mercredi 21 septembre 2011

Range ton prie-Dieu, les Russes débarquent

C'est à peine croyable, mais nous fêtons presque l'anniversaire de ce blog aujourd'hui. Ce non-événement est uniquement là pour servir d'appui à notre fainéantise, car comme dans une mauvaise série américaine, nous allons en profiter pour revenir en arrière. Plus précisément, sur certaines des personnalités marquantes que nous avons évoquées ici, et surtout sur ce qu'elles deviennent. Histoire de voir à peu de frais.


A tous seigneurs, tous honneurs, nous avons évoqué ici les glorieuses personnes de Chris Morris et Nicolas Winding Refn, ainsi que leurs œuvres. Or figurez-vous que ces deux-là nous ont respectivement pondu les meilleurs films de 2010 et 2011[1].

Avec We are four lions, Chris Morris a tout simplement atteint un sommet de comédie intelligente que l'on n'avait pas visité de puis La vie de Brian des Monty Python. Comme on pouvait s'y attendre, des bas de plafond (oui Pierre Moscovici, c'est de toi que je parle[2]) ont avalé de travers et se sont offusqué. À part que Chris Morris, dont nous ne cesserons jamais de louer l'intelligence supérieure, réussit en deux heures à renvoyer dans leur néant tous ceux qui voudraient faire des terroristes des monstres absolus enfantés par quelque vague engeance, satanique à n'en pas douter. Les terroristes de Morris, tout hilarants qu'ils soient, nous laissent au sortir du film avec une impression étrange: celle d'avoir eu un accès de lucidité, d'avoir entraperçu la complexité larvée dans les faiblesses de la nature humaine. Cartographier le monde instable qui est le notre, saisir l’état d’errance de l’humanité, le tout en nous faisant rire comme des baleines, voilà qui est un tour de force. On a donc hâte de voir la suite.


En ce qui concerne Nicolas Winding Refn, nous serons moins diserts afin de n'en pas trop révéler sur Drive, qui sort le 5 octobre prochain. Disons simplement que rarement prix de la mise en scène à Cannes a été si amplement mérité. C'est bien simple: le film commence par une scène de bravoure qui prend le contre-pied de ce que devrait être la scène d'ouverture d'un film banal, et il continue sur la même lancée pendant une heure et demi. Il y a là-dedans de la grâce, de la souplesse, des plans où l'amour et la violence sont réunis, où le kitsch devient d'une classe folle... En un mot c'est du très grand art. Difficile de savoir si Drive aura du succès, mais on peut être sûr que les centaines d'idées qui fourmillent là-dedans seront allègrement pillées dans les années à venir. Alors autant courir voir l'original pour prendre son pied au cinéma, vous savez quoi faire le 5 octobre au soir.




Dans plusieurs compilations (nommément celle-ci, celle-ci et celle-là) nous avons convoqué le grand talent de Frànçois & the Atlas Mountains. Soyons honnête, nous avons voulu à plusieurs reprises écrire un chiadé billet au sujet de ce groupe, et nous nous y sommes constamment cassé les dents. C'est un peu comme essayer d'attraper le vent avec un filet à papillons. Parce qu'il  y a de ça dans la musique de Frànçois & the Atlas Mountains, quelque chose de céleste, une émotion dans laquelle on se trouve soudain immergé et puis qui entre au plus profond de nous et nous renverse de l'intérieur. On se retrouve avec des larmes dans la gorge sans savoir pourquoi, et ça nous rend heureux. C'est de la fragilité robuste, un peu comme si on pouvait chevaucher une libellule. Quoi qu'il en soit, Frànçois & the Atlas Mountains va sortir un nouvel album, E volo love, début octobre (après une multitude d'E.P. et le premier et hautement beau Plaine inondable). Et à la réflexion nous pouvons affirmer que c'est pour nous l'album le plus attendu de l'année.




