mardi 28 juin 2011

El Bello Verano

L'été.
Ouais.
Un mélange vélo robe à fleurs renaissance quotidienne chasse à l'ombre fluides pulpe lumières et tout ce genre de choses.

Il fallait donc marquer le coup pour la compilation saisonnière de rigueur; nous le marquons en proposant un bazar en trois volumes: le 1, le 2 et le 3. D'un seul coup. Le 1 joue la légèreté de l'éveil, le 2 la joie de l'allant, le 3 la sérénité du couchant. Ou alors c'est tout l'inverse. Ça doit bien s'écouter dans le train, surtout si c'est un train qui traverse la campagne.

Ça s'appelle  El Bello Verano déjà parce que l'Espagnol est la plus belle des langues romanes, et puis  aussi en clin d’œil à la chanson de Family, dont on a parlé ici il y a quelques temps. On retrouve d'ailleurs des visages connus dans cette compilation, l'occasion de quelques coups d’œil dans le rétro estivaux. On appelle ça un marronnier, oui.

En somme il y a là-dedans de quoi danser, rêvasser, s'activer, pas en foutre une rame, somnoler, se réveiller... Tel n'importe quel produit vendu par n'importe quelle télé-achat, cette compilation saura vite devenir indispensable à votre quotidien estival. Ça se télécharge ici-même, et ça se compose comme suit:


Volume 1

01 Félicitéstivale
02 Inconnues - I love my baby
03 Buena Vista Social Club - Murmullo
04 Plone - Plock
05 Arches - Headlights
06 Michel Legrand - Come Ray or come Charles
07 Akryllic Love - Clear and sunny
08 Barbara Carlotti - L'idéal
09 Isobel Campbell & Mark Lanegan - Something to believe
10 Matt Berry - A song for Rosie
11 Magnet - Maypole
12 Nacho Umbert y la Compania - La verdad es que me da igual
13 The Kills - Gypsy death and you



Volume 2

01 Mireille et Jean Sablon - Fermé jusqu'à lundi
02 Family - El buen vigía
03 La Position du Tireur Couché - Acapulco
04 Belle and Sebastian - Ease your feet in the sea
05 Architecture in Helsinki - It's 5!
06 Bridget St. John - I like to be with you in the sun
07 Die Jungen - I surrender
08 Marissa Nadler - Rivers of dirt
09 Boris Vian - Barcelone
10 Di Maggio - Nova mars
11 John Dummer Blues Band - Nine by nine
12 Domotic - Captain Forest's word of advice
13 Le Mans - La balada de la primavera



Volume 3

01 Owen Pallett - Export 8
02 Lupus & Van Pelt - Everlasting ease
03 Eternal Summers - Pure affection
04 Devendra Banhart - Walilamdzi
05 Au Revoir Simone - Through the backyards
06 Tom waits - Just another sucker on the vine
07 Brian Eno - By this river
08 Single - Honey
09 Curtis Mayfield - Think (instrumental)
10 Nick Drake - Time has told me
11 Beirut - Fountains and tramways
12 Mississippi John Hurt - Beulah Land
13 Kings of Convenience - The build-up

Là-dessus, une bonne écoute, un bon été, du bon plaisir en somme.

P.S.: avec nos remerciements à Auguste Saravah pour la pochette du volume 1.

mardi 21 juin 2011

Who Will Cut Our Hair When We're Gone?


Il y a des bruits bizarres derrière la porte. Qu'est-ce qu'ils fabriquent là-dedans ? Les instruments piaffent, grognent. Qu'est-ce qu'ils fabriquent là-dedans? La musique est toute maigre d'abord, et puis elle prend de l'envergure. Il y a quelqu'un qui annonce qu'il mourra dans un accident d'avion. Ça grossit, en chœur, ça chante qu'on ne veut pas mourir, la musique de plus en plus ample, des trompettes qui s'invitent là-dessus, et puis ça s'arrête brusquement. En deux minutes on a perdu le nord, on ne sait pas où on va, mais on a envie d'y aller quand même. C'est The Unicorns, ça s'appelle Who will cut our hair when we're gone?


