mardi 30 juillet 2013

Louis Calaferte - C'est la guerre



C'est la guerre est le dernier roman de Louis Calaferte ayant paru avant sa mort en 1994.

            « Il est cinq heures d’un après-midi de septembre tiède et gris.
            Le tocsin sonne.
            On arrête de jouer.

            Robe noire fermée jusqu’au cou, les bras levés, des mains blanches osseuses, le regard fixe, la vieille femme crie sur la place du village que c’est la mobilisation générale.
            Il n’y a pas un souffle d’air dans les feuilles du gros arbre.
            Des oiseaux chantent.

            Au garde-à-vous dans sa salopette de travail, les mains dans les poches, un homme pleure.
            Il est en sabots.
            Il y a du bruit et du silence, mais le silence absorbe le bruit. C’est comme aux enterrements.
            Un long chat noir est étiré sur le rebord d’une fenêtre.
            Deux femmes âgées s’étreignent, chacune la tête dans le cou de l’autre. Le chignon de la plus petite s’est défait, ses cheveux grisonnants tombent en longues mèches ondulantes de chaque côté de ses épaules. On dirait des anguilles vivantes. J’ai envie de faire pipi. »

            (…)

« Quelqu’un a sorti une table et des chaises dans la rue devant la maison. Une femme a apporté deux bouteilles de vin rouge et des verres. Des hommes sont assis. Des hommes sont debout. Des femmes sont derrière les hommes. Le chien blanc dort en rond sur le pavé. Un enfant joue au yoyo. Un enfant a un cerceau. Un enfant a une trottinette. Un enfant a un petit chapeau de paille jaune. Un enfant a la bouche barbouillée de chocolat. Ils parlent. Ils tapent sur la table. Ils reniflent. Ils se grattent dans les poils. Ils se grattent la tête. Ils se renversent sur leurs chaises. Ils mettent leurs pouces dans leurs bretelles. Ils font semblant, mais ils ne sont pas bien. Ils griffent de l’ongle le bois de la table. Ils parlent. Ils se comprennent. Et pourtant, c’est quoi 14, c’est quoi l’Armistice, c’est quoi Daladier, c’est quoi les Boches, c’est quoi Hitler, c’est quoi la politique, c’est quoi le Taureau du Vaucluse, c’est quoi Chamberlain, c’est quoi le pape, c’est quoi la guerre ?

            - C’est quoi la guerre ?
            - Occupe-toi de ta soupe. Mange. »

« C'est la guerre », c'est le constat que fait l'enfant Calaferte ( mais est-ce vraiment autobiographique? On a autant de raisons de le penser que d'en douter), qui observe sans bien comprendre et se cogne à l'incommunicabilité adulte qui le laisse seul avec son incompréhension et plonge chaque chose vue dans une sorte de flou donnant un côté mystérieux à des événements que nous connaissons. La violence hante déjà tout, mais le narrateur n'a tout d'abord ni les armes ni le vécu pour pouvoir poser des mots précis sur ce dont il est témoin. L'approche est d'une grande puissance puisque, derrière cette sorte de naïveté, l'art de retranscrire la vérité nue avec des mots simples en révèle bien davantage sur les sentiments profonds qui sous-tendent le quotidien de cette époque. Pas de jugement, pas de considérations émotives ou morales, mais une retranscription brute (et non dénuée d'un humour d'une violente noirceur) de la réalité.

            « - Le charcutier s’est pendu dit la petite femme maigre.
            - Vous l’avez vu ?
            - Je n’ai pas voulu le voir. Les pendus c’est pas beau à voir.
            - Mon mari l’a vu. Il s’est pendu à un crochet. À côté du cochon.
            - Il avait le menton tout bleu.
            - C’est la faute à la guerre dit la petite femme maigre.
            - Il l’avait dit. Si c’est la guerre je me pends.
            - Bon Dieu il l’a fait dit le gros homme de la maison.
            - Voilà ce que c’est que la guerre dit la petite femme maigre.
            - Il devait rejoindre.
            - Cette guerre on ne sait pas ce que ça va devenir.
            - Les Boches ils en voulaient trop. Après l’Autriche, Dantzig. Et pourquoi pas nous ?
            - Y en a qui disent que ça va pas durer. Quand il va voir que tout le monde est contre lui Hitler il prendra peur.
            - Faudra quand même lui donner une leçon.
            - Faudrait quand même pas que le charcutier se soit pendu pour rien. »

