"Des Chants
Aux enfants sans père,
En hiver,
Aux spadassins sans maîtres,
En hiver,
Aux guerriers sans batailles,
En hiver,
Aux orphelins sans larmes,
En hiver,
Aux fantômes sans souffle,
En hiver,
Aux nuits sans lune,
En hiver,
Aux rivières sans brume,
En hiver,
Aux femmes qui font commerce d'eau,
En hiver,
Et aux hommes qui ont soif,
En hiver."
Chant d'ouverture de la Concubine de Sakikabara, d'Hatsuyuki Azayaka
C'est en cliquant ici que l'on y accède, et c'est ceci que l'on y trouve:
01 Amarvongura
02 Willis Earl Beal - Away my silent lover
03 Leonard Cohen - Last year's man
04 Earl Sweatshirt - Chum
05 Sébastien Tellier - Fantino
06 Dominique A - Un insouciant
07 Tindersticks - Talk to me
08 Intermède
09 Ane Brun - The fight song
10 Baxter Dury - Oscar Brown
11 Pascal Comelade - Un portrait de Catherine 1
12 Michael Yonkers - Ya da doe
13 Marine Girls - Lazy ways
14 Fred Astaire - Night and day
15 Le Mans - San Martin
16 Wendell Harrison - Winter
17 Emiliana Torrini - Snow
18 Lucía Bosé & Gregorio Paniagua - Nana de una sola nota
19 Noël-Noël - Les étrennes
20 Bridget St. John - The pebble and the man
21 Iñigo Ugarteburu - Madari katua
Bien cordialement.
lundi 17 décembre 2012
vendredi 23 novembre 2012
Louie
Louis CK est gros, roux, et américain. Dans la vie il fait
meilleur humoriste du monde.
Louis CK a créé une série, qui s’appelle Louie. Comme notre univers est cohérent,
Louie est la meilleure série
humoristique du monde.
Louis CK part de l’observation, comme tout le monde. Mais
quand il tient un sujet, il le creuse encore et encore, comme pas tout le
monde. Il ne s’arrête pas au signe, il va à la racine.
Dans ses spectacles, Louis CK venge ceux qui détestent le
stand-up en le tuant : plutôt que de jouer sur la connivence pour faire en
sorte que le spectateur se sente à l’aise dans sa médiocrité (ce qui est le
principe du stand-up actuel), il suscite un rire de malaise en se présentant
comme la pire personne qui soit au monde, personne en qui bien sûr chacun se
reconnaît, et en déterrant bon nombre des cadavres sur lesquels prospère notre
mode de vie. Il le fait avec franchise, ingrédient dont l’absence est
nécessaire à tout stand-up contemporain.
Dans ses spectacles comme dans sa série (c’est sa
série puisqu’il en est le scénariste, le réalisateur et, dès que faire se peut,
le monteur et le superviseur musical), Louis CK fait preuve d’un point de vue,
ce qui est déjà rare en soi. Et ce point de vue est d’une précision et d’un
mordant rares. En dehors de Chris Morris (pbAsl), on ne voit personne d’autre
ayant réussi à pervertir l’outil familial par essence qu’est l’écran de
télévision avec un mélange de drôlerie et d’esprit critique aussi féroces.
Regarder Louie est réjouissant. Parce que c’est
drôle, et parce qu’on a le sentiment que Louis CK se venge (et nous par la même
occasion) de la médiocrité habituelle des séries comiques. Il n’est pas interdit
de jouir quand il lance un « Allez tous vous faire enculer »
salutaire à un public gavé de sitcoms qui lui reproche de faire la fine bouche
face à un script qu’il juge indigent.
D’une certaine manière,
Louis CK est peut-être bien un chevalier blanc, en fait.
Dans un épisode de Louie il y a Chloë Sevigny qui joue une
libraire. Il n’en faut pas plus pour faire naître un sentiment de béatitude
chez l’homme du monde.
On voit dans Louie à
quoi ressemble le travail d’un réalisateur qui aime ses acteurs, qui les
valorise. On s’aperçoit alors qu’on est quand même bien habitués à des
programmes fait par des réalisateurs qui se foutent pas mal de leurs acteurs.
Et on se repasse, pour le plaisir, ces images de Parker Posey montées en générique de fin d’un épisode, que Louis CK semble avoir filmées pour le
plaisir, lui aussi. Car Parker Posey, elle aussi, suscite la béatitude chez
l’homme du monde.
Il serait assez dégoûtant de détailler ce que Louis CK fait
du sacro-saint souci de vraisemblance qui habite bon nombre de créations
audiovisuelles : un acteur joue deux rôles différents à quelques épisodes
d’intervalles, des personnages apparaissent soudain alors qu’ils étaient censés
ne pas exister, des incohérences énormes se produisent et, ce qui est beau,
c’est qu’on s’en moque éperdument. On comprend alors qu’on n’a pas besoin de
vraisemblance dans un récit (du moins plus depuis qu’on a dépassé le CM1). On a
simplement besoin d’un bon récit.
Ce qui est beau avec Louie, c’est que c’est une série
anti-technique. Plus précisément : beaucoup de programmes fonctionnent
grâce à leur structure, certains même ne fonctionnent que sur ça[1]. Or Louie n’a pas de structure-type, on ne
sait jamais comment va être construit un épisode. Puisque la musique qui l’accompagne
est souvent jazzy, on est tenté de dire que Louis CK est l’instigateur d’une
sorte de free-humour comme il y a un free-jazz, tout en ruptures de rythme et
en inspiration pure (beaucoup des dialogues semblent improvisés à partir d’une
idée de départ).
On est loin de la recherche de résultat ou d’efficacité qui
anime bon nombre de programmes télévisuels. On est ici face à de la création
pure. Exemple : ce début d’épisode (épisode intitulé « Subway/Pamela »
qui, soit dit en passant, est un véritable chef-d’œuvre d’émotions qui se
cognent). Essayez de trouver un équivalent à ces cinq minutes dans l’histoire
de la télévision. Bonne chance.
