mardi 13 août 2013

Jean-Luc le Ténia - « Seul de nouveau »

L'envie de parler ici de Jean-Luc le Ténia, de dire la valeur de son œuvre, sa force, sa densité à nos yeux, cette envie-là est présente depuis le jour de la création de ce blog. Elle l'était même avant, au moment où le projet se mettait en place.
Cette envie s'est transformée en nécessité le 3 mai 2011, date à laquelle Jean-Luc le Ténia s'est suicidé. Au-delà de la tristesse des faits, au-delà de l'abattement provoqué par l'idée qu'un homme qui semblait avoir fabriqué ses propres armes pour mener le combat ordinaire avec un panache bancal (et parfois sublime) puisse finalement décider de baisser les bras, il y a ce sentiment qu'il est nécessaire de parler de Jean-Luc le Ténia pour combler cette période de latence que nous traversons.
A l'issue de cette période de latence, nous en sommes convaincu, viendra le jour où l'on commencera à prendre cette œuvre au sérieux, où l'influence de Jean-Luc le Ténia se fera concrète et évidente, où la justesse et la précision de son style seront estimés à leur entière valeur.
Écrire à propos de Jean-Luc le Ténia est donc une nécessité. Mais comment faire pour présenter une œuvre si pléthorique (35 albums, la plupart d'entre eux étant composés de trente à quarante morceaux faisant rarement plus de deux minutes, mais dépassant parfois le quart d'heure) et atypique (des morceaux faits maison enregistrés à la zeub dont la légende dit qu'ils ne devaient pas représenter plus d'une heure de travail pour leur auteur, sans quoi il les foutait à la poubelle automatiquement), comment faire pour l'embrasser dans son ensemble? C'est impossible. Prenons alors le petit bout de la lorgnette et intéressons-nous à une seule chanson de Jean-Luc le Ténia, « Seul de nouveau », extrait de l'album le Meilleur chanteur français du monde.



Pourquoi celle-là plutôt qu'une autre (et Dieu sait que parmi le bordel foisonnant de morceaux plus ou moins hasardeux et improbables il y a un sacré paquet de pépites, sombres comme légères), simplement parce qu'ici et maintenant c'est celle qui nous occupe et qui nous semble être la plus révélatrice du style de Jean-Luc le Ténia. C'est du travail d'avoir un style pour un chanteur, pour beaucoup une vie n'y suffit pas. Jean-Luc le Ténia n'était pas chanteur professionnel mais c'était un styliste unique en son genre. Qu'y a-t-il dans « Seul de nouveau »? Quelques accords de guitare répétés, une variation de rythme progressive, et quatre phrases. Et pourtant, une vérité profonde du ressenti humain est exprimée par cette voix dénuée de faux affect ou de recherche d'effets. Est-il manière de mieux dire le désarroi et le doute aussi simplement, avec un tel sentiment de vérité, d'immédiateté? Ici et maintenant, ça nous semble difficile. Et c'était ça le travail de Jean-Luc le Ténia : saisir l'ici et maintenant à la microseconde près, à l'instant où le jugement réflexif, l'égo, la peur du ridicule ne sont pas venus trahir le ressenti à vif, et parvenir à le faire exister entièrement.


Jean-Luc le Ténia travaillait à la médiathèque du Mans, quand il rentrait chez lui il écrivait et enregistrait des chansons, ça n'était sans doute pas l'homme le plus resplendissant du monde, ça n'était sans doute pas la plus grande crapule sur terre, c'était un parmi d'autres, mais lui avait le chic pour transformer son art en blocs de vérité.
Et Jean-Luc le Ténia n'est pas mort, il n'est peut-être même pas encore vraiment né.