            (…)

« Une fois au lit avant de s’endormir on pense à ce qu’on a vu dans la journée à ce qu’on a fait à ce qu’on a entendu à la tête des gens à l’homme qui a un œil en l’air et qui fait peur aux copains à moi aussi il me fait peut mais son œil en l’air ça m’attire il parlait avec le garagiste il disait que dans son malheur il avait bien de la chance qu’avec son œil en l’air on ne le voulait pas dans l’armée ça tombait pile parce que lui et la guerre ça faisait deux c’est de la pure merde cette guerre est-ce qu’on sait seulement pourquoi on la fait pour les marchands de canon et les marchands de canon ils s’engraissent tant et plus avec leurs gonzesses qui leur sucent leur pognon et elles ne sucent pas que ça pendant que nous le bétail on va au casse-pipe merde à la fin il faut quand même pas trop nous prendre pour des cons la guerre des industriels on n’en a rien à foutre Cachin l’a bien dit mais au lieu de l’écouter on écoute les salopards de la droite qui ont le patronat total qu’est-ce qu’ils ont trouvé de mieux à faire la guerre une de plus le peuple pour eux c’est rien que de la bidoche qu’ils aillent donc la faire eux-mêmes leur chierie de guerre moi j’ai pas honte de le dire heureusement que j’ai mon œil sinon je désertais aussi sec et j’en connais d’autres qui feront comme moi mais ceux-là on n’en parlera pas c’est comme les fusillés de 17 on a fait croire qu’il n’y en avait que un ou deux la vérité c’est qu’il a fallu en fusiller des milliers tout ça c’est de la merde les riches d’un côté les autres de l’autre c’est toujours pareil depuis le début du monde mais moi je ne marche pas dans leurs combines j’attends la revanche Cachin l’a bien dit j’ai un œil pour les emmerder alors je les emmerde une fois au lit avant de s’endormir on repense à tout ça fait un peu peur depuis que c’est la guerre les choses font un peu peur. »

Et puis le narrateur grandit, et du compte rendu naïf de l'enfant l'écriture progresse à mesure que les yeux de l'adolescent s'ouvrent sur la réalité du monde pendant la deuxième guerre mondiale et sur les rapports humains en général. Frappe alors le dégoût du conditionnement qui semble toucher l'immense majorité des personnes observées, avec cette question qui tourmente : est-ce du déterminisme social? Est-ce inscrit dans la nature humaine? Est-ce que la liberté existe, vraiment?

            « Chez le boulanger on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez l’épicier on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le quincaillier on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le cordonnier on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez la mercière on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le coiffeur on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le boucher on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.
            Chez le garagiste on dit que la guerre est finie, qu’on a Pétain, que ça va être une autre France.


            On boit et on dit Nom de Dieu Vive Pétain. »

            (…)

            « On vend le portrait du Maréchal. Encadré ou pas. On met le portrait du Maréchal à la cuisine. Dans la chambre au-dessus du lit. Dans la salle à manger. Il y a le Maréchal dans la salle d’attente du médecin. Il y a le Maréchal à la poste. Il y a le Maréchal chez le boucher. Il y a le Maréchal chez le boulanger. Il y a le Maréchal dans les vitrines. Il y a le Maréchal chez plusieurs de mes copains. Maman Guite dit qu’elle ne met pas ça chez elle. On distribue des portraits. J’en ai un. Je le cache dans le bas du buffet. »

Dans le portrait de la France durant la deuxième guerre mondiale, cette impression aussi que ce pays a à peine eu besoin des nazis pour instaurer un état totalitaire, comme si finalement beaucoup n'attendaient que ça. On croise peu de soldats nazis dans le roman, mais beaucoup, beaucoup de miliciens, ce qui laisse à penser que la réalité était sans doute plus proche d'un pays laissant soudain libre cours à un fascisme rampant, bien plus que d'un pays subissant le joug totalitaire. La Résistance existe bien sûr, cachée, donc moins évidemment perceptible, mais cette violence et ce pouvoir absolu dont jouit la milice dans les scènes observées puis retranscrites par Calaferte laisse un goût de rouille dans la bouche.

            « Ils ont peint des étoiles jaunes.
            Ils ont écrit youpins.
            Ils ont cassé les vitrines.
            Ils ont jeté les mannequins sur les trottoirs.
            Ils ont peint des étoiles jaunes sur le trottoir devant les magasins.
            Ils ont essayé de mettre le feu.
            Des étoiles jaunes.
            Des vitrines crevées.
            Des trottoirs avec des étoiles jaunes.
            - C’est aux youpins, on les emporte.
            Ils emportent les mannequins.
            Ça me fait peur.

            Charles Trenet c’est le Fou chantant.
            Il chante Y a d’la joie.

            Les B.O.F.[1] s’enrichissent.

            La Gestapo arrête les Juifs.

            Il n’y a autour de moi que vol, mensonge, compromission, passion de l’argent, égoïsme, indifférence, corruption, hypocrisie, prostitution déguisée, violence, lâcheté, bassesse, obséquiosité intéressée.

            J’ai treize ans. Quatorze ans. Quinze ans.
            J’apprends l’homme.
            L’homme est une saloperie. »

            (…)

« La traction avant noire s’arrête devant la porte de la maison. Le chauffeur et trois autres. Avec le chapeau et le manteau de cuir. Des gueules aiguisées. Des gueules blanches. Pas de regard sous le chapeau. Des ombres dures et rapides. Un chapeau reste à la porte. Le revolver dans la poche. La main dessus. Pas grand. Pas lourd. Fermé. Ça crie dans l’escalier. Il n’entend pas. Il n’entend rien. Le chauffeur met le contact. Le chapeau ouvre la portière. Un vieil homme est poussé. Violenté. Il trébuche. On le tient par les cheveux. Derrière la tête. On lui tord un bras dans le dos. Il est en pyjama. Bleu à rayures. Nu pieds. Ils le poussent dans la traction avant noire. Ça se referme. Ça s’en va. De l’autre côté de la rue il y a la queue devant le boucher. C’est le jour du pâté sans tickets. »

            (…)

            « Droite française.
            Capitalisme français.
            Bourgeoisie française.
            Clergé français.
            Intellectuels français.
            Police française.        
            Milice française.
            Commerçants français.
            Français moyens.      
            Les usines tournent. L’argent rentre. L’ordre règne. Ça marche. »

Et puis il y a la force de Calaferte quand il s'agit de définir en une phrase simplissime ce que d'autres mettraient trois romans à établir comme quadrature du cercle. On retrouve la puissance de la crudité propre à Calaferte: le temps qu'il ne perd pas à appeler un chat un chien lui permet d'aller chercher plus loin la vérité des choses, même si cette vérité n'est pas rose, même si elle sent franchement la pisse.

            « Les filles ont des jupes serrées qui s’arrêtent au genou.

            Les filles ont des robes d’été que le vent soulève quand elles sont à bicyclette. On voit leur culotte. Bleue. Rose. Blanche. Noire. Je les suis avec mon vélo et ma carriole. Elles le savent.

            La secrétaire du dépôt a une jupe serrée. Quand elle se baisse on voit sa culotte. Elle se peint les jambes pour que ça fasse des bas. Les bas de soie sont chers au marché noir. Toutes les filles se peignent les jambes. Elles tracent une ligne brune le long du mollet et de la cuisse pour faire la couture du bas. La secrétaire du dépôt s’assied dans le bureau et écartent légèrement les cuisses.

            Les hommes sont prisonniers. »

            (…)

« Une nouvelle secrétaire me dit on prend le pognon du coffre-fort et on fout le camp tous les deux. Tu ne le regretteras pas j’ai un truc spécial dans la chatte. Le patron c’est un vieux dégueulasse. Ça lui fera les pieds. On a bien le droit de vivre nous aussi. Il s’envoie en l’air tous les jours. Pourquoi pas nous. Avec tout le fric qu’il y a là-dedans on peut se faire la belle vie. S’il veut nous emmerder on le dénonce pour marché noir au  Contrôle Économique. Dans les classeurs il y a de tout. Elle a fouillé. Des bons de commande. Des fausses factures. Avec ça on est couverts. On va à Collioures. Elle y est allée quand elle était petite. Si je veux elle m’en taille une tout de suite pour que je voie ce qu’elle sait faire dans un plumard. Je referme le coffre-fort. Elle me crache à la figure. »

La sexualité, omniprésente dans l'œuvre de Calaferte, apparaît ici à la fois dans ce qu'elle peut être de plus élémentaire et essentiel (« Au commencement était le Sexe. », dit la première phrase du grand Septentrion) que dans l'influence viciée qu'elle peut avoir sur les rapports de force qui vampirisent les relations humaines dans une époque où plus que jamais les réflexes de survie font parfois appel à ce qu'il y a de plus bas chez chacun.

Quand on ouvre C'est la guerre on se dit que le titre est naïf, que c'est un simple constat. Quand on le referme on comprend qu'avec ce titre Calafert déclare la guerre à l'Histoire officielle, aux compromissions de tous genres, et peut-être bien à la médiocrité humaine dans son ensemble.

            « - Nom de Dieu, si j’avais eu le temps, je leur aurais fait voir ma carte de visite à ces saligauds de Boches ! Plusieurs fois j’ai failli entrer dans la Résistance. Demandez à ma femme.
            La femme dit oui.
            - Mon beau-frère lui aussi, le commis, vous le connaissez ? Lui, il était résistance, résistance !
            La femme dit oui.
            - Ce qu’il aurait fallu, c’est avoir du temps et connaître des gens.
            La femme dit oui. »

Précisons pour finir qu'à l'égal d'une grande partie de l’œuvre de Calaferte, C'est la guerre est joyeusement ignoré au point de devenir introuvable en librairie. C'est peut-être le prix à payer pour un écrivain qui a vécu en franc-tireur, mais il y a là un(e) mépris(e) éditorial(e) assez désagréable.


[1]     B.O.F. pour Beurre Œufs Fromage, épicier.

vendredi 26 juillet 2013

Howard Hughes - O Make me a mask



Mensonge. Duperie. Contrefaçon. Argh, damnède, nous vivons dans une galaxie où la tromperie est monnaie courante et où n'importe quelle grenouille peut se faire passer pour un bœuf du moment qu'elle n'a pas peur d'être traitée de chétive pécore, entre autres. Mais l'amour existe, il y a une lumière au bout du tunnel et quelques faits rassurants, parmi lesquels celui-ci: on ne peut pas contrefaire l'élégance. Nous parlons ici de la véritable élégance, celle qui rejaillit, qui émane, qui n'a rien à voir avec les atours ou avec une quelconque mise en scène avantageuse. Et alors nous parlons de O Make me a mask, d'Howard Hughes.




Parce qu'on pourrait faire bref et dire que O Make me a mask est une pure expression d'élégance musicale, et finalement tout serait dit. Mais ça ferait un peu rat, alors verbions un brin.
Après un morceau d'ouverture qui est en fait une chanson extraite d'un documentaire argentin, les réjouissances commencent pour de bon avec « Ginger & Fred stunts » et déjà on se dit que c'est pas du tout venant. Il y a une grâce chaloupée dans la guitare et un sens du nerf dans les arrangements dénudés de ce morceau qui emballent immédiatement quiconque a du goût pour la sobriété dense et même les autres. La simplicité apparente de l'ensemble donne du poids à chaque détail, tel cette progressive complexité tendue des accords qui finit par transformer une impression de danse négligée en raidissement où la colère affleure.


O Make me a mask passe par beaucoup de genres issus (en gros) du blues sans jamais se départir d'une assurance et d'un bon goût remarquables. On rencontre aussi bien une sorte de rock bruyant (« Beware I'm just a singer ») qu'une ballade country (« Jimmy Dean ») en passant par des embardées plus ouvertement groovy et tout ce genre de choses hétéroclites. Mais en définitive, tous ces styles se réunissent et créent une forme de cartographie fantasmée de la musique américaine.


Cependant Howard Hughes ne se contente pas d'établir un répertoire des genres, il évolue à travers eux en prouvant à chaque fois à quel point il est à l'aise sous leurs latitudes, en montrant ce qu'il a sous la semelle qui peut nourrir ces genres et les faire briller d'un éclat différent. Certaines influences sont évidentes (Lou Reed et le Velvet Underground dans les très aimables chœurs de « Hairband » par exemple, ou Leonard Cohen dans le chant, du beau linge quoi qu'il en soit), mais au-delà d'elles ce qui finit par emporter le morceau et fasciner c'est le point auquel, à travers un ensemble de chansons, Howard Hughes finit par inventer un personnage qui serait une sorte d'incarnation d'une Amérique de losers magnifiques.