Une dernière chose enfin. Louie est parfois d’une grossièreté profondément réjouissante.
Exemple : le personnage est guilleret. Il entre dans une supérette. En
faisant des effets de crooner il chantonne « Et je chie dans la bouche de Hitler, et je pisse sur le
visage de sa mère avec ma bite plus grosse qu’une patte de singe… »
Qui dit mieux ?
[1] Exemple : How I met your mother, qui après avoir
sérieusement dépoussiéré la sitcom grâce à sa temporalité éclatée a fini par ne
plus être autre chose que cette mécanique, tournant à vide mais tournant
toujours, devenant presque fascinante du même coup.
vendredi 26 octobre 2012
Darondo
Qui diable est Darondo? On serait bien incapable de le dire
puisque rarement une seule et même personne s'est vue prêter tant de vies possibles.
Pour donner une idée du bazar il suffit de dire que, selon les versions,
Darondo peut être présenté comme un ancien maquereau ou comme une sorte de
médecin miraculeux qui a fait marcher à nouveau plusieurs personnes que la
médecine avait condamnées à passer le restant de leur vie dans un fauteuil.
Entre le mac et le demi-dieu se trouve donc la véritable personnalité de
Darondo. On peut ajouter à ça qu'il a tenu l'antenne de plusieurs émissions
télévisées locales en animant des sortes de pastilles allant du gentiment
décalé au totalement foutraque. Mais la vraie question est de savoir si on a
besoin de savoir qui est Darondo. La réponse est non. Mais alors quoi?
Alors une voix. Une bête de voix de puta madre capable de couvrir une
surface phénoménale, allant des tréfonds gutturaux à des aigus incroyables, qui
préfigurent d'ailleurs complètement le style vocal qui fera la gloire de Prince
dix années plus tard. Car c'est dans le courant des années 70 que Darondo a
exercé son talent. Après avoir chanté dans un groupe d'adolescents dans sa
prime jeunesse il enregistre quelques chansons que l'on a longtemps cru
perdues, joue en première de James Brown à quelques reprises, rencontre des
problèmes avec son label qui décide d'empêcher la parution des morceaux
enregistrés et puis s'arrête aussi sec. C'est qu'il a une Rolls Royce blanche à
conduire (dont il aime à raconter comment elle faisait l'admiration de Frank
Sinatra) et un vaste monde à parcourir. Là encore, difficile de discerner le
vrai du faux et le pourquoi du comment mais le fait est qu'après des débuts
excessivement prometteurs, Darondo a tout plaqué du jour au lendemain. Il
refera surface quelques années plus tard dans son rôle de thérapeute physique
miraculeux et tout aurait pu se terminer ainsi.
Mais voilà qu'un DJ défricheur de la BBC met un jour la main sur un single enregistré par Darondo, intitulé "Didn't I"[1]. La force du morceau le transforme immédiatement en tube à retardement (environ 30 années se sont écoulées entre sa parution et son succès) et Ubiquity Records se jette sur l'occasion de publier à nouveau des chansons dont la parution a l'époque avait été sabordées comme expliqué plus haut. C'est ainsi qu’en 2006 paraissent le LP Let my people go et l'EP Legs, qui permettent de situer Darondo dans la musique américaine des années 70 en lui donnant la place qu'il mérite : une très bonne.
Et puis en 2011 paraissent enfin avec Listen
to my song: the Music City Sessions les morceaux qui constituent le Graal
des admirateurs de Darondo, et que l'on a longtemps crus disparus à tout jamais. Et là la grâce
de Darondo explose complètement: non seulement sa voix est toujours aussi
sublime, mais cette fois on perçoit le soin tout particulier apporté aux
arrangements et au choix des musiciens. On se trouve alors face à quelques
pépites de la musique noire américaine qui en représentent une forme de
quintessence, entre la recherche de transe et la charge fondamentalement
sexuelle (peut-être qu'on a enterré les chansons de Darondo pour éviter
d'aggraver la surpopulation de la planète; c'est en tout cas une théorie à
prendre en considération).
Il n'y a pas grand chose d'autre à en dire, il est trop urgent de danser là-dessus. Sinon une chose quand même: l'Histoire est ce qu'elle est et ses voies sont impénétrables, mais si elle avait traité Darondo un peu mieux, on est tenté de penser qu'il serait aujourd'hui une référence incontournable, un vrai Papa. Et le plus beau de l'affaire c'est qu'aujourd'hui encore Darondo, même s'il doit en être conscient, a l'air de s'en foutre éperdument.
Il n'y a pas grand chose d'autre à en dire, il est trop urgent de danser là-dessus. Sinon une chose quand même: l'Histoire est ce qu'elle est et ses voies sont impénétrables, mais si elle avait traité Darondo un peu mieux, on est tenté de penser qu'il serait aujourd'hui une référence incontournable, un vrai Papa. Et le plus beau de l'affaire c'est qu'aujourd'hui encore Darondo, même s'il doit en être conscient, a l'air de s'en foutre éperdument.
vendredi 19 octobre 2012
Philippe Jaccottet
« Il paraît qu’on n’a plus le droit d’employer
le mot beauté. C’est vrai qu’il est terriblement usé. Je connais bien la chose,
pourtant. »
La poésie contemporaine est un vaste sujet (et elle remonte
à la plus haute antiquité, dirait Vialatte). Et, il faut bien l’admettre,
souvent nous nous laissons aller à une bonne vieille sentence tranchée épais,
du style : « De toute façon, la poésie, aujourd’hui… »
(Ah oui, c’est du jugement qui va loin.)
Et puis on se met à lire Philippe Jaccottet, qui n’est
certes pas un lapin de six semaines, et l’on s’aperçoit qu’avant de dire que
l’eau est trop froide, la moindre des choses c’est quand même d’y tremper le
pied.
« En cette nuit,
en cet instant de cette nuit,
je crois que même si les dieux incendiaient le
monde,
il en resterait toujours une braise
pour refleurir en rose
dans l’inconnu.
Ce n’est pas moi qui l’ai pensé, ni qui l’ai dit,
mais cette nuit d’hiver,
mais un instant, passé déjà, de cette nuit
d’hiver. »
Rongés par l'acidité de l'air, on est toujours tentés
d’affirmer que la poésie sur la nature, c’est bon quoi, on en a peut-être fait
le tour. Et puis on se met à lire Philippe Jaccottet et on a le sentiment qu’il
nous dit « Tu es sûr que tu as déjà vraiment regardé une
fleur ? » On est bien obligé d’admettre que non.
« Avant que n’approche la pluie, je vais à la
rencontre des pivoines.
Elles n’auront pas duré.
Approchées, même pas dans la réalité de telle
journée de mars, rien que dans la rêverie, elles vous précèdent, elles poussent
des portes de feuilles, de presque invisibles barrières. On va les suivre, sous
des arceaux verts ; et que l’on se retourne, peut-être s’apercevra-t-on
que l’on ne fait plus d’ombre, que vos pas ne laissent plus de traces dans la boue »
« ARBRES III
Arbres, travailleurs tenaces
ajourant peu à peu la terre
Ainsi, le cœur endurant
peut-être, purifie »
« Une part invisible de nous-mêmes se serait
ouverte en ces fleurs. Ou c’est un vol de mésanges qui nous enlève ailleurs, on
ne sait comment. Trouble, désir et crainte sont effacés, un instant ; mort
est effacée, le temps d’avoir longé un pré. »
Dans une époque de suffisance et de sacro-saint
second degré[1], à quoi bon
lutter ? C’est beaucoup plus simple de baisser sa garde, de toute façon
qu’est-ce qui pourrait bien mériter qu’on tombe le masque ? Et puis on se
met à lire Philippe Jaccottet et on reçoit de plein fouet un état d’esprit
presque extra-terrestre : celui d’un homme qui semble ne pas encore s’être
habitué au fait d’être en vie, d’être au monde. Il s’émerveille humblement, de
manière mesurée mais entière pourtant, du fait d’exister et de côtoyer tout ce
que le monde porte de vie.
« Tout cela n’est que trop visible, criant.
Tellement exhibé, d’ailleurs, crié si haut que beaucoup s’y habituent, que
chacun risque de s’en accommoder. Toutefois, avec ce qui peut vous rester,
miraculeusement ou niaisement, de l’autre regard, on voit, on aura vu
inopinément, à la dérobée, autre chose. On a commencé à la voir,
adolescent ; si, après tant d’années - qui font, vécues, cette durée
infime -, on le voit encore, est-ce pour n’avoir pas assez mûri, ou au
contraire parce qu’on aurait tout de suite vu juste, de sorte qu’il faudrait
inlassablement, jusqu’au bout, y revenir ? »
« Pour qui n’aime plus personne,
La vie est toujours plus loin. »
Même quand la douleur s’invite, plutôt que d’essayer de la
chasser, il semble l’accueillir comme une sœur. Non pas chercher à l’étouffer
ou à l’abrutir, mais au contraire, décider de la prendre à bras-le-corps et
faire la route avec elle jusqu’à tant qu’elle se soit plié à son pas et qu’elle
n’entrave plus sa marche. Au fond, accorder la même considération et le même
soin à la jouissance qu’au tourment, être à ce que la vie de l’instant impose
pour être au cœur du ressenti.
« Plus aucun souffle.
Comme quand le vent du matin
a eu raison
de la dernière bougie.
Il y a en nous un si profond silence
qu’une comète
en route vers la nuit des filles de nos filles,
nous l’entendrions. »
« Déjà ce n’est plus lui.
Souffle arraché : méconnaissable.
Cadavre. Un météore nous est moins lointain.
Qu’on emporte cela.
Un homme (ce hasard aérien,
plus grêle sous la foudre qu’insecte de verre et de
tulle,
ce rocher de bonté grondeuse et de sourire,
ce vase plus lourd à mesure de travaux, de
souvenirs),
arrachez-lui le souffle : pourriture.
Qui se venge, et de quoi, par ce crachat ?
Ah, qu’on nettoie ce lieu. »
Inutile d’en dire plus ; à part qu’on aimerait bien que
Philippe Jaccottet soit déclaré père universel.
« (Si les visages de ces ombres qui passent
ici sont pareillement tristes,
serait-ce d’être devenus aveugles à ce qui ne peut
se voir ?) »
N.B.: les citations reproduites ici sont extraites des recueils Cahier de verdure, Après beaucoup d'années et Poésie (1946-1967).
[1] qui continuera à nous
dissocier du langage et à faire parler d’autres à travers nous-mêmes jusqu’à
tant que l’on s’aperçoive qu’on risque d’y laisser nos Os.
lundi 8 octobre 2012
Le Mans - Lucien, ou "l'Espagnole est russe" (et lycée de Versailles)
Décor: le déroulé d'une soirée édifiante. Le socle c'est
une guitare qui trébuche dans son ascension mais qui repart à l'attaque,
toujours.
Peut-être l'espoir déçu
sans cesse, mais sans cesse renouvelé.
Ou bien, au
contraire, un mouvement entamé qui n'aboutit jamais et ne fait que se répéter
dans son intention stérile.
Peut-être.
Ça n'est pas gai mais l'album s'appelle Saudade, on sait à quoi s'en tenir: de la lumière sombre.
« Intentando
olvidar (…) la tristeza de un día normal,
y tal vez a mí. »[1]
La voix se pose sur la guitare en boucle du début, elle
aussi est lancinante.
C'est peut-être une
complainte.
C'est peut-être une
prière.
Une prière pour
qu'enfin quelque chose se passe.
Ou alors non, on est dans le temps d'après la prière.
« Tú sonries en
sueños y yo, te digo adiós. »[2]
Que manque-t-il pour que les cloisons tombent enfin?
« Miro a mi alrededor y me apena marcharme de
aquí. »[3]
Qu'enfin une lumière entre, n'importe laquelle: une lumière.
