mardi 27 mars 2012

João Portofino, cinéaste total

Il y a encore cinq ans, les films de João Portofino n’étaient qu’un chapitre de la vaste anthologie des légendes cinématographiques. Films perdus, détruits, disparus, films fantômes dont certains avaient entendu parler comme d’autres croient se souvenir avoir entraperçu une nuit les rivages de l’Atlantide. Et puis l’hautement improbable s’est produit : des cartons de bobines retrouvées dans un vide-grenier à Blacksteel, Iowa, une restauration minutieuse dans les laboratoires de la cinémathèque de La Paz et un pari fou, fidèle à l’esprit du défunt réalisateur : projeter ces films de manière imprévisible, forcer la main du hasard. Dans un entrepôt désaffecté de Flint, dans une clairière à quelques encablures de Malmö, dans un champ de ruines du côté de Geropotamos ou sur la paroi glacée d’un sommet de l’Oni-Sura, la filmographie de João Portofino a repris vie. Ceux qui ont assisté à ces projections improvisées parlent d’une seconde naissance sans pouvoir trouver d’autres mots pour évoquer cette expérience. Trouver les mots, c’est bien là le problème… Heureusement, il nous reste ceux des autres.

De la vie d’homme de João Portofino avant qu’il ne se lance dans la réalisation, on ne sait rien. Il se fait un nom en réalisant à la fin des années 60 quelques films produits sous l’impulsion d’Américo Tomás, dernier président de la dictature salazarienne. Leur but est de maintenir l’illusion d’un Estado Novo fort, en pleine possession de ses moyens et au service d’un Portugal où le bonheur n’est pas un vague concept. De Cache-cache lisboète, les Sirènes du Tage ou encore Retournons à Coimbra, mon amour on ne sait plus grand-chose aujourd’hui, et c’est au fond sans importance : si, à l’issue de ces tournages, Portofino a le sentiment de parfaitement maîtriser la technique cinématographique classique, il est en revanche torturé par la culpabilité. Il est convaincu d’aller à l’encontre de son cinéma, celui qu’il porte au plus profond de lui.

Conscient que l’heure n’est pas à la tiédeur, João Portofino prend alors une décision radicale : à l’issue de l’avant-première officielle de son dernier film propagandiste, Deux cœurs à l’assaut du Ponta do Pico, il se crève les yeux face à une assemblée essentiellement composée de bureaucrates et de gradés. Le scandale qui en découle et les années d’emprisonnement qu’il écope pour son acte de rébellion lui importent peu, il a le sentiment d’être  enfin en accord avec lui-même, et considère que son cinéma est à venir : « Dorénavant je filmerai avec la sensation, pas avec le regard. Ma caméra captera l’impalpable, ce qui vibre dans l’air.[1] »

Ses démêlés avec la censure le forcent à attendre la chute de l’Estado Novo pour pouvoir mettre enfin en action sa conception du cinéma. Vient alors le premier film qu’il réalise sans avoir l’impression de mentir, Une âme verrouillée de l’extérieur (1975). Si le fond de cette œuvre, marquée par les thèmes de l’aliénation et de l’incommunicabilité, suscite l’admiration, c’est surtout la méthode de travail de Portofino qui attire l’attention de la cinéphilie mondiale : « Equipe technique  réduite, caméra au poing, la réalisation de Portofino est radicale : après avoir discuté avec les acteurs, il vérifie avec son chef-opérateur que la pellicule est bien engagée dans la caméra, puis lance « Marco ? » « Polo » répond son acteur principal. João oriente alors l’objectif dans sa direction et glapit « Ação ! » L’air est remplir d’une tension palpable, les acteurs scandent leur texte, comme en transe, et Portofino évolue autour d’eux, suivant leur voix, se cognant parfois contre un technicien, trébuchant ailleurs sur un élément de décor. Qu’importe : « Mon cinéma, affirme-t-il, c’est 24 accidents par seconde. »[2]

