Tout commence par une simple interrogation: pour quelles obscures raisons écouté-je encore l'unique album de Di Maggio, paru il y a bientôt dix ans? Qu'est-ce qui fait qu'à chaque nouveau printemps me reprend l'envie d'aller me balader avec ces 11 chansons dans les oreilles? Et pourquoi diable ai-je passé tant de temps en quête d'informations sur la suite de l'aventure? Parce qu’après tout, ce disque n'est pas parfait, loin s'en faut, seulement voilà: il suffit que je repenche une oreille dessus pour être emballé comme au premier jour, et c'est une belle chose que cela.
Réglons d'entrée de jeu la question du successeur de ce disque: il n'y en aura pas. Di Maggio s'est séparé relativement peu de temps après la sortie de leur album, pour des raisons floues (conflits internes selon certains, débuts de la crise du disque et intérêts divergents selon d'autres). Depuis Cyril Ximenes a composé la bande originale du film « Pas douce » (de Jeanne Waltz) ainsi que des musiques de publicité, et on n'a pas de nouvelles musicales de Franck Mallauran (qui semble cela dit créer sur plusieurs fronts).
Maintenant que nous avons commencé par la fin, revenons au début. L'album éponyme de Di Maggio est la concrétisation d'une longue complicité (quinze ans d'amitié, presque cinq de travail sur ce disque) entre les deux membres du groupe, Cyril Ximenes et Franck Mallauran, donc. Pour schématiser, le premier s'occupe de la musique, le deuxième des textes. La sortie de l'album, au printemps 2001, ne passe pas inaperçue. Des morceaux sont programmés à la radio (Nova et France Inter notamment) et des grands quotidiens et hebdomadaires (Libération et les Inrockuptibles, entre autres) y vont de leur éloge. Ces articles disent sensiblement la même chose: le groupe est marseillais, le chanteur écrit ses paroles sous forme de cut-up (ou collage), on pense à Bashung quand on écoute le disque, à Gainsbourg quand on les voit sur scènes (bicoze le chanteur a les oreilles décollées; ça c'est du journalisme de pointe). Bref, ça semble plutôt bien parti. Pourtant, force est de constater qu'aujourd'hui Di Maggio n'évoque pas grand chose au commun des mortels. Et c'est triste. Ô combien.
La musique de Di Maggio est un heureux mariage polygame entre l'électro et plein d'autres styles, entre le sampling et un quintet à cordes, entre une fascination pour le gangstérisme et un intérêt poussé pour les choses du coeur, entre la tristesse et la joie, la violence et la douceur, entre la métacarpe et le surlapin en somme. S'y côtoient une sorte de complexité dans les multiples attentions minuscules qui fourmillent çà et là (il m'a fallu plusieurs écoutes pour comprendre que dans « La fille » ce vieux grigou d'Alexandre Varlet prenait à un moment la place du chanteur) et une simplicité parfois telle qu'elle en devient audacieuse (cette guitare qui, dans « Madame X » s'amuse à jouer une même note de manière répétitive, là encore sans qu'on s'aperçoive de la légèreté de la chose, parce que ça sonne bien). Il en faut encore, de l'audace, pour chanter "Madame X et moi, quand nous étions tous nus, je décorais sa crèche, j'y posais mon Jésus". Di Maggio vérifie ainsi à plusieurs reprises l'affirmation de Bertrand Bonello (dans « De la guerre ») selon laquelle la recherche du beau passe nécessairement par la prise de risque. Au fond, Di Maggio semble se moquer de ce qui se fait et ne se fait pas, et cette liberté leur a réussi. Combien de groupes électro-rock (grosso modo) reprendraient une chanson de Trenet? Di Maggio le fait sans se poser de question, et réinvente « Que reste-t-il de nos amours? » de belle manière.
Il serait par trop fastidieux de faire l'éloge de chaque morceau. Pourtant il y aurait beaucoup à dire sur l'ouverture toute en douleur de l'album (« Mes objectifs »); sur le dyptique « Nana Toshiko »/ »Anita Bororo », où les cordes sont utilisés avec une grande sagesse, ici en pizzicati pour évoquer la froideur de la société japonaise, là avec emphase pour accompagner l'exaltation d'une cavale amoureuse sud-américaine (au point que l'on songe à l' outrageusement bon « Archi-Cordes » de Michel Legrand); sur la violence musicale et textuelle du « Braquage », ou encore sur la transformation du « Séchoir » (à cheveux) en objet culte de la mythologie amoureuse.
