vendredi 20 mars 2020

the Bees - Sunshine hit me

"Le corps pleure à cause de ses œuvres et l'esprit rit à cause de la lumière"

Dialogue du Sauveur


Qu'on imagine le big bang, et plus précisément l'identité sonore, ou plutôt musicale du big bang. Très certainement ça ressemblera à l’image qu’on se fait d’un chaos inquiétant, et qui en impose sévèrement. Quelque chose à la Jean-Féry Rebel, par exemple, parce qu'on est plutôt du genre dramatique, dans l'ensemble.


Seulement imaginons ceci, qu'en vérité la naissance du cosmos, puis du soleil, et de la vie, s'incarne en fait dans les premières mesures de "Punchbag", morceau d'ouverture de l'album Sunshine hit me de the Bees, dont on va parler ici. Imaginons un cosmos naissant de petites étincelles qui évoquent un éveil en douceur, et puis s'épanouissant dans un rythme souple. C’est quand même autre chose. Un cosmos porté sur la langueur, un cosmos du type sieste à l'ombre. Et qui dit ombre dit soleil.


Comment interpréter le titre de l'album? Grammaticalement il ne peut s'agir de dire que « le soleil me frappe » puisqu'il faudrait un -s à "hit" pour ça. Alors deux possibilités: une sorte de provocation ou d'invite faite, sans ponctuation, au soleil pour qu'il vienne nous en mettre un coup. Ou bien un récit fait a posteriori, « le soleil m'a frappé », un récit très simple de l'acte fondateur de cet album, de cette musique.


La prière faite au soleil est en tout cas au cœur de "Punchbag"; du moins on postule que c'est au soleil que la voix s'adresse pour dire « Fais de moi un sac de frappe ». Le reste des paroles est un peu cryptique. Alors postulons que la voix en appelle au soleil pour lui demander de lui casser la gueule, comme un éveil, un peu à la manière d'un aède qui en appelle aux dieux quand vient le moment de chanter les hauts faits d'un Héros.

 

Là où Sunshine hit me est une réussite un peu paradoxale c'est qu'en vérité on pourrait en faire écouter chaque morceau à quelqu'un sans qu'il ou elle se rende compte qu'il s'agit du travail d'un seul et même groupe. Les styles changent, les voix sont suffisamment standard pour qu'on ne les identifie pas plus que ça, c'est en fait frappant comme, d'une certaine manière, le groupe manque d'une personnalité clairement identifiable. Mais en réalité c'est peut-être là que se tient la grande réussite de l'album: le groupe importe peu, ce qui importe c'est ce qui est son cœur: le soleil.


Pas le soleil qui rappelle des vacances au Lavandou, mais le soleil qui donne vie. Le grand Pachacamac. Il y a ce moment dans le morceau instrumental "Sunshine" où soudain la batterie est laissée seule maîtresse à bord; à nos oreilles rien ne réussit à mieux traduire ce sentiment débordant provoqué par un soudain accès de perméabilité au soleil que ces quelques secondes où rien n'existe que la pulsion de vie, la Joie, où l’idée même de langage est à la masse. Tout passe par le sentiment intérieur qui pourrait mener à une trémulation annonciatrice d’une danse de saint Guy parce que c'est la vie qui s'exprime et qui jouit d'être ainsi irriguée de lumière et de chaleur.


Et puis il y a d'autres morceaux qui balancent bien, et c'est déjà beaucoup, que ce soit le reggae pas cliché de "No trophy" ou le pont jeté avec une certaine idée du Brésil dans "A minha menina". On s'imagine alors volontiers the Bees comme une chic bande de filles et de garçons habitués à passer une bonne partie de leur vie à cuivrer en shorts en faisant de la musique, et qui chantent leur joie et leur bien-être de se voir ainsi bien lotis. Et puis on apprend, au moment d’écrire ces mots, qu'en fait the Bees c'est, pour cet album, deux Anglais natifs de l'île de Wight. La Manche. Infiniment plus proche de Calais que de Belo Horizonte ou de la Barbade. Premier sentiment: un peu de déception de voir un joli château de sable imaginé de longue date réduit à néant par une vague d'eau grise et froide. Mais deuxième sentiment: the Bees a, par cet album, donné forme et vie à un soleil sans doute plus souvent espéré ou rêvé que vécu. Et c'est au fond plus beau encore.


On doit rester à l'intérieur. Dehors c'est le printemps. La peau doit rester un souvenir et un espoir et le dernier morceau de l'album commence, langoureux comme pas permis et toujours tourné vers le désir, qui n'est jamais très éloigné de la prière; « Je veux t'étreindre comme le ciel étreint le soleil ». L'image est jolie, et ainsi répétée elle en devient touchante. Oui, toucher, étreindre, partager la chaleur, s'éclairer mutuellement, cet espoir répété, comme seule ligne d'horizon parce qu'il ne faut pas être fier et qu'on a besoin de peu, et que parfois ce peu devient beaucoup, inaccessible même. Pas pour toujours bien sûr, mais quand même... c'est bien assez long. Alors tout comme the Bees on a la possibilité de se gorger d'un soleil intérieur, de souvenirs de soleils, et d'espoir, de désir, d'attente, et de confiance. Un jour on sera dehors, on s'ouvrira grand et on dira au soleil vas-y, cogne, et embrase-moi de toutes tes forces. De joie et d’aise on chancellera, et ça sera comme une danse.