lundi 7 mars 2011

Grégoire Moulin contre l'humanité

Grégoire Moulin contre l'humanité a eu beaucoup moins de succès en salle que des films comme Coup de foudre au 15 bis rue Destinée, Mouille ton treillis, soldat Fortune ! ou encore La classe ouvrière contre Mothra. C’est injuste pour ce film bourré de qualités, parmi lesquelles :
- sa phrase d'accroche, "Les soirs de match, personne ne vous entendra crier."
- de la violence gratuite et brutale à l'encontre d'une chèvre dans la première minute du métrage
- un hamster qui s'appelle Michel
- un chien qui conduit un taxi
- une mini-adaptation très drôle et très bien vue de Madame Bovary
- et aussi c'est un film sur la violence des normes sociales, mais on ne s'en aperçoit qu'une fois qu'on a terminé de bien rigoler.
Alors Grégoire Moulin contre l’humanité, parlons-en, et profitons-en pour chanter notre estime pour son auteur, Artus de Penguern.


Grégoire Moulin naît à la clinique Franz Kafka et devient orphelin presque aussitôt, après que son père et sa mère se sont entretués pour savoir si leur rejeton serait footballeur ou médecin. Constamment pourchassé par la norme du garçon footballeur, alors que lui voudrait faire de la danse, Grégoire Moulin se retrouve isolé. Jusqu'au jour où, ayant perdu le peu de famille qui lui restait à cause d'une mouche, il décide d'aller travailler à Paris et de prendre sa vie en main. Aussitôt arrivé, il tombe amoureux d'une professeur de danse à qui il donne rendez-vous dans un café un soir de finale de coupe de France de football. Le monde semble alors se liguer contre lui et contre ses projets. Le film raconte le déroulement de cette soirée, c'est rudement marrant et fort bien construit.


Notons d’abord que bien souvent, les comédies qui racontent une histoire se déroulant sur une période courte jouent l'effet théâtre, du style organisons un dîner à la maison, tu es sûre qu’on aura assez de saucisses cocktail, ah tiens, René a une nouvelle grue, j’ai l’impression que Patrick a recommencé à boire, faut dire que Christiane est toujours dépressive, oui mais elle n’a pas la vie facile avec son boulot et Mercier de la compta qui lui fait des crasses, tiens mais qui donc sonne à cette heure indue, oh non, c'est monsieur Robinet, le voisin qui essaye tout le temps de s'incruster depuis que sa femme l'a quitté, et je t'avais bien dit que la dinde serait trop cuite et quand c’est trop cuit c’est sec, mais ce qui est vraiment sec c’est ton cœur, