samedi 17 juin 2017

Del - Songs we wrote (#1)


Il faut dire que ça commence très fort. Ça s'appelle « Answering machine song », c'est le morceau d’ouverture du premier (et pour instant unique) album de Del, Songs we wrote (#1), et ça commence très fort. Par quel bout le prendre, il y a cet orgue qui arrive, il sait où il va, il est déterminé, il vibre comme un hanneton et il a la pesanteur du rhinocéros. Il semble sortir de la terre, des entrailles, du monde d'en-dessous, et il impose un rythme de serpent qui t'enlace puis t'étouffera sans que tu t'en rendes compte; alors tes yeux seront envahis par les étoiles et tu tomberas en apesanteur, le souffle suspendu; accessoirement, tu banderas1.
Tu aurais pu te douter que c'était un piège cela dit, les voix caressantes du début laissaient entendre le chant d'un loup qui seul restait, avant la déflagration, quand les oiseaux s'étaient fait la malle parce qu'ils avaient compris, eux, que tout allait sauter.
Mais on t'a attiré dans la partie la plus inextricable de la forêt et tu n'en sortiras plus.
Et puis les voix il y en a une qui chante et une autre qui, parfois, hurle. C'est très jouissif. Ça ouvre grand la voie à de la lumière qui brûle et on s'étourdit à ce soleil.


On ne va pas se mentir, aux premières écoutes on se retrouve tellement cartonné par la puissance rêche de ce morceau qu'on n'est d'abord pas trop attentif à la suite car trop tenté d'en reprendre une dose. Mais c'est un tort. Il faut écouter ensuite « You wear your hair much too long », qui a au départ la nonchalance d'un début d'après-midi d'été; ça bouge lascivement sur une voix douce jusqu'à ce qu'arrive une deuxième guitare, plus empressée, au souffle court, précipité, qui vient apporter quelque chose d'urgent et de dense au morceau. Lascif, urgent, dense, et surtout excessivement bien branlé.

Il faut écouter « Sometimes giants fall, like angels », qui joue sur les deux tableaux d'une sorte de chaloupement qui menace parfois de mordre. Ça rend léger et fiévreux, il y a la masse du géant et l'aptitude au flottement de l'ange. Dans la dernière partie il y a une batterie qui entame une sorte de montée en puissance mais qui n'éclatera jamais ; ça pourrait sembler frustrant mais non, tout ça reste lourd et suspendu parce que le désir pèse et donne des ailes et ça ressemble à la vérité de l'Été.

Et puis parfois ça pète franco et ça gueule pour de bon (« Call the aliens (ad lib) »). Parfois ça se fait mélancolique, doux et âpre comme un desacierto (« My favorite question mark »). Parfois c'est balancé comme pas possible et proprement imparable (« Turkish delights »). Toujours ça mérite l'attention, et ça finit par devenir un vrai compagnon de route.

Songs we wrote (#1) a apparemment été conçu au fil des ans, enregistré en pleine canicule en 2003, publié pas loin de dix ans plus tard presque par hasard... Ça pourrait ressembler un peu à un truc de branleurs, mais que non pas. Il se trouve que Del est une sorte d'excroissance d'Angil and the Hiddentracks, dont on eûmes parlé en ces lieux autrefois, et ici comme là on retrouve une science à la fois efficace et inspirée qui continuera à nous faire marteler tant qu'il le faudra qu'on a là affaire à de la baleine blanche de premier choix. D'animation, on en renversera sa bière. On en reprendra une autre. C'est qu'il fait soif et chaud.
Ça s'appelle Songs we wrote (#1): ça chaloupe, ça cogne, ça colle et ça vague parfois à l'âme. Ça s'appelle un album d'été idéal.



P.S. : figurez-vous que cet album est trouvable ici pour la somme indécemment modique de 5 euros.



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1Si quelqu'un pouvait nous éclairer sur les réactions physiologiques féminines consécutives à l'étranglement, ça nous intéresserait bien