vendredi 28 mars 2014

Howard Vernon

C'est souvent la nuit, quand le sommeil t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon. Tu ne sais pas pourquoi.
Première hypothèse: images des années 70, larges mâchoires, regard proéminent, visage comme projeté à l'avant du crâne, vêtu plus souvent qu'à son tour d'un costume d'officier nazi (voilà ce qu'il en coûte de savoir parler allemand dans le cinéma des années 50)... Une allure de vision cauchemardesque qui vient quand on navigue entre l'éveil et le sommeil, quelque part entre la créature de Frankenstein et Dracula... Une sorte de brutalité suave. Quelque chose qui ressemblerait davantage au produit d'une imagination nourrie au baroque noir qu'à la rencontre de deux gamètes. Une élégance sûre et profane. Howard Vernon est une sorte de sursaut d'un imaginaire enfiévré qui se révolterait de se trouver soudain plongé dans la réalité, dans le temps mesurable.

Il disait « Un être complètement équilibré ne ressent pas le besoin de prendre un crayon et de re-créer un animal. »

Il disait « En ce moment y'a rien. On a l'air d'être dissolus, mais de façon triste. »

Il disait « Nous on crève dans la médiocrité, dans la tristesse, dans la mesquinerie, dans le... beurk... Non, non, non, si on arrange cette époque elle peut être très marrante, mais faut surtout pas en faire partie. »


C'est souvent la nuit, quand le sommeil t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon. Tu essayes de tracer un parcours logique entre le Silence de la mer, Manina, la fille sans voile, Alphaville, les Exploits érotiques de Maciste dans l'Atlantide et... mettons le Théâtre des matières. Jean-Luc Godard, mais Jean Rollin; Jesús Franco, mais Fritz Lang (le second ayant cela dit fait part de son admiration pour le premier après avoir vu Necronomicon). La logique cinéphile jette rageusement son mégot par terre et s'en va en disant « Oh et puis merde, débrouillez-vous tout seul! ». Une filmographie en coq-à-l'âne, et combien de rôles acceptés pour passer du temps sous d'autres cieux et profiter de la lumière, ou faire le photographe de plateau? Pas de plan défini, les choses comme elles viennent, et un sens de l'esthétique et du beau qui connaît ses classique, mais qui tend aussi vers ce que le raté peut contenir de sublime. Il y a des princes de l'errance, et dans le mauvais goût des flamboyances.

Il disait de Jesús Franco « C'est exactement comme une femme qui met un enfant au monde et au milieu de la naissance, elle prend un couteau elle dit "J'en ai marre", elle coupe ce qui est sorti. »

Il disait « C'était complètement invraisemblable mais finalement le cinéma ça doit être ça. C'est ça pour moi. Finalement, je suis heureux. Y'a beaucoup de gens qui me l'ont reproché "Oui, vous vous êtes fourvoyé dans des films bon marché..." Eh bien je suis ravi. »


C'est souvent la nuit, quand le sommeil t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon. Un élégant qui se promène sous la pluie de juin, avec sous le bras un cahier rempli de ses photographies érotiques mettant en scène de jeunes éphèbes. Quand devant la caméra il frottait son corps contre celui de femmes, rêvait-il de formes dénuées de seins et avec moins de trous dedans? Ou peut-être qu'il prenait là aussi tout ce qu'il y a de jouissif à prendre. Peut-être que sa vie n'était pas une ligne droite vers la mort, mais une piste à flanc de volcan sur laquelle il évoluait en ne se souciant que du geste de l'instant, sans savoir quelle serait sa prochaine figure et en s'en moquant éperdument. C'est peut-être possible d'accomplir sa vie comme un ample geste fractionné en une infinité de gestes plus petits, mais dans lesquels on s'inscrit entièrement. C'est peut-être possible de vivre, en tenant les contraintes en respect, en faisant taire à l'intérieur les grognements des chiens par la grâce de son duende. C'est peut-être possible de ne remplir l'instant que de l'instant. D'être là.


C'est souvent la nuit, quand le sommeil t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon.
Parfois un rossignol chante. Parfois un fantôme te hante.
Parfois tu te dis que la nuit n'en finira pas, mais Howard Vernon est là.
Et il t'aide à comprendre qu'il n'y a pas d'autre route que celle que tes pas inventent.

lundi 10 mars 2014

Renaldo & Clara - Fruits del teu bosc

 

Un bon disque de printemps c'est un mélange savant de science exacte et de légèreté, c'est en somme une science de la légèreté exacte. Ça soutient l'efflorescence du corps et de l'esprit sans chercher à en imposer outre mesure, de la perfection qui ne chercherait pas à éblouir. On le découvre, on l'écoute en boucle, infoutu de savoir si dans six mois nous prendra l'idée de se le passer encore, mais à l'instant précis c'est exactement ce dont on a besoin. Cette année, c'est Renaldo & Clara qui nous offrent ce printemps et on leur dit merci.


On ne sait pas grand chose de ce groupe qui nous vient de Lleida, si ce n'est que Fruits del teu bosc est leur premier album après deux EP, que leur nom renvoie sûrement au film (quasi) fantôme de Bob Dylan et aussi au fait que la chanteuse (qui écrit et compose également les morceaux) s'appelle Clara, et... Voilà.

Si Fruits del teu bosc nous semble dès l'abord extrêmement aimable, c'est parce qu'il est de la bonne et humble ouvrage. En écoutant ce disque copain on se dit que bah, tant qu'on a du soleil... On se sent devenir jouisseur léger. On se laisse gentiment gagner par un désir aux objets indistincts, bercé par ces chansons au charme discret mais solide.

Autre chose qui nous fait aimer bien cet album: cette sensation qu'il a grandi biberonné à notre cher Sonido Donosti (dont qu'on avait eu causé ici, ici et ). On retrouve dans les accords, la voix et les arrangements de Fruits del teu bosc ce doux mélange de nonchalance lascive et d'élégance teintée d'une mélancolie qui se fait parfois un peu plus présente, mais qui dans la joie d'être triste retient avant tout la joie. Mais aussi la tristesse. Mais pas une tristesse paralysante. Enfin vous voyez quoi. 

Il serait vain de s'étendre davantage, ce disque invite à l'économie de mots et au vagabondage de l'esprit, pas à la visite guidée. On peut l'écouter en entier ici, se le procurer pour une somme risible , et on lui fait de gros bisous.