« Si tuviera el
valor de poderte explicar
si pudiera hacerlo
mejor, lo haría por ti. »[4]
C'est triste mais c'est
tout ce qui semble rester alors comme déclaration.
C'est sûr que c'est plus facile de chanter quand il fait
beau...
Et puis elle ne part
pas. Elle n'ose pas.
Est-ce qu'on peut alors
l'imaginer heureuse malgré tout, comme on peut imaginer Sisyphe heureux?
Sur la guitare qui se répète inlassablement viennent
s'accoler des accords souples, qui cherchent la sortie sans cesse, tissent des
routes qui semblent ne mener nulle part mais sur lesquelles on prend plaisir à avancer au hasard.
Et peut-être que tout
est là au fond: on a le sentiment du surplace, mais il y a un coeur derrière
tout ça, toujours un coeur en mouvement, ou bien une âme: quelque chose
d'irréductible qui rappelle que peut-être, sans doute, ça vaut le coup, quoi
qu'il arrive.
Un bateau, une
destination, une voie empruntée, autant explorer à fond ce que l'on s'est (ou
ce qui a nous a été) attribué.
C'est ce que fait la guitare, celle qui ne tient pas bien en
place, qui semble toujours sur le point de décrocher mais qui n'arrête pas son
mouvement pour autant: il y a le socle inamovible mais elle parvient à évoluer
autour, à en faire ressortir tout ce qui est caché sous ses airs figés.
C'est le chant de
l'impossibilité du mouvement, qui fait mine de ne pas pouvoir faire un pas plus
loin, et qui pourtant ne fait rien d'autre que donner vie à cet entrelacs
d’envies, une chanson qui se contredit en s'affirmant.
Et elle s'appelle "Lucien", et on ne sait rien de
ce Lucien qui est pourtant la raison de tout et son contraire, de l'envie de
partir et de son impossibilité.
Il y a des cinéastes,
comme ça, qui savent faire exister pleinement un personnage qui n'est présent
que deux minutes à l'écran. Le Mans c'est un peu du cinéma en mieux: pas besoin
d'images, juste des guitares, une voix, un absent, et voilà l'automne qui
commence.
[1] Te reposer pour rêver et
essayer d'oublier la tristesse d'une journée normale,
et peut-être moi.
[2] Tu souris à ton rêve et
moi, je te dis adieu.
[3] Je regarde les alentours
et j'ai de la peine à partir d'ici
[4] Si j'avais le courage de
pouvoir t'expliquer,
Si je pouvais mieux faire, je le ferais pour toi.
jeudi 19 juillet 2012
Cover Me
Puisque d'une part certains prétendent que parler avec les mots des autres, ce doit être ça la liberté (faites du bruit pour Jean Eustache, roi de la pistache) et que d'autre part l'été s'y prête bien, une compilation un peu hors-série consacrée aux reprises.
Même que pour la télécharger il faut cliquer ici et que dedans il y a ça:
01 Tricky - Tattoo
02 Claudine Longet - God only knows
03 The Welcome Wagon - Half a person
04 Transformer di Roboter - Stranger in Moscow
05 The Raincoats - Lola
06 Françoiz Breut & Dominique A - Teenage kicks
07 Isobel Campbell - Willow's song
08 Single - Cantiga para pedir dois tostões
09 Beck - Everybody's gotta learn sometimes
10 André Herman Düne - Smalltown boy
11 Doctor L - Let my baby ride
12 Chucho - En el rascacielos
13 Coming Soon - Small town
14 Lee Moses - Hey Joe
15 Alela Diane & Alina Hardin - Bowling green
16 Micah P. Hinson - Yard of blonde girls
17 Tom Waits - Papa's got a brand new bag (live)
18 Ana D - Sua estupidez
19 Jean-Luc le Ténia - Au cinéma
GRAND JEU CONCOURS!!! Les 500 000 premiers auditeurs à trouver les noms des créateurs des chansons ici présentes gagneront un voyage sur la lune. Et une glaviole.
Même que pour la télécharger il faut cliquer ici et que dedans il y a ça:
01 Tricky - Tattoo
02 Claudine Longet - God only knows
03 The Welcome Wagon - Half a person
04 Transformer di Roboter - Stranger in Moscow
05 The Raincoats - Lola
06 Françoiz Breut & Dominique A - Teenage kicks
07 Isobel Campbell - Willow's song
08 Single - Cantiga para pedir dois tostões
09 Beck - Everybody's gotta learn sometimes
10 André Herman Düne - Smalltown boy
11 Doctor L - Let my baby ride
12 Chucho - En el rascacielos
13 Coming Soon - Small town
14 Lee Moses - Hey Joe
15 Alela Diane & Alina Hardin - Bowling green
16 Micah P. Hinson - Yard of blonde girls
17 Tom Waits - Papa's got a brand new bag (live)
18 Ana D - Sua estupidez
19 Jean-Luc le Ténia - Au cinéma
GRAND JEU CONCOURS!!! Les 500 000 premiers auditeurs à trouver les noms des créateurs des chansons ici présentes gagneront un voyage sur la lune. Et une glaviole.
vendredi 13 juillet 2012
Un pied dans la culture de masse: the Dark Knight
Il y a un phénomène étrange qui se produit depuis un certain
soir d'août 2008: à chaque fois que quelqu'un dénigre the Dark Knight, notre cœur saigne ; avec toute la mauvaise foi
du monde, nous ajouterions d'ailleurs que ces dénigrements sont rarement construits
sur des arguments valables. Alors, pour patienter en attendant la sortie de the Dark Knight Rises, quelques éléments
épars pour tenter de rendre compte de la beauté complexe de ce qu'on a bien
envie d'appeler un bordel de chef-d'œuvre.
- Pour commencer, c'est une grande joie que de voir les
toutes premières images d'un film faire passer en contrebande quelques uns de
ses principes artistiques et thématiques; c'est le signe d'une maîtrise totale,
et ici alors pardon mais on est servi:
La première image est une explosion silencieuse filmée à
travers un filtre bleu, et dont s’extrait progressivement le symbole de Batman.