Mais arrêtons nous sur les deux principaux morceaux de bravoure qui font que cet album méritait bien mieux que le sort négligent qui lui a été réservé par le public:
« Madame X », déjà évoquée plus haut, ressemble à une tragédie de poche. En quatre minutes un personnage passe de la terre au paradis, puis à l'enfer, accompagné par deux notes d'une contrebasse qui semble sans cesse trébucher avant de pouvoir enfin se libérer, quand sur les accords lents des violons se greffent une guitare agressive et une trompette criarde. Après écoute, on peut rester hanté par ces violons aériens, ou admiratif du subtil dialogue de guitares qui s'installe pour un instant.
Et puis il y a « Nova Mars », qui nous donne envie d'utiliser le mot "miraculeux". Si l'ouverture de l'album se fait dans l'obscurité, sa fermeture est lumineuse en diable. Une question se pose: pourquoi cette chanson ne s'est-elle pas instantanément transformée en tube de l'été 2001?[1] « Nova Mars » est une invitation à la respiration, la légèreté, la plénitude, la sieste potentiellement crapuleuse, et tout ce genre de choses qui donnent envie d'être content. Il y a au fond peu de chansons profondément heureuses qui valent le détour, on a tôt fait de tomber dans la facilité, la crétinerie ou le miel au saindoux. « Nova Mars » se risque sur ce terrain, et en sort triomphante.
Après la sortie de l'album Di Maggio a fait une tournée[2]. En 2002 le groupe a composé la musique du film (profondément marseillais) « Total Kheops », d'Alain Bévérini. Et voilà tout. "La fin de notre bringue", prédisait « Mes objectifs ».
Le bon côté des choses, c'est que Di Maggio n'est pas non plus absolument maudit. On peut donc, si l'envie nous en prend, rattraper le temps perdu en écoutant leur album sur deezer ou musicme, voire l'acheter pour une demi-bouchée de pain sur amazon, prolongeant ainsi l’été comme on pourra. C'est rien chouette.
[1] "Parce que la même année il y avait l'hymne des lofteurs", nous répond la voix du peuple.
[2] D'aucuns disaient que c'était très jazz, d'autres que les morceaux étaient interprétés comme sur l'album ; nous voilà dès lors bien embêtés par ces témoignages discordants qui nous empêchent de mettre la chose au clair.
Cher Apache,
RépondreSupprimermerci !
Merci 1000 fois, pour cette découverte.
Jusque là, la scène marseillaise se limitait pour moi aux bizzareries de Leda Atomica (http://www.myspace.com/ledaatomicamusic), à la poésie décalée et dub de Jo Corbeau (http://www.myspace.com/jocorbeaulamicaledubnaturelle) et du Massilia Sound System ou, bien sûr, à la tribu hip hop derrière les incontournables papys old school IAM. Comment ai-je pu passer à côté de Di Maggio qui est à la fois une sorte de synthèse de tout cela, et une heureuse exploration en des terres musicales qui d'ordinaire me titillent fort agréablement les oreilles, de la Trip Hop à Mr Bashung pour ne citer que ceux-là ?..
Merci encore. Et vive Deezer, au passage.
C'est la bonne question, comment la France a-t-elle pu passer à côté de Di Maggio alors que tout se présentait plutôt bien? A mon avis c'est le 11 septembre qui a tout fait foirer.
RépondreSupprimerEn tout cas merci pour les remerciements et pour les liens, je vais aller jeter une oreille à ça.
T'es rien normand dans ta manière de parler, pour un lyonnais.
RépondreSupprimerOui bon certes je suis lyonnais, mais je me vois avant tout comme un citoyen du monde, tu sais...
RépondreSupprimerJe tombe - un peu tard - sur cet article et me reconnais instantanément dans la 1ere phrase : voila maintenant 14 ans que je ne cesse de ré-écouter cet album. J'avais entendu 'Nova Mars' sur une compile des inrocks et avait acheté le CD aussitot. Il ne m'a jamais lassé - peut-etre parce qu'il a toujours gardé une part de mystère... ou parce que "les fées s'étaient penchées sur son baby-relax".
RépondreSupprimerMerci.
Merci à vous; c'est bien vrai qu'il y a du mystère là-dedans.
SupprimerTiens, en relançant l'album, je pars - encore une fois - à la recherche d'infos et je tombe sur ce billet. Il promettait tellement fort, ce duo...