C'est vrai ça, qui nous coupera les cheveux quand on sera morts? Bath de titre d'album, et sacré programme. Une musique qu'on verrait bien interprétée par des squelettes, ça joue de la structure classique des chansons pop pour en faire tantôt de la charpie tantôt un étendard. Et cette question de la mort qui rode constamment, ou plutôt d'après la mort, et qui étonne chez un groupe si jeune. Il se débat avec tout le long de l'album, invite des fantômes à venir chanter, il y a là-dedans les voix de ceux qui nous attendent, qui nous dirigent sans qu'on le sache. C'est un disque de vivants contrariés, constamment tendus vers ce qu'il y a derrière, ce qui effraye et nous fait courir en même temps. Quand à la fin ils chantent qu'ils sont prêts à y passer, les Unicorns nous ont trimballé des deux côtés de la frontière mais ils nous ont surtout balancé de pleines pelletées de vivacité dans les oreilles.


(The Unicorns, en 2003, était considéré comme le groupe phare du rock montréalais qui était alors en pleine gestation, sur lequel seuls quelques avisés se penchaient. Ces avisés disaient que vous allez voir, ils vont devenir LE groupe de rock nord-américain des années 2000. Mais ça n'a jamais eu lieu, les Unicorns se sont séparés après cet album. En revanche Richard Reed Parry et Régine Chassagne viennent faire un petit coucou au détour d'une ou deux chansons, vous connaissez la suite. Si ce n'est pas le cas il n'est jamais trop tard pour s'y mettre.)


Il y a dans des morceaux comme "Child star" suffisamment d'idées et d'élan pour faire quinze disques de bonne facture, une impression de coq-à-l'âne constant, comme si l'esprit d'un cyclothymique se transformait en une sorte de vapeur musicale au sortir d'un volcan construit sur un cimetière indien, ou quelque chose dans ce goût-là. Foutraque en diable, mais audacieux ô combien. Des incursions dans le bizarre, des ruptures de ton abruptes et un entêtement dans l'usage de la flûte à bec qui étonne avant que de forcer le respect.


Ce qu'il y a d'éminemment plaisant là-dedans c'est que cette musique ne se contemple jamais, elle n'en a pas le temps, elle va trop vite. On a l'impression de jets continus d'inspiration sans relecture, une sorte de poésie qui avance à l'instinct en somme. De l'énergie en branches, un effacement des frontières de ce qu'est censé être le rock. Il en reste l'essence, ce qu'il y a de rare et d'insaisissable, comme un cheval indomptable, un mustang. Mais en mieux.

"We're the Unicorns, we're more than horses."

Voilà.

mercredi 15 juin 2011

Vincent Gallo - When




Des choses fragiles : les ailes des insectes, la frontière parfois entre l’exaltation et l’abattement, les moments de plénitude, une voix pleine de fissures qui veut encore parler du soleil… Des choses fragiles.


Au sommet desquelles on placerait bien When. On écoute When sans oser respirer trop fort, on ne voudrait pas rompre la magie. On bouge avec lenteur, s’il faut bouger. On évite, autant que faire se peut. Tout ça relève de l’équilibrisme, tenir comme ça une note de mélancolie pure, de tristesse tenant la putasserie à distance.
Tout mettre dans le mot qui ne sera pas prononcé : « ‘Cause when you drink, it makes me cry. And when you get high… »
L’équilibre absolu, et tremblant.

Vincent Gallo, on ne sait pas s’il sait vraiment jouer d’un instrument : il gratte une guitare, il tape sur une batterie, il souffle dans un saxophone, mais on n’est sûr de rien. Il a fait ce disque tout seul, on aime à penser qu’il l’a enregistré au fil des nuits et des souvenirs qui venaient lui parler à l’oreille, qu’il a lâché la bride.