Autrement dit, une forme de furie destructrice observée de manière détachée,
presque clinique (travail des couleurs et du son) présentée comme la matrice du
personnage. Nolan semble alors assumer d'entrée de jeu le fait que son film ne
cherchera pas à modifier le regard du spectateur sur son héros en jouant sur
l'émotion. Si spectaculaires qu'ils soient, il s'attachera à retranscrire les événements auquel son (super) héros est confronté de manière
distanciée, avec une certaine froideur[1], là
où tant d’autres cherchent à créer l’adhésion et l’identification en tirant sur
de grosses ficelles sentimentales (un méchant vraiment super méchant, un héros
vraiment super gentil, des innocents trop rien innocents, etc.). Ce principe se
vérifiera par exemple quand des adieux qui s'annoncent larmoyants seront
brusquement avortés par une mort soudaine, ou quand le discours supposément
humaniste tenu par Batman lors de sa confrontation finale avec le Joker tombera
à plat, parfaitement contredit par la scène qui le précède.
Vient ensuite un plan où la caméra progresse vers un
immeuble vu de l'extérieur, soit un des plans de début les plus banals du
monde: la caméra s'approche d'un édifice, on coupe, au plan suivant on est dans
la bâtiment et on prend connaissance de ce qui s'y produit. À part que non:
sans qu'on puisse le prévoir (en même temps si on pouvait prévoir quelque chose
au bout de dix secondes de film ça serait dommage mais justement en terme
d'installation de rythme c'est pas mal du tout) une fenêtre de cet immeuble
explose, et le plan suivant nous fait comprendre qu'elle n'a pas éclaté sous
l'effet d'une attaque extérieure, mais à cause d'un acte venant de l'intérieur.
Dès lors on se détache de la logique habituelle des films d'action
hollywoodiens où la menace est le fait de l'Autre, de l'extérieur: ici le ver
est dans le fruit, l'adversaire s'annonce comme un cancer logé à l’intérieur d'un
corps.
Deux ou trois plans plus tard, un personnage filmé de dos attend à un
coin de rue. Il tient un masque de clown à la main. Nous voyons bien le masque,
mais nous ignorons tout de celui à qui il appartient. Ça n'a alors l'air de
rien, mais Nolan vient en fait d'annoncer un des enjeux principaux du film qui
va suivre.
- D'une manière générale dans ce film Christopher Nolan fait montre d'une certaine confiance en
sa réalisation, et il a bien raison. Il semble que chaque plan est
rigoureusement pesé dans le but d'atteindre un effet précis. Mais surtout, le
spectaculaire est réfléchi, de sorte à ne jamais tomber dans la surenchère. Un
exemple flagrant de cette discipline apparaît lors de la grande scène d'action
qu'est l'attaque du convoi transportant Harvey Dent par le Joker et ses sbires.
Au-delà de la maîtrise technique et de la science du rythme dont fait preuve
Nolan, une chose rend cette scène supérieurement admirable: elle n'est pas
accompagnée de musique. Un film hollywoodien qui fait suffisamment confiance à
son public pour ne pas en rajouter des caisses (même si bon, certes, c'est
quand même une scène où un camion fait un soleil), c'est bien.
- En parlant d'action, la scène d'ouverture de the Dark Knight est particulièrement
réussie en ce sens que c'est l'action elle-même qui se fait porteuse de sens et
d'informations. Là encore, Nolan décide de se concentrer sur ce que lui apporte
l'outil cinématographique pour révéler progressivement les grands traits du
Joker: machiavélique (le coup de l'entrée du bus est quand même foutrement
jubilatoire), anarchique (tenir des gens en otage en leur mettant une grenade
dégoupillée dans les mains, c'est inverser le rapport de force qui s'installe
normalement dans ce genre de situations), doté d'un humour pour le moins
caustique (le masque de clown) et violemment individualiste (belle idée que de
montrer un gangster décimer sa propre équipe au fur et à mesure que son plan
s'exécute). À la redoutable efficacité de cette scène d'action s'ajoute donc
une deuxième lecture purement narrative et descriptive cachée derrière une
scène de braquage impeccablement réalisée.
- À un autre niveau, the
Dark Knight propose un jeu permanent et finaud avec le faux-semblant. Comme
pour incarner l'ambiguïté qui tord l'intérieur de chaque chose, il se produit
une confusion fréquente sur la nature véritable de ce que l'on voit. Essayons
pour l'amusement d'établir une sorte de liste (obligatoirement incomplète) des
différentes formes que prennent ces faux-semblants:
- dès la
première scène, tout laisse penser que le "patron" évoqué entre eux
par les gangsters n'apparaîtra que plus tard dans le film; pourtant il est là
depuis le début mais on l’ignore car, habile subterfuge, il porte un masque
- à la fin
de cette scène, le Joker s'échappe au volant d'un bus scolaire qui se fond
immédiatement dans une masse d'engins identiques, faisant rentrer le crime dans
une masse de véhicules incarnant plutôt une forme d'innocence
- dans le
même ordre d'idée, la première fois qu'apparaît Batman il s'avère rapidement
être plusieurs et s'y prendre comme un manche, pour la bonne raison qu'il
s'agit d'un faux départ mettant en scène des aspirants justiciers amateurs, imitateurs pathétiques
- le
blanchiment d'argent auquel se livre la pègre est une autre manière de duperie,
moins intéressante a priori même si le fond de l'idée est que chaque citoyen
porte sur lui de l'argent sale, ce qui annonce une tendance importante du film
- le Joker
s'adonne volontiers au déguisement ironique: policier quand il s'agit de
commettre un crime, infirmière lors de la destruction de l'hôpital, ce jeu est
en accord avec l'idée qu'il est impossible de connaître sa véritable identité
- lors
d'une des dernières scènes les otages sont déguisés en preneurs d'otage, comme
pour inviter les forces de l'ordre à punir les innocents
- en fait
Batman c'est Bruce Wayne qui porte un costume et un masque.