Nous avons ici fait part de notre béguin adolescent pour Matt Berry. C'est dorénavant officiel, nous sommes profondément amoureux de lui, et le considérons comme le novateur du Beau. Après avoir proposé en téléchargement gratuit[3] Summer Sun, un E.P. inégal mais franchement excitant quand il tapait dans le bon (entre chanson de sabbat avec « Gather up » et rock psychédélique avec « On a high (the sky is burning bright) »), Matt Berry a sorti son troisième album[4], Witchazel. Après une tendance à aller chercher le glamour graisseux d'arrangements renvoyant aux années 80 pour Opium, Matt Berry a choisi cette fois de se rapprocher du rock des années 70 via une fringale de petits détails et d’une forme hantée de folk anglais, allant jusqu'à convoquer pour la blague un certain Paul Mcartney (la blague a parfois marché) pour faire avec lui un duo défoncé où l'on exhorte l'auditeur à arrêter de se comporter comme un japonais, allez donc comprendre. Musicalement, c'est de très bonne tenue et quand on sait que Berry, en multi-instrumentiste accompli, joue quasiment toute la musique de l’album, on a le tirage de chapeau qui nous démange. Les Anglais commencent à reconnaître son talent puisque Witchazel a été élu comme un des meilleurs albums du mois lors de sa sortie par les très select disquaires Rough Trade, et que Jarvis Cocker himself a intégré le morceau « A song for Rosie » dans la programmation de son Sunday Service sur BBC6 Music. 
Parallèlement à cela, une édition DVD de Snuff Box, série coécrite par Matt Berry et son acolyte mighty-booshien Rich Fulcher, va voir le jour aux Etats-Unis. Dans les bonus, quelques comiques et acteurs US bien en vue y vont de leur éloge de cet humour. Prophétisons alors un peu: les Etats-Unis, via certaines de leurs vedettes, vont populariser quelques grands noms de la comédie anglaise contemporaine[5]. La France, comme toujours, suivra alors les Etats-Unis et découvrira avec dix ans de retard qu'il y a chez ses voisins des types formidables. Ce sera bien, mais c'est tout de même dommage que les décideurs télévisuels français soient à ce point infoutus de reconnaître le talent là où il est et de chercher l'inventivité ailleurs que dans leurs rectums.

Finissons par ce qui est peut-être la nouvelle musicale la plus excitante de l'année: nous avions parlé ici du grandiose #3 de Diabologum, et nous l'avions fait au passé. Sauf que Diabologum va se réunir pour quelques concerts dans les mois à venir, et que qui sait, peut-être, même si ça n'est pas à l'ordre du jour, ils referont un album ensemble. Si tel est le cas ça les pendules seront remises à l'heure, et la terre tournera plus rond.

C’est ainsi qu’Allah est grand et que la boucle est bouclée.


[1] Jugement un brin péremptoire, tant il est vrai que nous n’avons encore vu ni L’Apollonide de Bertrand Bonello ni Le Cheval de Turin de Béla Tarr.
[2] Explication: Moscovici et Morris étaient un soir invités sur un plateau de télévision; Morris présentait son point de vue, fort des années de recherches, de rencontres, d'observations et de réflexion qui ont abouti à ce film dont le propos est d'aller plus loin que la représentation médiatique du terroriste comme un nouveau grand méchant loup afin de réfléchir à l'essence du terrorisme. Et cette pauvre tanche de Moscovici de prendre un air pincé et de nous sortir son laïus préféré "Oui moi j'étais dans un avion qui survolait New-York le 11 septembre je peux vous assurer que ça rigolait pas." Si Pierre Moscovici connectait parfois ses deux neurones, il s'apercevrait que ce genre de réaction n’est au fond que de la rumination malsaine, tandis que le travail de Chris Morris est profondément constructif et propose un furieux décrassage de nos regards obscurcis par le traitement médiatique épidermique et hystérique du sujet complexe qu'est le terrorisme.
[4] car oui, mea culpa, nous parlions d'Opium comme son premier alors que non, Berry avait sorti dix ans auparavant un album absolument introuvable intitulé Jackpot, en prenant comme pseudonyme Jeffrey Porksmith, les anglicistes apprécieront
[5] il suffit de voir l'amour que porte Ben Stiller à Richard Ayoade, que nous évoquions en passant dans le billet sur Matt Berry et qui nous a offert cette année un très beau premier film, Submarine, produit par Stiller qui en profite pour y faire le caméo le plus minimaliste de l'histoire du cinéma.

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