Déjà, force nous est
d'admettre que nous nous sentons tout merdoux de ne parler d'Angil
and the Hiddentracks que maintenant, c'est à dire à la veille de la
parution de ce qui sera leur dernier disque. Il eût été plus mieux
de chanter les louanges que ce groupe mérite avant que celles-ci ne
soient doublées d'un sentiment de regret, et avant qu'elles
ne puissent être prises comme une soudaine affection pour ce qui
bientôt ne sera plus. Mais bon, se battre la coulpe ne sert à rien,
aimons-nous vivants tant qu'il est encore temps.
Si nous avons traîné
c'est qu'il est difficile de décrire le style d'Angil and the
Hiddentracks, ne serait-ce que du fait de la composition du groupe:
une guitare, une batterie, une contrebasse et tout un tas
d'instruments à vent, ça crée forcément autre chose que le classico
guitare-basse-batterie. Au-delà de ce qui pourrait n'être qu'une
sorte de coquetterie, ce choix instrumental est rendu pertinent par une
capacité à s'appuyer sur chaque musicien et à parfois construire des
morceaux à partir d'éléments qui ne semblent pas forcément faits pour
fonctionner ensemble. Mais ça marche, et ça apporte un supplément
d'âme à une musique qui semble découvrir le sol sous ses pas
à mesure qu'elle avance, en n'étant jamais certaine de ne pas
tomber dans le vide la seconde qui suit (de manière générale avec
Angil and the Hiddentracks on ne peut jamais trop savoir comment
finira ce qui commence). Mais ça tient debout et ça prend de plus
en plus de puissance jusqu'à finir par constituer quelque chose qui
a des airs d'expédition n'ayant d'autre but que de voir jusqu'où
l'on peut habiter le mouvement.
C'est parfois nerveux et
tendu, ça évoque parfois un paysage qui retrouve le calme après le
passage de l'orage, on a tantôt le sentiment de créations mûrement
réfléchies1,
tantôt celui d'écouter des émotions balancées à cru à travers
la voix et les instruments. Parce que c'est bien d'émotion qu'il
s'agit ici, on s'aperçoit avec Angil and the Hiddentracks qu'on est
habitué à entendre beaucoup de choses qui sont davantage le fruit
de la réflexion, et qui du même coup semblent désincarnées.
Parfois le principe d'une
chanson tient sur moins qu'une aile d'oiseau-mouche et ça file la
chair de poule (écoutez donc « Trish »), parfois ça
ressemble au chant trompe-la-peur d'un équipage qui voit la mer
faire des montagnes étranges au loin, et ça remue tout autant
(exemple: « Swan song of a refugee »). S'il fallait
vraiment définir le style d'Angil and the Hiddentracks on pourrait
faire court et dire que c'est du rock, mais alors qui emprunte au
jazz une manière de ne pas trop s'en tenir à ce qui ressemble à un
itinéraire, au hip hop une tendance à parfois scander les paroles
pour donner à la voix le tranchant du sabre, et à plein d'autres
sources d'inspirations des éléments que l'on ressent sans pouvoir
clairement les discerner.
A ce ressenti à l'écoute
s'ajoute aussi le souvenir d'un concert du groupe, où l'expression
"faire corps" prenait tout son sens, parvenant ainsi à des
moments d'intensité où les morceaux se trouvaient sublimés par
leur inscription dans le temps immédiat. C'est un mot qui est en
train de devenir galvaudé mais en assistant à un concert d'Angil
and the Hiddentracks (à ce sujet on prie le petit Jésus des Juifs
des Arabes et des Italiens pour qu'une dernière tournée ait lieu)
on voit s'incarner sous nos yeux quelque chose d'inspiré. C'est
audacieux, parfois risqué, et tout le temps beau cette manière
d'unir ainsi dans un même geste la détermination et l'imprudence.
On a le sentiment d'avancer en un terrain connu noyé sous le
brouillard et c'est franchement grisant. C'est pour ça qu'on est
foutrement triste que ça s'arrête.
N.B. : Pour que le
plaisir ne disparaisse pas tout de suite, il est possible et très
très recommandé d'aller filer un coup de main au financement de
l'ultime disque d'Angil and the Hiddentracks en cliquant ici. Ça
s'appellera Lines, ça a été enregistré en prise directe et
on est très très impatient de pouvoir écouter ça.
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1
L'apogée de ce cas étant l'album Oulipo Saliva, dont les
paroles excluent la lettre « e » et dont la musique
n'emploie jamais la note mi (qui se note E en anglais, fallait tout
de même y penser).
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