Derrière cette conception absolument novatrice de la manière de réaliser un film se cache une réflexion enrichie par des heures de méditation et par des engagements politiques forts. C’est une approche marxiste de la création cinématographique qui oriente les choix de João Portofino : « En relisant le Manifeste du parti communiste et en reportant ses concepts sur le domaine artistique dans lequel j’évolue, j’ai compris que la technique cinématographique était un outil de production comme un autre, et par là même un mythe dont le but est d’empêcher le prolétariat de se saisir d’un moyen d’expression si puissant. En vérité, lorsqu’il s’agit de réaliser un film, la technique s’apprend en quinze minutes. En revanche, c’est le combat d’une vie que celui d’aller contre la caméra et ses facilités. Comme tout artiste total, je me bats contre mon art et contre ses outils. Mon but ultime serait de réaliser un film à l'aide un pot de yaourt vide.»[3]

Si une Âme verrouillée de l’extérieur est salué tout autour du monde comme un film essentiel qui donne une nouvelle orientation à l’art cinématographique (et ce malgré le refus catégorique qu’oppose son auteur à toute proposition de sélection dans un festival), João Portofino n’est pas satisfait du mouvement qu’il imprime à son art. Il a le sentiment de ne pas encore avoir façonné le langage cinématographique qu’il veut utiliser, et conséquemment de ne pas avoir véritablement exprimé les idées qui le hantent. Après ce qu’il considère donc comme un coup d’essai, il se lance dans sa « trilogie des retrouvailles »[4].

« J’ai commencé en partant à la poursuite d’une idée : le rapport de l’Homme à l’Homme n’est que l’éternelle retrouvaille de soi avec soi. J’ai travaillé, travaillé, enregistré des heures de réflexions préparatoires, mais j’avais toujours le sentiment que quelque chose m’échappait. Et puis je me suis aperçu que plutôt que de courir derrière mon cinéma, il valait mieux me projeter au devant de lui, être la 25ème image, l’imprévisible. Alors je suis entré en observateur dans un asile psychiatrique de la région de Bobrouïsk, et j’ai tenté de capter les interactions entre les fous. Deux ans plus tard, j’avais trois films de cinq heures chacun. Mis bout à bout, ils racontent selon moi la véritable histoire de l’humanité : incommunicabilité, appréhension, et activités en plein air. Tout est là-dedans, de l’enlèvement des Sabines à la révolution des œillets en passant par la Lorraine avec mes sabots. »[5]

Après avoir accompli ce que bon nombre de spécialistes considèrent comme son grand œuvre, João Portofino décide de prendre du recul : « Je m’étais tout prouvé, j’avais étayé toutes les thèses que j’avançais. J’avais le sentiment d’être arrivé au bout de ma démarche artistique, de mon parcours politique et de ma vie d’homme. Et pourtant, je ne me sentais pas prêt à mourir. » explique-t-il en 1992 au sortir d’une longue période d’inactivité. « J’ai jugé nécessaire de prendre des distances afin de redéfinir mes objectifs et de renaître de mes cendres. J’ai commencé par détruire tous mes films, comme pour opérer un nouveau départ absolu. Et puis je me suis retiré du monde et j’ai vécu en ermite jusqu’à ce que je sente bouillonner en moi une sorte de nouvelle virginité. »[6]

C’est à la suite de cette  expérience qu’il réalise en 1994 ce qui sera son ultime film, l’Aliénation, petit papillon. Le montage confié à la fidèle Roberta Setúbal dure trois ans. Il n’aboutit donc qu’après la mort de João Portofino lors d’un accident de montgolfière durant l’été 1995. « Cette dernière expérience le mène aux portes de l’anti-cinéma en faisant le non-récit  d’une expérience avortée de la vie retranscrit par le prisme de points de vue constamment changeants. », comme l’explique Calvin Benouram dans la notice de présentation du film. Concrètement, il s’agit de la représentation d’un seul et même événement (un ouvrier remet en route une tourneuse fraiseuse qu’il vient de réparer) filmé sous 365 angles différents, à raison d’une minute par plan. « L’idée, du moins nous  le supposons puisque João était un homme secret quant à ses intentions, est de mettre en avant l’absurde du mode de vie occidental, aliénant, consumériste et meurtrier pour les classes sociales inférieures. »

Ce film testament suscite à sa sortie des réactions d’un enthousiasme rare ; le critique Kenshi Matsumoto ira même jusqu’à parler d’une œuvre « qui rend toute nouvelle tentative de cinéma superflue. » Pourtant, suivant les dernières volontés de Portofino, l’unique copie de l’Aliénation, petit papillon sera détruite dans un grand feu d’artifice donné au-dessus de la zone portuaire de Portimão pour célébrer la fête du travail en 1998. C'est du moins ce que chacun croyait jusqu'à la découverte mentionnée plus haut.


Le touriste avisé ira se promener dans la friche industrielle située à 30 km au nord de Braga. Il trouvera devant l’ancienne permanence syndicale une statue érigée à la mémoire de João Portofino par l’amicale des chaudronniers du Cávado. Composée de chutes de métaux, elle représente le cinéaste dans la posture pensive qu'il adopte sur l’unique photographie qui reste de lui, lui qui avait pour coutume de brûler toutes ses archives personnelles annuellement. Sur le socle de la statue est gravé le haïku avec lequel Eugène Pelouse conclut son « Il n’y a pas de caméra » - le cinéma aveugle de João Portofino[7] :

                                   «Viens, provoque la nuit
                                   Coração, ô beija-flor
                                   Le vide se remplit. »

Nous avons fait ce pèlerinage. C’était en compagnie d’Arturo, chef d’équipe à la retraite. Arrivés devant la statue, il nous a fait remarquer sa grande propreté, tandis que toutes les installations alentour sont maculées de guano. Il s’est tu, la gorge serrée, puis du pouce il a effacé une larme qui roulait sur sa joue et a conclu « C’est ainsi, senhor : les êtres ailés ne se conchient jamais. »


[1] « Les élans impriment la pellicule », entretien avec João Portofino par Claudius Pontillon, in. la Notice cinématographique n° 572, octobre 1971
[2] Un tournage homérique, reportage de Christine Papier pour Le cinéma à venir n° 865, août 1975
[3] Extrait d’un entretien avec Sergueï Kouliakov pour Actions ! n° 75, hiver 1978
[4] Composée, pour mémoire, de Que faisais-tu, Ivan Ivanovitch ?, d’Où étais-tu, Mirko Cukoc ? et de Que mangeais-tu, Gyorgos Andratheanou ?
[5] João Portofino : fou du roi ou roi des fous ?, article de Giancarlo Finocchio paru dans uno Sogno che si muove, no ? n° 15, juin 1984
[6] Extrait d’un entretien avec Sandford O’Reilly pour the New cinematographer n° 1, mars 1995
[7] Cette thèse est l’œuvre incontournable pour qui s’intéresse à Portofino ; biographie analytique et critique écrite uniquement sous forme de haïkus, elle offre une approche aussi bien informative que sensitive de sa filmographie.

mercredi 14 mars 2012

Growing Light

"Qu'un éclat naisse de la rencontre de deux silex, ou des étincelles de l'introduction d'une flammèche dans une poudrière: nous nommerons "lumière" toute manière de contradiction des ténèbres.
Qu'une lueur apparaisse dans la plus profonde nuit de l'âme, qu'une étoile inespérée indique l'est à la caravane perdue: nous nommerons "lumière" toute contradiction de l'abattement.
Qu'une réponse soit apportée: nous trouverons la lumière dans tout ce qui éclaire, tout ce qui réchauffe."

Extrait du Traité des choses vues d'Abu Nasr Ibn Zakariya


Growing Light se télécharge ici, et dedans on trouve:

01 Perdu dans l'obscurité, notre héros cherche une lumière
02 Del - Answering machine song
03 ATK - Sortie de l'ombre
04 Sly & the Family Stone - Everybody is a star
05 Spring - Black & blue
06 Django Reinhardt & le Quintette du Hot Club de France- My serenade
07 The Velvet Underground - Beginning to see the light
08 Maher Shalal Hash Baz - Post office
09 Bastien Lallemant - L'après-midi
10 Ibon Errazkin - Pasatiempo poético
11 Mathieu Boogaerts - Un petit peu de crème
12 Chris Montez - Call me
13 Summer Camp - Autour de la lune
14 Georges Brassens - Puisque vous partez en voyage
15 Single - Vete
16 Mayo Thompson - Dear Betty baby
17 Louis Armstrong & his Orchestra - Exactly like you
18 Gilberto Gil - Aqui e agora

Comme qui dirait que ça sent le printemps, et que nous vous le souhaitons bien bon.

vendredi 9 mars 2012

Black Mirror

Nous allons rabâcher parce qu'on ne le répètera jamais assez: les journalistes c’est rien qu’un sac de cons. Pour plein de raisons, et parmi elles nous en relèveront une qui a à voir avec ce dont nous allons parler ici : quand il s’agit de séries télévisées, 85% des spécialistes ont les yeux tournés vers les États-Unis où ils espèrent toujours trouver LE nouveau phénomène (qui n’est en général qu’une vague resucée de quelque chose de plus ancien). Pendant ce temps-là ils ne s’intéressent pas à ce qui se produit ailleurs (pas plus que les dirigeants des chaînes de télévision françaises d’ailleurs), et surtout pas à ce qui se produit en Angleterre. Et c’est fâcheux, car s’il y a un pays qui sait faire autre chose de la télévision qu’un écran publicitaire de luxe, c’est bien l’Angleterre. C’est simple : entre la liberté de ton, la liberté artistique et l’ouverture à des univers différents qui y règnent, on a parfois l’impression que ceux qui dirigent la fiction télévisuelle anglaise sont des anarchistes shootés au LSD 24h/24[1]. Et mieux encore : la télévision anglaise n’a pas peur d’accueillir en son sein des ennemis de la télévision. Ça relance bien sûr l’éternel débat sur la validité de la démarche consistant à se servir d’un outil pour en démontrer les dangers, mais parfois le résultat et la force de son éclat balayent toutes les objections. C’est ce à quoi est parvenu le très saint Chris Morris (dont la photographie a remplacé les crucifix de par chez nous), et même s’il n'atteint pas ce niveau, nous sommes tentés de dire que Charlie Brooker fait partie de la même famille.

Personnalité assez connue en Angleterre pour ses interventions multiples dans la presse écrite comme à la télévision, Charlie Brooker avait mis son monde d’accord il y a quelques années en écrivant une mini série intitulée Dead Set. Il y a racontait une prolifération zombie mettant en danger la race humaine et la civilisation dans son ensemble, mais en confrontant cette menace à des candidats de la télé-réalité Big Brother protégés de ce péril dans leur maison coupée du monde. S’il cédait à la nécessité de créer du divertissement et de faire aboutir les pistes narratives lancées, Brooker réussissait tout de même à balancer quelques jolis coups de savates dans les dents de notre époque. Il y parvenait notamment grâce à une utilisation finaude de la figure du zombie, montrant comment la fascination pour un spectacle télévisuel complètement factice et vain rendait n’importe quel téléspectateur aussi dénué de cerveau et inhumain qu’un mort-vivant (manière polie de dire qu'en matière de télé-réalité le plus con des deux n'est pas celui qui s'expose, mais celui qui regarde). Il en profitait aussi pour tirer un portrait effrayant car juste d’une civilisation, la notre, qui à force d’infantilisme finit par être dépendante à l’autorité par refus de prendre ses responsabilités. Tout ça prenait fin dans une ambiance qui laissait le spectateur dans un état mélangé de tristesse et d’abattement qu’on n’a pas l’habitude de connaître devant la machine à divertir qu’est la télévision ; de la très belle ouvrage en somme.


Il y a trois mois, Brooker a à nouveau frappé en lançant une sorte de trilogie télévisuelle intitulée Black Mirror (qui vient tout juste de paraître en DVD). Si certains voient dans ce titre une allusion au morceau d’Arcade Fire (qui renvoyait il est vrai à la capacité qu’ont les images à créer une représentation qui se substitue à la réalité), Brooker annonce clairement la couleur quant à la matière qui a nourri ici sa réflexion : « Si la technologie est une drogue - et elle ressemble bien à une drogue - alors quels sont, précisément, les effets secondaires? » Le miroir noir du titre, ce sont les écrans qui entre télévisions, ordinateurs, smartphones, tablettes numériques, et autres gadgets nous cernent. La question est de savoir quelle image de notre civilisation ces miroirs nous renvoient. Et la réponse donnée par Black Mirror inquiète autant qu’elle impressionne.


Ce titre regroupe donc trois segments sans aucun lien les uns avec les autres, et chacun adopte une perspective particulière. Le premier offre une réflexion sur l’information à l’ère des réseaux sociaux en racontant comment un premier ministre se trouve forcé à copuler avec une truie devant les caméras pour sauver la princesse d’Angleterre. Le  second est un récit d’anticipation qui pose la question d’une possible révolte à l’ère du spectacle-roi. Le troisième enfin (le seul à l’élaboration duquel Brooker n’ait pas participé) reprend le schéma classique de la dispute de couple, mais en lui ajoutant un ingrédient futuriste pervers, une sorte de mémoire externalisée qui permet de stocker et de revisionner à l’envi n’importe quel souvenir. Dans  les trois cas, l’intelligence le dispute à la qualité technique d’ensemble. Si le premier segment est celui qui s’ancre le plus dans notre réalité quotidienne, il n’est pas forcément le plus percutant pour autant, peut-être à cause de son hésitation entre la farce « hénaurme » (un premier ministre qui copule avec un cochon donc) et la réflexion sur un fait devenu on ne peut plus quotidien (l’échange d’informations à toute vitesse entre les chaînes d’informations et les différents réseaux existant sur internet, pour le meilleur comme pour le pire). Le deuxième segment est peut-être le plus percutant ; c’est sans doute s’avancer un peu, mais on est tentés de dire qu’en terme de pertinence et de puissance, il est à la hauteur de glorieux ancêtres de l’anticipation  tels Orwell ou Zamiatine. Non seulement dans sa capacité à faire exister un monde totalitaire effrayant mais plausible (car métaphoriquement très très, mais alors très, proche du notre), mais surtout en ce qu’il fait surgir dans cet univers cauchemardesque une forme d’espoir reposant sur la nature humaine, espoir qu’il s’emploie ensuite à confronter à cette réalité parallèle pour montrer à quel point cette dernière l’affaiblit. Autant dire qu’on n’en sort pas indemne. Le troisième segment est également très fort dans sa capacité à représenter un monde qui, parce qu’il n’est pas apte à se défaire de schémas factices créés par le spectacle dans son ensemble, choisit de vivre en se noyant dans le mensonge et se trouve incapable d’accepter l’imperfection fondamentale de l’être humain.


Nous nous devons de rester aussi vague que faire se peut ; le mieux est encore de découvrir ces trois moyens-métrages en en sachant le moins possible. Ces films (oui, on est tentés d’en parler comme de films) sont dotés d’une capacité d’écriture assez rares, capable de créer des univers précis sans se sentir obligée de tout révéler sur leur fonctionnement dès le départ. On a donc le sentiment de découvrir un monde dans son ensemble à mesure que progresse le récit d’une histoire spécifique. Quand c’est terminé on regarde autour de soi et on a l’impression de faire la même expérience, mais avec le monde réel. Car finalement il y a un axe principal commun à ces trois films. Ils sont le portrait d’une civilisation de spectateurs qui s’enfoncent dans une forme d’apathie intellectuelle[2], où la représentation de la réalité prend plus de poids que la réalité elle-même et où l’on finit par se penser en tant que représentation pour finalement devenir spectateur de soi-même. Que la télévision propose ce type de programme est rare et, pour tout dire, assez inespéré.



[1] En parlant d’hallucinogènes, ne dépensez pas votre argent en acides ou autres champignons, regardez plutôt  Noel Fielding’s Luxury Comedy, dont la première saison vient tout juste de s’achever ; c’est un peu comme marcher la tête en bas dans un tableau du douanier Rousseau en écoutant un orchestre d’huîtres reprendre des standards new-wave avec des instruments qui n’existent pas.
[2] Ne serait-ce que parce que le cerveau utilise 20% de ses capacités quand on est devant la télévision alors qu’il en utilise 80% quand on lit, par exemple.