Le costume, élément fondateur de ce type de mythologie,
n'est pas un simple élément de décor ici. Comme pour faire se rejoindre le fond
et la forme, le scénario (écrit par le réalisateur et son frère, et non par
quinze vagues tâcherons spécialistes du cahier des charges) fait du costume une
sorte de révélateur d'un rapport entre l'extérieur et l'intérieur, rapport au cœur
de la réflexion qui agite le récit. Quand le Joker joue à ressembler à un
membre d'une institution officielle (police, santé), il incarne avec ironie son
aversion pour l'ordre établi. De la même manière, le faux-semblant se construit
souvent dans l'attribution d'une apparence rassurante à un élément menaçant, et
inversement. Ainsi est marquée l'ambiguïté constante de la société et sa
corruption latente, mais omniprésente.
- Dans la continuité de cette différenciation entre
l'apparence des choses et leur nature profonde, l'un des points forts sur
lequel est construit le personnage du Joker (outre bien sûr l'interprétation
phénoménale et très tom waitsienne qu'en fait Heath Ledger) est sa tendance à
inverser les codes en faisant naître ses actions les plus ouvertement
spectaculaires de petits événements qui partent de l'intérieur pour se révéler
progressivement à l'extérieur, dans un mouvement de contamination. Il ne s'agit
pas pour lui de bêtement détruire, non: il faut faire imploser, si possible en se trouvant au sein de cette implosion (parce qu'on dira ce qu'on voudra, n'empêche que le Joker cherche toujours à être en plein dans le schproum, ce rapport à sa propre mort ne le rendant bien sûr que plus fascinant). C'est le cas
avec la vitre cassée évoquée de la scène d'ouverture, avec l'hôpital dont il fait en priorité exploser le couloir dans lequel il avance ("Fire, walk with me"), mais surtout c'est ainsi
qu'il conçoit son évasion: il rejoint le monde extérieur grâce à un homme qui
se fait arrêter et incarcérer, et qui porte une bombe à l’intérieur de son
ventre. Ainsi, le Joker et sa science de l'implosion traduisent (par l'action,
une fois de plus) l'idée qu'on ne détruit pas un ordre établi en l'attaquant de
l'extérieur, mais en se nourrissant de ses contradictions, de ses failles, en
exacerbant ses tensions internes pour
les mener à un point de rupture. Si la création de l'univers est partie d'un
micro-phénomène, alors sa destruction doit pouvoir suivre le même processus.
Pour le Joker, la création et la destruction semblent ne faire qu'un, son but
est de faire naître le chaos du cosmos.
- Car c'est là le véritable cœur de the Dark Knight: la question de l'ordre et du désordre, et de la
complexité de leur relation. Le génie machiavélique du Joker consiste à appuyer
là où la mythologie des super-héros fait mal: un citoyen lambda qui se fait
justicier anonyme en se substituant à l'exécutif de la loi contredit cette
dernière tout en l'appliquant. On peut alors se demander s'il agit dans le
respect de la justice mais, du même coup, on peut aussi se demander si l'ordre
établi est véritablement du côté de la justice, lui qui laisse prospérer le
crime à coups de compromis et de corruption. En mettant à nu ces paradoxes
dérangeants, c'est finalement le bien fondé des républiques démocratiques que
le Joker remet en question, et au-delà d'eux la validité de l'idée selon
laquelle le peuple souverain est digne de ce pouvoir qui lui est accordé par
elles. En d'autres termes: l'Homme est-il
à la hauteur de la démocratie? Cette interrogation vénéneuse s'incarne
magistralement dans la scène des ferries, lorsqu'il devient évident que le
système démocratique, si impartial qu'il soit dans son principe, n'est en aucun
cas garant de la justice et de l'ordre moral. Qui plus est l'incapacité des
bonnes gens à agir concrètement en accord avec le résultat de leur vote (à la
différence des prisonniers qui, dans leur passé, ont pris la mesure de la loi
officielle et l'ont outrepassée) dresse un portrait peu flatteur du citoyen,
dont l'action électorale apparaît comme une forme de légitimation de la
passivité propre à l'homme moderne. Ce traitement brutal réservé à l'ordre
établi pose alors la question du désordre, incarné par l'agent du chaos qu'est
le Joker.
La beauté du traitement de ce thème vient de ce qu'il est
accompli avec un jusqu’au-boutisme et un souci du détail qui finissent par
donner un souffle épique à l'ensemble, et par faire du Joker le meilleur
méchant cinématographique depuis... longtemps. Parce que son goût pour le chaos
lui confère immédiatement (et paradoxalement) une sorte de statut moral
supérieur: il est au-dessus des envies bassement matérielles, des questions d'ego
ridicules ou des vagues envies de vengeance. Non, ce qu'il veut, c'est voir le
monde sombrer dans la démence (d'où la riche idée de constituer son armée avec
des hommes sortis d'un asile d'aliénés) et danser sur ses ruines, et ce pour la
beauté du geste uniquement, un geste destructeur, formidablement
terrifiant. Face à cet homme parfaitement désintéressé, les outils à la
disposition de la loi et de son application s'avèrent inopérants, comme s'ils
n'étaient pas conçus pour la sorte de surhomme qu'est le Joker. Dès lors,
Batman est poussé à agir en hors-la-loi, à violer les libertés fondamentales
des citoyens et à perdre du même coup son statut héroïque. On peut alors se
demander si le film ne raconte pas en vérité la défaite morale de Batman face
au Joker, défaite consommée lorsqu'il décide de falsifier l’Histoire en cachant
la folie de Harvey Dent au reste du monde[2]. Le
chaos pour lequel œuvre le Joker apparaît alors comme un poison qui contamine tout,
mais avec l’aide de la corruption qui affaiblit les défenses de chaque chose.
Au fond le Joker n'est que le révélateur de cette déchéance diffuse et
omniprésente, et son jeu consiste à souffler sur les braises. Là encore on
retrouve l'idée que désormais l'ennemi de nos sociétés se cache en vérité dans
leur cœur même. Pas étonnant alors que le film ait parfois été qualifié de
fasciste, même s'il nous semble davantage être une sorte de catharsis
maladivement misanthrope et marquée par le sceau d'une colère froide.
C'est là que se trouve l'intérêt d'un personnage dont nous
avons peu parlé jusqu'ici, celui de Harvey « Double face » Dent: il est
l'incarnation véritable de cette société malade qui oscille entre un
attachement intellectuel de principe à la notion d'ordre établi d'une part, et
une forme de pulsion viscérale vers la destruction nihiliste dès lors qu'est dépassé
un certain seuil de tolérance d'autre part. S'il apparaît au début du film
comme le chevalier blanc, il tombe bientôt dans le piège du Joker et révèle du
même coup certaines zones d'ombres pour finalement devenir proprement fascinant
une fois transformé en Double face. Il devient alors un homme désireux de vivre
dans un état permanent de douleur et de colère, un homme qui souhaite ne jamais
trouver le réconfort. En faisant "sur toute joie pour l'étouffer (...) le
bond sourd de la bête fauve", en se consacrant pleinement à sa souffrance,
en se laissant contaminer par la folie ambiante par et pour laquelle œuvre le
Joker, Harvey Dent devient une sorte d'incarnation du film. Un visage rendu
ambigu par sa confrontation à la vérité, une absence de réponse claire.
Ainsi avance the Dark
Knight, masqué, à l'image de son personnage. Comme lui toujours, derrière
ses atours mythologiques et ses prouesses technologiques, il cache sa nature de
film/personnage malade aux prises avec une société malade dont on en vient à se demander si elle mérite le salut pour
lequel il œuvre. Difficile de dire si the
Dark Knight Rises sera à la hauteur, même si voir Bane (le grand Tom Hardy)
annoncer qu'il est "l'expiation de Gotham" ouvre des perspectives
franchement bandantes.
Mais voilà-t-y pas qu’on allait oublier la plus belle image
du film: le Joker vient de s'évader de prison. Il s'enfuit à bord d'une voiture
de police qui traverse la ville. La tête à la fenêtre, il jouit de
l'accomplissement de son geste, de ce bouleversement qui fait que l'incarnation
du désordre qu'il est fuit caché à l'intérieur d'un symbole de l'ordre établi.
Il jouit de cette liberté contraire à la morale, de l'instant présent et du
vent de chaos qu'il est en train de faire souffler sur la ville. À cet instant
précis, the Dark Knight devient un de
ces films dont on peut dire qu'ils sont touchés par la grâce.
[1] Soit dit en passant, on
peut aussi voir ça comme une forme d’aveu de Nolan, comme s’il assumait ainsi
son incapacité à faire un cinéma d'émotions (virtuose oui, mais sans émotions),
ce qui est une démarche très honnête.
[2] Même si en vérité, par la
grâce des derniers instants du film, ce choix fait de Batman une sorte de
figure sacrificielle, christique même puisqu'il prend sur lui les fautes d'un
monde devenu fou; ce d'autant plus qu'il devient du même coup un ange déchu aux
yeux de Gotham et de ses citoyens, qui en savent moins que le spectateur. Cette
question laissée en suspens sera sans doute présente dans the Dark Knight Rises.
jeudi 5 juillet 2012
Pierre Bensusan - 2
Il existe sans doute des recherches très poussées proposant
un historique et une classification de la musique folk. Mais comme lire c'est
cher trop la prise de tête, nous allons partir du principe qu'il y a deux
courants majeurs dans la folk: l'un plutôt américain, essentiellement nourri de
blues et de country (exemple ici abordé: Nick Drake), l'autre plutôt européen, partageant ces racines mais également influencé par les folklores médiévaux
(exemple: Duncan Browne). Et quand l'envie nous prend de voir si des fois ce
courant de folk-là n'aurait pas fait des petits en France, alors on s'amuse
bien. Il faut déjà passer outre tous les groupes des années 70 qui voyaient
dans le Moyen-Âge une sorte d'âge d'or où le mode de vie naturel était celui
auquel aspiraient certains baby-boomers d’après mai 68. Après quoi l'on
découvre des musiciens travaillés à la fois par un goût pour le
folklorique et par un souci des évolutions multiples de la musique à cette
époque[1].
Parmi ceux-là, Pierre Bensusan, que nous aimons bien.
Aujourd'hui Pierre Bensusan est un homme accompli qui
enchaîne les concerts tout autour du monde et est considéré comme un des
meilleurs guitaristes de notre époque. Mais si on repense à ses débuts, il y a quelque chose de
touchant à imaginer un gamin de tout juste 17 ans né à Oran venir proposer des
chansons d'amour courtois au langage médiéval complètement assumé, accompagnées
à la guitare avec une maîtrise technique impressionnante, et chantées avec en
plus ce schlintement qui lui fait chuinter certaines consonnes et attrape
aussitôt l'oreille (à notre connaissance à part Daniel Johnston il y a peu
d'autres chanteurs qui assument ce type de problème d'élocution). Il y a donc
dans Près de Paris, le premier album
de Pierre Bensusan, un mélange d'enfance de l'art et de confiance en soi, on
sent le jeune homme devant qui aucune
voie n'est ouverte mais qui est prêt à tailler la sienne propre à coup de
virtuosité.
