Décor: le déroulé d'une soirée édifiante. Le socle c'est
une guitare qui trébuche dans son ascension mais qui repart à l'attaque,
toujours.
Peut-être l'espoir déçu
sans cesse, mais sans cesse renouvelé.
Ou bien, au
contraire, un mouvement entamé qui n'aboutit jamais et ne fait que se répéter
dans son intention stérile.
Peut-être.
Ça n'est pas gai mais l'album s'appelle Saudade, on sait à quoi s'en tenir: de la lumière sombre.
« Intentando
olvidar (…) la tristeza de un día normal,
y tal vez a mí. »[1]
La voix se pose sur la guitare en boucle du début, elle
aussi est lancinante.
C'est peut-être une
complainte.
C'est peut-être une
prière.
Une prière pour
qu'enfin quelque chose se passe.
Ou alors non, on est dans le temps d'après la prière.
« Tú sonries en
sueños y yo, te digo adiós. »[2]
Que manque-t-il pour que les cloisons tombent enfin?
« Miro a mi alrededor y me apena marcharme de
aquí. »[3]
Qu'enfin une lumière entre, n'importe laquelle: une lumière.
« Si tuviera el
valor de poderte explicar
si pudiera hacerlo
mejor, lo haría por ti. »[4]
C'est triste mais c'est
tout ce qui semble rester alors comme déclaration.
C'est sûr que c'est plus facile de chanter quand il fait
beau...
Et puis elle ne part
pas. Elle n'ose pas.
Est-ce qu'on peut alors
l'imaginer heureuse malgré tout, comme on peut imaginer Sisyphe heureux?
Sur la guitare qui se répète inlassablement viennent
s'accoler des accords souples, qui cherchent la sortie sans cesse, tissent des
routes qui semblent ne mener nulle part mais sur lesquelles on prend plaisir à avancer au hasard.
Et peut-être que tout
est là au fond: on a le sentiment du surplace, mais il y a un coeur derrière
tout ça, toujours un coeur en mouvement, ou bien une âme: quelque chose
d'irréductible qui rappelle que peut-être, sans doute, ça vaut le coup, quoi
qu'il arrive.
Un bateau, une
destination, une voie empruntée, autant explorer à fond ce que l'on s'est (ou
ce qui a nous a été) attribué.
C'est ce que fait la guitare, celle qui ne tient pas bien en
place, qui semble toujours sur le point de décrocher mais qui n'arrête pas son
mouvement pour autant: il y a le socle inamovible mais elle parvient à évoluer
autour, à en faire ressortir tout ce qui est caché sous ses airs figés.
C'est le chant de
l'impossibilité du mouvement, qui fait mine de ne pas pouvoir faire un pas plus
loin, et qui pourtant ne fait rien d'autre que donner vie à cet entrelacs
d’envies, une chanson qui se contredit en s'affirmant.
Et elle s'appelle "Lucien", et on ne sait rien de
ce Lucien qui est pourtant la raison de tout et son contraire, de l'envie de
partir et de son impossibilité.
Il y a des cinéastes,
comme ça, qui savent faire exister pleinement un personnage qui n'est présent
que deux minutes à l'écran. Le Mans c'est un peu du cinéma en mieux: pas besoin
d'images, juste des guitares, une voix, un absent, et voilà l'automne qui
commence.
[1] Te reposer pour rêver et
essayer d'oublier la tristesse d'une journée normale,
et peut-être moi.
[2] Tu souris à ton rêve et
moi, je te dis adieu.
[3] Je regarde les alentours
et j'ai de la peine à partir d'ici
[4] Si j'avais le courage de
pouvoir t'expliquer,
Si je pouvais mieux faire, je le ferais pour toi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire