait faire dans un plumard. Je referme le coffre-fort. Elle me crache à la figure. »

La sexualité, omniprésente dans l'œuvre de Calaferte, apparaît ici à la fois dans ce qu'elle peut être de plus élémentaire et essentiel (« Au commencement était le Sexe. », dit la première phrase du grand Septentrion) que dans l'influence viciée qu'elle peut avoir sur les rapports de force qui vampirisent les relations humaines dans une époque où plus que jamais les réflexes de survie font parfois appel à ce qu'il y a de plus bas chez chacun.

Quand on ouvre C'est la guerre on se dit que le titre est naïf, que c'est un simple constat. Quand on le referme on comprend qu'avec ce titre Calafert déclare la guerre à l'Histoire officielle, aux compromissions de tous genres, et peut-être bien à la médiocrité humaine dans son ensemble.

            « - Nom de Dieu, si j’avais eu le temps, je leur aurais fait voir ma carte de visite à ces saligauds de Boches ! Plusieurs fois j’ai failli entrer dans la Résistance. Demandez à ma femme.
            La femme dit oui.
            - Mon beau-frère lui aussi, le commis, vous le connaissez ? Lui, il était résistance, résistance !
            La femme dit oui.
            - Ce qu’il aurait fallu, c’est avoir du temps et connaître des gens.
            La femme dit oui. »

Précisons pour finir qu'à l'égal d'une grande partie de l’œuvre de Calaferte, C'est la guerre est joyeusement ignoré au point de devenir introuvable en librairie. C'est peut-être le prix à payer pour un écrivain qui a vécu en franc-tireur, mais il y a là un(e) mépris(e) éditorial(e) assez désagréable.


[1]     B.O.F. pour Beurre Œufs Fromage, épicier.