RépondreSupprimerC'est vrai; et en même temps peut-être que le côté "album unique" joue aussi en la faveur du regard qu'on porte sur Di Maggio aujourd'hui.
SupprimerBah, moi j'aurais bien vu au moins trois albums pour me faire une vraie idée :-)
RépondreSupprimerHé hé, ça se défend... Je me souviens pas trop du travail accompli sur la B.O. de "Total Khéops", put-être que ça pourrait faire office de n°2. Et puis qui sait, peut-être que Di Maggio se reformera pour une tournée des festivals en 2023?
SupprimerJ'imagine bien la foule en délire aux Vieilles Charrues...
RépondreSupprimerEn fait, il faudrait ouvrir une page Facebook. Si ça bouge un peu, peut-être qu'ils penseront à une reformation ?
RépondreSupprimerIl y en a une (https://www.facebook.com/Di-Maggio-46070888278/?fref=ts), mais elle n'est jamais vraiment mise à jour et c'est difficile de savoir si les membres du groupe sont derrière ou si c'est une initiative d'admirateur...
SupprimerAh oui, c'est succinct. Il faudrait peut-être la squatter pour la faire bouger :-)
SupprimerJe sais pas, en fait je crois vraiment que cette situation de groupe à album unique me convient.
SupprimerJ étais leur éditeur à l époque. Je les avais signé sur la fois des maquettes. Puis fait signer sur un label d une major. Une Histoire un peu tragique, qui leur allait bien,n a pas aidé la sortie de l album. Franck était difficile à saisir. Écorché plus que vif. Il me reste l album et une sculpture offerte par Franck. Une fille en carton. Sublime. Jean-Christophe thiefine
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ces informations!
Supprimerbonjour je m'appelle cyril ximenes, on a fait un deuxième album qui n'est jamais sorti si tu me donnes une adresse je peux te l'envoyer
RépondreSupprimermerci
Bonjour,
SupprimerÇa me fait plaisir de savoir que vous êtes passé par là, et la proposition m'intéresse beaucoup oui: apache-median arobase hotmail point fr
Merci!
Ah moi, je suis intéressé :-) lian00"arobase"gmail"point"com
RépondreSupprimercyril bordel!!!!! enfin cyril ximenes
RépondreSupprimermais quel album!!
madame X me fait encore chialer ce soir. les samples, la contrebasse, la guitare de franck à la fin. même chanté par mitroglou elle me ferait des frissons. j'ai bientôt 49 ans. c'est le seul cadeau que j'aimerai qu'on me fasse. vous deux sur scène pour celle là et les autres.
Nova Mars à la guitare ? Je l'ai transcrit ici :
RépondreSupprimerhttps://tabs.ultimate-guitar.com/tab/di_maggio/nova_mars_chords_2388999
Enjoy !
Euh, vous l'avez vraiment reçu ce deuxième album jamais sorti finalement ?
RépondreSupprimerOui! J'espère ne faire de tort à personne en le proposant en téléchargement ici: https://mega.nz/#!4RdG2KrQ (clé de déchiffrement: _Z_mA4P1SDMYtvitI97huSczXLoLhHcb4hk2vQ5FfYc ). Bien sûr si ça pose problème je peux retirer ce lien. Quoi qu'il en soit merci beaucoup à Cyril Ximenes pour ce beau cadeau.
RépondreSupprimercher Apache...je tombe sur ce blog par hasard, j'écoutais " Nova Mars" et m'est venue l'idée d'aller fouiner un peu. Bien m'en a pris, votre lien est toujours valable. mille mercis ....
SupprimerJe découvre seulement aujourd'hui ce groupe. Merci pour cette belle chronique et merci aussi pour le lien!
SupprimerAvec grand plaisir!
SupprimerBonsoir à tous,
RépondreSupprimerJe découvre cette belle chronique d'un groupe dont je regrette la brève existence.
J'étais vendeur disque à la FNAC de Nice à l'époque de la sortie.
Un véritacle coup de coeur lors de la première écoute avec le représentant de Warner, groupe qui plus est venait de ma ville d'enfance Marseille. Je n'ai plus les chiffres en tête mais cela avait plutôt bien fonctionné chez nous, je l'avais conseillé un max avac coup de coeur et écoute sur les bornes.
Je me rapelle aussi les avoir vu dans une salle à Cannes, un excellent concert avec un chanteur charismatique.
On espère toujours une reformation...