Parfois on est de mauvaise humeur parce qu’il y a des jours comme ça, et on se dit que quand même, il y a de la pose arty là-dedans, que c'est facile de faire un film qui se fait siffler à Cannes et puis après chanter que « I’m always sad when I’m lonely », et d’ailleurs t’as trouvé ça tout seul Toto ?
Ou bien ?

Et puis parfois on a envie d’écouter et on se laisse prendre. On évolue parmi les brisures en essayant de ne pas s’écorcher les pieds sur ce qu’il y a de touchant dans ces mots, ce qu’il y a de poignant dans cette musique. Parfois on s’en fout et on y va parce que c’est fait pour, aussi, si on n’a pas envie de revenir au monde par le chemin de la douleur on écoute la musique radio et on ferme sa gueule.

On n’arrive pas à dormir, on cherche une berceuse à se chantonner, et ce qui vient à l’esprit c’est cette voix d’un fantôme sur le fil du rasoir qui fait « Good… night… baby ». On arrive encore moins à dormir mais on s’en moque, on est dans le vrai de la nuit. Le reste est bien assez vulgaire.

mercredi 8 juin 2011

Y tu mamá también

C'était devant un ciné-club, juste avant la projection de l'extra-beau Parle avec elle, de Pedro Almodóvar. Parmi les gens qui attendaient il y avait un groupe d'étudiantes américaines, alors forcément on laissait traîner l'oreille.

"- Vous l'avez déjà vu ce film?
- Non.
- Non.
- Non, mais j'aime bien le cinéma espagnol. Vous avez vu Y tu mamá también?
- Ah ouiiii...
- Non.
- Non.
- Est-ce que le film qu'on va voir a été réalisé par celui qui a fait Y tu mamá también?
- ...
- ...
- ...
(un temps)
- Vous voulez voir les cartes postales que j'ai achetées?
- Oh ouiii!"

Cette présentation pour dire que même si l'on est enclin à beaucoup pardonner aux étudiantes américaines, il convient de rester vigilant, afin que le monde que nous allons laisser à nos enfants ne soit pas de ténèbres et d'errance quant aux origines d'Y tu mamá también. Car pour répondre à ta question, Jenny[1], non, Y tu mamá también n'est pas un film d'Almodóvar. Ça n'est pas non plus un film espagnol, puisqu'il est mexicain, la preuve en étant qu'il a été écrit et réalisé par Alfonso Cuarón. Ce sont là ses moindres qualités, et il en a beaucoup.


C'est le film d'un exilé qui revient au pays après avoir pris la mesure de l'impasse hollywoodienne. Un exilé qui regarde son pays, le Mexique, avec un oeil critique quand il s'agit de politique, mais avec un œil ému quand il s'agit du peuple, de sa vivacité profonde, de sa combativité.

C'est un film où on écoute "By this river" de Brian Eno en parcourant des paysages désolés caressés par une lumière chaude. Ce que l'on devrait faire bien plus souvent.

C'est un film cru où les choses sont montrées sans détour, comme si Cuarón voulait rattraper le temps perdu aux Etats-Unis et remettre au premier plan ce que la vie a de trivial et d'émouvant quand elle est portée par le désir, même maladroit. 


C'est un film mine de rien assez travaillé quant à sa mise en scène. Cuarón laisse libre cours à son amour du plan séquence, mais sans jamais en faire des caisses (pour ça il attendra le bigrement réussi Les fils de l'homme, où tout est artificiel mais profondément virtuose). Il s'en sert pour réunir en un même plan ce qui est le coeur du film, à savoir les personnages et leur histoire, et la vie qui va autour. Il abandonne son centre d’intérêt pour mieux montrer que ce récit qui nous occupe est au fond de peu d’importance, épiphénomène parmi d’autres épiphénomènes. On n’a pas l’habitude de voir ça.

C'est un film raconté par le biais d'une voix-off omnisciente, qui nous parle d’un pays, des personnages, de leurs relations, sans jamais rien (se) cacher. Il y a donc une médiation entre les personnages et le spectateur, et pourtant on ne peut s'empêcher d'être touché. Peut-être justement parce que la voix-off fait tomber les masques qui sont portés par tout un chacun. Elle présente par petites touches les personnages, ce qu'ils ont de beau et d'irritant, et on s'attache d'autant plus à ces jeunes trous du cul perdus dans leur adolescence et à cette femme qui vit dans la douleur rentrée depuis toujours.


C'est un film que le spectateur mal avisé (et il existe, le bougre), considère rapidement comme une comédie potache outrancière, comme un road-movie[2] de plus, comme un film gentiment tourné vers la fesse. Alors le spectateur mal avisé dit "Ha ha, c'est un film super drôle qui dit qu'il faut vivre avec excès". Mais le spectateur mal avisé passe alors à côté de la chose: c'est un des films les plus déchirants qui soient, d'autant plus déchirant qu'il l'est sur la pointe des pieds avant de donner brutalement toute sa mesure à ce sentiment de fond qui traverse le film, cette douleur vers l'estomac que les personnages ressentent parfois sans pouvoir lui donner de nom, cette tristesse avec laquelle ils ont appris à faire. Pour autant ça n'est pas un film plombant, il le serait s'il se regardait le nombril, et non. C'est une tranche de vie pleine de sens et de profondeur comme peut l'être n'importe quelle tranche de vie dès lors que l'on s'intéresse véritablement à ce qu'elle porte en elle de vérités premières.

C'est un film qui prend une patine particulière quand on voit Gael García Bernal et Diego Luna tout jeunots, et qu'on pense au chemin parcouru par eux depuis. Mais ça rend un peu triste aussi, parce qu'on se dit que personne n'a su faire ressortir autant de choses d'eux que Cuarón, comme si Truffaut avait rencontré deux Jean-Pierre Léaud[3]. Pas grave, ils sont bath quand même.

C'est un film assez pessimiste, où la fin de toute chose est annoncée aussi bien socialement que politiquement, où les conséquences humaines d'un monde en mouvement dans le mauvais sens sont présentées sans ambages. Et comme toute présentation lucide d'une situation, ça pique un peu les yeux. Fin de l'adolescence, fin d'une époque, fin d'un état d'esprit, les dernières répliques résonnent encore longtemps dans la tête du spectateur après la fin du film, des répliques sans ambiguïté, définitives sans en avoir l'air.


C’est le film de quelqu’un qui a sans doute du manger bien du dépit, qui a du se résoudre à faire des choses impersonnelles, se plier à des impératifs bidons, et qui reprend soudain sa liberté. Cuarón n’a jamais fait mieux depuis, il y a là tout un tas de choses qui bouillent en-dedans et qui sont enfin exprimées. C’est une incarnation du « It’s a sad and beautiful world. » jarmushien. Et c’est l’état dans lequel nous laisse Y tu mamá también : bon sang que c’est triste, mais bordel que c’est beau !


[1] «  Puisque si tous les autres s’appellent Ali,
      Et c’est un fait,
      Les étudiantes U.S. se nomment Jenny,
      Girls en go-get. »
                  Paul-Lou Taboulé, « Sucre blond » in Cap à l’Ouest, moussaillons !
[2] « un road-movie dans la lignée de La plage et Thelma et Louise », nous assure même la jaquette du DVD, ce qui prouve si besoin était qu’il y a dans le monde de l’édition DVD des gens qui feraient mieux de vendre des aspirateurs; on notera au passage que ce film n'a jamais été "vendu" à sa véritable mesure: il suffit de voir à quel point ses bande-annonces sont à côté de la plaque, qui le présentent comme un feel-good indie movie, pour parler comme un de ceux-là qui font du travail de cochon.
[3] Il y a d’ailleurs un très beau clin d’œil aux 400 coups dans ce film ; ami spectateur, sauras-tu le retrouver ?