vendredi 20 décembre 2013

Ma douceur

«18 novembre 1929

En dépit de la brume et de mon adoration
Départ de Xenia Alexandrovna

Aucun cri
Aucune larme

Pas un
battement
de coeur

Rien
Qu'un
Souffle
Froid

29 novembre 1929

Retour

Avion de nuit
De longue, longue nuit
Un désir, un seul
M'endormir sans peine
Sans peine et sans en croire mes yeux...

10 décembre 1929

Et voici
L'orange des matins d'Itacombra
Le miel du vent d'Itacombra
Et me voici accueilli par les colibris
Ma douleur se transforme en un chant bouche close
Elle transforme, mais se laisse transformer
Elle n'est plus une porte fermée.

Elle est une corde tendue.

Bel et bien là mais promesse d'un nouveau paysage à venir après
Une rivière, Ô, une rivière encore à traverser!»

Extrait d'Amorguras, de Lazáro Oswald do Beijaflor


C'est ici et c'est ceci:

01 De quoi souffres-tu?
02 Chassol - U were in Love
03 Connie Converse - Talkin' like you (two tall mountains)
04 El Kinto - Esa tristeza
05 Tom Waits - I want you
06 Georges Thill - La maison grise
07 Françoiz Breut - La fille des eaux
08 Julien Gasc - Canada
09 Catherine Hershey - Smiles with her eyes
10 Belle and Sebastian - Jonathan David
11 Erlend Øye - La prima estate
12 Schoolboy Q - #BETiGOTSUMWEED
13 Baron Rétif & Concepción Pérez - Beijos seus labios (feat. Tita Lima)
14 Caetano Veloso - Asa branca
15 Hoagy Carmichael - Stardust


jeudi 12 décembre 2013

Matthew E. White - "Eyes like the rest"

 

De l'ogre, Matthew E. White a tous les attributs, hors les yeux. Et la voix aussi. Non pas une voix grondante et caverneuse, mais un timbre caressant qui a cette tendance à capturer l'oreille et puis le reste. Un ogre sirène?


Peu importe, Matthew E. White s'est fait connaître en 2012 avec un L.P. suivi d'un premier album, Big Inner. Il y faisait montre donc d'une capacité à enjôler le dernier asexuel couché par une voix qui servait des chansons incitant fort à donner un coup de fouet à n'importe quelle démographie. Mais pas que, car ce qu'il y a de super admirable chez le monsieur c'est également sa capacité à pondre des arrangements tantôt redoutables d'efficacité (« Big love » par exemple, et le mariage parfait des violons et des chœurs qui fait revenir à nos oreilles ce souci très 60's d'une honnête chanson-somme), tantôt d'un chiadé inattendu et imprévisible qui a tendance à faire avancer l'auditeur dans d'autres dimensions où la nature du sol sur lequel se posera le pas suivant reste incertaine.


Et le mois dernier Matthew E. White est revenu nous faire coucou via un nouvel E.P., Outer Face, où il taquine beaucoup de muses, toujours avec classe et réussite. C'est la chanson « Eyes like the rest » qui ouvre cet E.P. et alors arrêtons-nous y un peu, tant elle représente le grand talent de White en termes de construction et d'arrangements: d'abord des violons qui semblent annoncer la fin de quelque chose, un brin angoissés.
Et puis les mêmes qui soudain prennent des ailes et commencent à s'étendre en vagues plus sereines qui s'arrêtent net avant que de reprendre, créant une sorte de douce syncope.
Derrière ça une rythmique basse/percussions qui ne dit pas trop son nom; il y a du groove oui, mais aussi un rythme de fauve qui avance caché et prend le temps de faire sien l'espace autour de sa proie, une sorte de tigre des airs, on se dit que quelque chose va se produire, mais quoi? D'où va jaillir la foudre? La voix de Matthew E. White arrive très tôt avec son phrasé nonchalant, ses petits "hmmmm" qui font baisser la garde.
Et puis les chœurs s'avancent, au départ assez classiques, on n'y prend pas trop garde, d'autant que tout ça tient bien, on se laisse flotter et on se sent plutôt bien, même si des discordances font parfois des violons des courants contraires qui invitent à la fois à la paix et à l'angoisse. Mais Matthew E. White chante des trucs qui disent "Je veux être avec toi" et se terminent par "baby" et bon sang, vraiment, tous ces éléments si disparates se marient foutrement bien.
C'est là que l'événement se produit: les chœurs prennent le pouvoir, suivant un rythme propre, plus rapide que celui posé par la base rythmique. Et à cet instant là le rapport avant-scène/arrière-scène s'inverse: ce qui fait la chanson n'est plus le chanteur, mais ce qu'il y a derrière lui. On a le sentiment qu'il se laisse submerger avec plaisir comme un dompteur seul au milieu de l'océan se lasserait chahuter en souriant par des fauves marins dont il a su gagner la confiance, en continuant sa petite chanson, tandis que les choristes refont la pièce et emportent le morceau vers des ailleurs qu'on aurait pas imaginés. Les percussions suivent le mouvement, un peu désorientées on dirait, ne sachant plus où est le temps, où est le contretemps, et au fond on finit par s'en foutre pas mal parce que ce qu'on entend à ce moment-là, c'est pas habituel mon vieux.
Et puis le vent retombe, et il reste la voix de Matthew E. White, son orchestre, et c'est toujours aussi beau, mais chargé du souvenir des voix qui reviennent faire coucou de loin, en restant à leur place cette fois, comme pour laisser la vague atteindre enfin le rivage. On se retrouve là, comme échoué après une tempête qui non contente de nous avoir fait perdre le Nord nous aurait aussi montré le visage de Dieu. Et ça serait une belle femme en vrai.

C'est ça ou autre chose, ce qui est certain c'est que Matthew E. White est un sorcier (voilà, un sorcier, on oublie l'ogre et les sirènes) qui avance masqué, et qu'on lui donne notre âme et le reste quand il veut pour peu qu'il continue à nous gâter avec la si belle magie noire et dorée de ses chansons.