Arrive ensuite son deuxième album, intitulé fort logiquement
2 et enregistré en 1977. Et c'est là
que vraiment Pierre Bensusan commence à nous intéresser. En à peine trois ans
il semble avoir gagné en assurance et en maîtrise, et s'être débarrassé des
petites maladresses qui se présentaient parfois dans Près de Paris. Si le goût pour une certaine imagerie médiévale est
toujours présent, il rencontre cette fois un panel d'influences musicales plus
large: la folk américaine, la musique celtique, le jazz, la musique orientale... Le mélange peut sembler audacieux, mais finalement l'on
s'aperçoit qu'une certaine logique est à l’œuvre derrière ces rencontres. Par
exemple, le storytelling qui est
l'apanage de la folk américaine, de Woody Guthrie racontant la grande tempête
de poussière de 1935 à Bob Dylan dénonçant l'emprisonnement de Rubin
"Hurricane" Carter, n'est finalement pas éloigné de ce que faisaient
les troubadours à l'époque où les médias n'existaient pas: se saisir de faits
présentant un quelconque intérêt dans la connaissance et la lecture que l'on
peut avoir de l'époque qui est la nôtre, et le retranscrire par le biais d'une
chanson qui s'adresse au plus grand nombre et finit par transcender l'événement
en lui-même pour en faire une sorte de récit éloquent. C'est à cet exercice que
se livre ici Pierre Bensusan, en utilisant des chants traditionnels auxquels il
donne une sorte de double-fond: si le lexique et la formulation restent
profondément médiévaux, l'accompagnement musical contemporain fait ressortir
leur intemporalité (à moins de penser que des thèmes comme l’amour ou la mort
ne sont évocateurs qu’à certaines époques).
Car c'est bien la musique qui impressionne ici, que ce soit
en accompagnement où dans les morceaux instrumentaux (dont certains font
fortement penser aux premiers travaux de Yann Tiersen par exemple). Bensusan
navigue entre les contraires, parfois au sein d'un même morceau: ainsi « Belle
je m'en vais en Allemagne » débute accompagné d'une seule note tant que le
chant est là pour nous raconter une histoire avant de glisser vers un mélange
de guitare folk aux accords ronds évoquant la musique arabo-andalouse et de
cornemuses purement celtiques. De la même manière se rencontrent dans plusieurs
morceaux des éléments a priori disparates qui semblent d'un coup avoir été
conçus les uns pour les autres au cours de l'Histoire. Ainsi « Le conseil
de guerre » commence-t-il comme une pure folk-song avant que ne surgissent
des instruments à vent qui portent soudain la chanson sur un terrain de
free-jazz, « La danse du capricorne 2 » débute comme une ballade au
piano avant de devenir une sorte de traversée épique portée par des violons
scandant le rythme ou encore « Jardin d'amour », d'abord sobrement
accompagnée d'une guitare sèche donne petit à petit lieu à un pas de deux
aérien entre guitare et contrebasse. Tout ça est fait avec beaucoup de tact et
de soin et le résultat est bien joli, pour le moins.
On se dit alors que si tout ce qui s'est fait de chanteur de
variétés dans les années 60/70 a tâté de la folk américaine à un moment ou à un
autre (avec plus ou moins de bonheur), peu ont été ceux qui ont osé tenter
l'aventure consistant à lancer des ponts
entre des territoires musicaux a priori trop éloignés les uns des autres.
Pierre Bensusan l'a fait, et il a ainsi rendu caduques bien des cartes aux
frontières trop précisément dessinées. Poétiquement c'est un bel
accomplissement, tirons-lui donc notre chapeau.
[1] Voir le récemment revenu
des morts Maison Rose, d'Emmanuelle
Parrenin, où entre deux ballades de très belle facture elle crée une forme de
musique qui fait beaucoup penser au trip-hop.
mercredi 20 juin 2012
Eternal Summers
En vérité ce qui est bien avec ce qui est bien, c'est qu'on a rarement besoin d'épiloguer (à part quand on a du goût pour ça bien sûr). Par exemple pour parler de la musique d'Eternal Summers on n'a pas à se perdre en considérations: c'est du rock (ou de la pop peut-être; de toute façon qu'est-ce qui n'est pas de la pop de nos jours?) et c'est bigrement agréable. Tantôt pêchue, tantôt vaporeuse, la musique d'Eternal Summers est capable de trousser des morceaux d'une minute et demi qui gonflent à bloc ou des ballades qui posent une sorte de brume qui diffracte (au bas mot) les rayons du soleil sur tout ce qui nous entoure, ce qui a bien sûr pour effet la création d'une atmosphère particulière et addictive.
Comme l'été, leurs chansons donne parfois l'impression à qui les écoute d'être rempli de lumière et d'ondes positives; parfois, c'est un orage qui menace, ou un soir d'après la pluie. Rien de révolutionnaire bien sûr mais bon, on n'a pas toujours besoin de révolution non plus. En plus de quoi, mine de rien, Eternal Summers est capable de composer très nonchalamment des chansons qui commencent par envoûter complètement pour devenir au bout de deux écoutes des classiques instantanés. Il en va ainsi de "Pure affection" par exemple, une chanson qui accroche d'entrée de jeu et dont il est impossible de se défaire (faut dire qu'on n'a jamais cherché à, aussi).
Alors voilà, Eternal Summers c'est simple et en même temps c'est la quintessence de la pop.
C'était un duo au départ, maintenant ils sont trois. C'est donc un trio.
Ils viennent de Roanoke, en Virginie. Roanoke qui s'appelait Big Lick au départ, même que c'est vrai. Roanoke qui est un nom algonquien, comme Milwaukee, et puisque Milwaukee se prononçait "mill-i-wah-qui" on peut supposer que Roanoke se prononçait "Rou-a-nah-qui" mais c'est de la pure spéculation. D'ailleurs aujourd'hui l'économie de la Virginie repose bien plus que le secteur tertiaire que sur l'agriculture, ce qui est bien la preuve que le monde a besoin de pop efficace.
C'est pourquoi c'est une bien bonne chose qu'un groupe comme
Eternal Summers existe. Ils ont déjà sorti un petit paquet d'EP et un LP, Silver; Leur deuxième album, Correct behaviour, sortira
le 24 juillet prochain chez la chouette maison de disques Kanine Records[1]. Le
24 juillet est en été, Eternal Summers c'est l'été perpétuel, dès lors la
boucle est bouclée et quand même, on n'a pas trop à se plaindre de quoi que ce
soit.
[1] C'est une chouette maison de disques parce que
quand on leur commande des albums (ils pressent d’ailleurs de très
classieux vinyles), ils envoient de chouettes sacs en tissu avec; c'est à ça
qu'on reconnaît une chouette maison de disques
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