lundi 8 novembre 2010

Le Chignon d'Olga

C’est un cauchemar récurrent : je revois Le Chignon d’Olga et je ne ressens plus rien. Pas de rire, pas d’émotion, rien. Le film se termine, et l’écran devenu noir et me révèle mon reflet : je m’aperçois alors que je suis devenu vieux, rabougri, et triste. Du genre à trouver le temps trop long.

Le Chignon d’Olga est le premier film de Jérôme Bonnell, qu’il a réalisé âgé de 23 ans, et cette jeunesse se ressent. Mais dans le bon sens du terme : la réalisation ni le scénario ne font preuve à aucun moment d’amateurisme ou de manque de subtilité ; en revanche, la retranscription de l’état d’esprit d’un jeune homme d’une vingtaine d’année est admirable de justesse.

Ce film raconte l’histoire de Julien, ledit jeune garçon, d’Emma, sa jeune sœur, et de Gilles, leur père. Il y a une absente et c’est autour d’elle que tout tourne, au fond. Mais cette absence est rendue présente en filigrane, avec une grande subtilité. Car Bonnell a le désir, ô combien louable, de ne pas montrer au spectateur ce qu’il doit voir. Le film est au fond la chronique d’un été : c’est l’histoire d’une famille qui doit se reconstruire, de chacun de ses membres qui doit apprendre à faire sans, et à reprendre pied. Mais cette histoire est racontée de mille petites manières détournées. C’est un garçon qui ne veut plus jouer de piano et qui est fasciné par une femme qui porte un chignon, c’est une fille à qui la vie confie un rôle auquel elle n’était pas prête et qui a envie de partir mais que quelque chose retient, c’est un homme qui a tout pour être malheureux, mais doté d’une âme forte, qui fait des grimaces devant son miroir et s’émerveille comme un enfant devant Le Cirque de Charlie Chaplin. C’est bien des choses encore.

C’est banal à dire mais ce film ne serait rien sans le jeu des acteurs. Méconnus pour la plupart, mais tous excellents. En tête, tressons une couronne de lauriers à Serge Riaboukine, qui est incroyablement touchant dans ce rôle d’homme normal, qu’on ne lui propose pas assez souvent. Une autre pour Marc Citti, un secret trop bien gardé, capable ici de dévoiler toutes les facettes d’un personnage pas si évident, mais qu’il rend extrêmement attachant. Et puis il y a le trio de jeunes acteurs, Hubert Benhamdine, Florence Loiret-Caille et Nathalie Boutefeu, tous capables d’émouvoir puis de faire rire d’une seconde à l’autre.


Car c’est là un autre point fort du film : le fait d’être une véritable chronique, au sens où rien n’est jamais absolument sombre ni absolument léger. On a rarement vu l’évocation d’un deuil si bien dessinée,  avec ses moments d’abattements et de doute, certes, mais aussi avec ces moments où la vie refait acte de présence, où l’envie au sens large renaît avec une force considérable. Bonnell est parvenu à écrire un scénario où chaque micro-événement fait sens, où la direction prise par un personnage l’emmène ailleurs, là où il n’imaginait pas aller. Il parvient qui plus est à rendre la force des moments de flottements a priori insignifiants. Julien voit des moutons dans un pré et se met à courir derrière eux en hurlant, se laisse tomber dans l’herbe, puis se relève et reprend sa course. Dit comme ça, ça n’a l’air de rien, mais à l’écran  l’alchimie qui opère grâce au travail de Bonnell rend cette de scène émouvante et significative. Pour dire les choses, les dialogues ont le bon goût d’être anodins en apparence. Les personnages ne parviennent jamais à dire ouvertement le problème, et pourtant toutes les tensions qui les habitent ressortent dans leurs conversations les plus banales, comme par magie. « Il y a des fois où j’aurais envie de hurler de toutes mes forces, mais en même temps j’aimerais que personne n’entende. », dit Julien ; c’est sur ce principe de hurlement muet que les dialogues sont construits : ils disent davantage par la simple suggestion que ne le permettrait un texte trop écrit. 

Ce film est aimable précisément dans sa volonté de ne pas faire d’esbroufe, de ne pas chercher à en mettre plein la vue au spectateur, et ce pour lui permettre de mieux s’approprier cette histoire, de se sentir plus proche des personnages. Une légèreté apparente pour mieux faire ressortir la gravité de certains sentiments, de certaines situations. Le réalisateur fait confiance au spectateur, c’est suffisamment rare et appréciable pour être salué.

On parlait au début de la peur de la vieillesse et de la perte des émotions qui l’accompagne. C’est au fond de cela qu’il s’agit dans Le Chignon d’Olga : de personnages plus ou moins jeunes qu’une perte a fait soudainement vieillir, qui ont pris la mesure du fini et de la mortalité et qui s’aperçoivent qu’il leur reste une vie à vivre, et que c’est à la fois peu et beaucoup. De manière plus ou moins détournée, tous ces personnages se demandent comment ils vont pouvoir vivre, ce qu’ils vont devoir faire. Ils ont peur qu’à travers la mort de l’autre une part d’eux-mêmes soit morte aussi. Mais ces situations forment un spectacle vivifiant parce que ces personnages se trouvent finalement portés par le désir, comme s’ils se réveillaient d’un long coma et que l’été était là pour eux, pour les faire renaître dans une belle lumière caressante et doucement mélancolique. Le chignon qui donne son titre au film n’est en fait pas le nœud de l’histoire, et pourtant c’est de manière détournée ce qui fera sortir Julien de l’abattement, ce qui lui redonnera goût aux choses. Le Chignon d’Olga est en fait un film qui redonne confiance, tout simplement, qui va chercher dans une situation tristement banale les étincelles de vie qui demeurent, révélant la force dont chacun est doté lorsqu’il s’agit de se coltiner la mort.



Le 11 septembre 2001, Jérôme Bonnell et Nathalie Boutefeu tournaient pour le film une scène de claquettes. Dans ce contraste entre l’événement à portée générale et ce vécu particulier on peut voir un symbole: partant d’un contexte difficile et propice au renoncement, Le Chignon d’Olga apporte de la respiration, de la légèreté, et nous laisse avec la convictions que la vie vient à notre aide sans que l’on en ait conscience.

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