O Make me a mask convoque aussi bien le roman noir désenchanté de Dashiell Hammett (« Poisonville, USA », référence directe au terriblement chouette Moisson rouge) qu'une nonchalance qui évoque Philip Marlowe tel qu'interprété par Elliott Gould dans le Privé (et donc le Tom Waits des débuts, puisque par un étrange alignement des astres ces personnages ne font qu'un), mélange de détachement et de sensibilité masquée, tiens tiens, qui finit par éclater dans le ressentiment, comme dans l'esstraordinaire « I hate you Porgy », ou dans une forme de spleen amoureux (le très touchant « Standing in the 1/2 empty hall blues »). A la fin du voyage, O Make me a mask devient un album à part en ce qu'il est parvenu à créer une personnage à multiples facettes qu'on a l'impression de voir évoluer dans les images que provoque l'écoute.


Qui plus est, il faut souligner la grand qualité d'écriture de l'ensemble. Malgré qu'il soye français, Howard Hughes fait montre d'un talent de parolier derrière lequel de nombreux anglophones de naissance courraient sans doute. Trouver dans une chanson des paroles comme « "Understand the kind of legend she is from", her mother used to say, "she cut the stone where the knife hurt the most and inhaled diamond, cob1 and powder." », un tel vocabulaire et une telle imagerie, c'est tout de même assez inhabituel. En même temps c'est aussi assez inhabituel que le titre d'un album soit un emprunt au poète Dylan Thomas, donc tout est cohérent. Et c'est finalement assez inhabituel d'entendre un si bon album et d'y revenir très régulièrement avec le même plaisir. On espère donc qu'entre deux disques ici et là avec Coming Soon ou d'autres comparses Howard Hughes trouvera bientôt le temps de donner une suite à O Make me a mask, on a grand besoin de sa classe et de sa grâce nonchalante.


1Du moins il nous semble que c'est « cob » mais pas sûr du tout; c'est peut-être le seul reproche qu'on pourrait faire à Howard Hughes ici, ne pas avoir inclus les paroles de ses chansons dans le livret du disque.

jeudi 18 juillet 2013

Arches - Wide Awake

Arches nous vient de Philadelphie, cité de l'amour fraternel et du cheesesteak. Il s'agit là de son premier album et on a hâte d'entendre la suite.

 


Il paraîtrait que Wide Awake raconte l'errance d'un homme qui fuit sa vie et qui finit par voir sa perception de la réalité altérée par ses souvenirs et ce qu'il a sous les yeux, au point de ne plus pouvoir comprendre ni le passé ni le présent.

Ce dont on est sûr c'est que c'est de la diablement bonne musique, qui semble flotter d'elle-même et inviter l'auditeur à en faire de même, et qui soudain prend du poids et devient pesante et terrienne comme la colère. Un disque construit entre ciel et terre, c'est comme ça qu'on définirait volontiers Wide Awake.

Il y a de la grâce là-dedans, une science de la note juste et de l'harmonie qui fait que la simplicité des orchestrations (guitare-basse-batterie avec parfois un piano ou des claviers en plus) allie un sentiment de grande délicatesse et un sens bien dessiné de l'emphase élégante.

Ce vagabond dont on nous parle, on l'accompagne progressivement. Il faut écouter Wide Awake en errant pour bien saisir le souffle qui porte cet album. Il faut laisser les images que fait naître la musique s'épanouir et tourbillonner, laisser naître les paysages et les reliefs qui découlent des échos intérieurs provoqués par elle. Si Wide Awake est un peu au-dessus de la norme, c'est par cette impression persistante qu'il laisse de ne pas s'arrêter à nos oreilles, mais d'aller un peu plus loin. D'entrer dans notre esprit puis de ressortir en nous entraînant à sa suite. Il faut l'écouter en marchant, vraiment: on finit toujours par emprunter des chemins qu'on ne connaît pas, par laisser autre chose en nous décider de l'itinéraire. Quant à la destination, elle reste floue.


Adorno écrivait ceci: « Avec la liberté de celui que la culture n'a pas entièrement englouti, le vagabond de la musique ramasse le morceau de verre qu'il trouve sur la route et le tend vers le soleil pour en faire jaillir mille couleurs. » Wide Awake raconte peut-être bien l'histoire de ce vagabond.

L'album dans son ensemble est à écouter ici.