mercredi 30 juillet 2014

Emballements estivaux 2/2: Lewis - l'Amour

Quoi de plus excitant, intrigant, effrayant et tout ce genre de chose que ce qui ne dit pas vraiment son nom, et reste en partie inconnu? Peut-on vraiment désirer autre chose que ce qui nous échappe au moins en partie? Vous avez trois heures; indice: non, c'est même la condition nécessaire au bordel que de ne pas pouvoir entièrement embrasser l'objet du désir sous peine de mourir un peu, ou entièrement (exemple: la mère de Dionysos, qui n'avait rien compris au film et qui mourut d'avoir vu Zeus dans son entière majesté).
Cet état de fait laborieusement posé, il nous faut bien admettre que dans ce qui nous a d'abord attiré dans les filets (de voix, hu hu hu) de Lewis, c'était le mystère presque entier qui l'entoure. Jugez plutôt: on ignore son vrai nom, on n'a conservé de lui que quelques chansons ainsi que le produit d'une séance de photos qu'il a payée d'un chèque en bois. Ce que l'on sait, c'est qu'il conduisait une décapotable blanche, qu'il était toujours accompagné de belles femmes, qu'il habitait essentiellement au Beverly Hills Hotel, et qu'il a roulé son monde dans la farine plus souvent qu'à son tour. Impossible de savoir s'il est vivant ou non, et sous quelle latitude.


Ça vous rappelle peut-être quelque chose et ça n'est pas étonnant. Light in the Attic, le label qui ressort l'Amour, a également été à l'origine de la sortie de l'ombre de Rodriguez, il y a quelques années de ça, dans des modalités à peu près similaires. On peut alors s'interroger un brin et se dire qu'il y a quelque chose d'un peu louche dans cette manière assez roublarde de jouer au pisteur1; surtout on peut commencer par douter de ce que la valeur musicale de ces découvertes à répétition sera présente à chaque fois. Peut-être bien, pensions-nous in petto en apprenant la parution de ce nouvel album mystérieux, qu'il n'y aura rien derrière l'image fantôme. Heureusement ça n'est pas le cas.

Le dispositif des dix chansons qui constituent cet album est pour le moins simple: un piano, une guitare sèche, un synthétiseur et une voix qui va assez aisément d'un aigu relatif à un grave relatif pour marmonner des paroles, mais les marmonner avec une certaine élégance de héros fatigué. Et comme sujet, l'amour. Ce qui tombe bien puisque c'est le titre de l'album. Mais pas n'importe quel amour; même si les paroles sont difficiles à comprendre, on saisit que le sentiment dont il est ici question est plus souvent nostalgique et/ou idéalisé car non assouvi que pleinement épanoui. Des idées noires mues dans la décapotable blanche d'une musique vaporeuse comme un rêve de nuage, portées par une voix au charme imprécis.

Comme les éditeurs de disque et les critiques sont parfois un peu patauds, tous se sont précipités à l'écoute de ce disque porté par des nappes de synthétiseur pour dire que ça évoquait les musiques d'Angelo Badalamenti, pas faux, et donc l'atmosphère des films de Lynch, grossière grossière erreur. A aucun moment les chansons de Lewis ne nous transportent dans les forêts brumeuses de Twin Peaks ou dans la nuit noire des collines environnant Los Angeles. Non, si l'Amour construisait un monde à son image, ce serait un monde qui s'accorderait mieux aux films de Michael Mann première époque, tendance le Solitaire et Deux flics à Miami (la série surtout, mais un peu le long-métrage aussi). 

Si l'Amour était un décor ce serait un coucher de soleil permanent sur un bord d'océan de carte postale, mais animé par un sens complètement assumé du kitsch. Ce qu'évoque la musique de Lewis, c'est Lewis lui-même qui roule sans but dans sa Mercedes blanche, exposant son mal de vivre d'amoureux solitaire aux rayons chauds oranges et roses du couchant. Oui, on imagine Lewis doté de ce sens du mauvais goût classe qu'on trouve parfois chez Michael Mann. On l'imagine, à l'écoute de « Summer's moon » par exemple, en train d'errer sans but, porté par son dépit sentimental, maintenu en vie parce qu'habité par la force des sentiments qu'il n'a pas pu assouvir (pour ainsi dire) sur l'objet de son désir. Mais le tout avec flegme, et nonchalance. Un homme négligemment hanté et mélancolique, mais aussi qui se sait beau dans son contre-jour flatteur de cœur éconduit.

C'est dans ce flirt permanent entre la classe et le kitsch que les chansons de Lewis prennent leur entière mesure, et ce slow dangereux avec la mélasse dont il sort toujours vêtu de superbe est ce qui rend l'Amour si plaisant. On tient donc là la bande originale idéale des errances nocturnes estivales où, en l'absence de douces mains amies qui voudraient bien nous les enlever, les vêtements collent un peu trop à la peau .


________________________________
1 D'autant plus que la même maison de disque vient tout juste (quelle surprise, comme ça, par hasard) de découvrir et de sortir des limbes un autre ensemble de chansons de Lewis, que si c'était une méthode commerçante un peu éhontée jouant le motif de la découverte inattendue puis exploitée jusqu'à l'os ça serait moyennement étonnant.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire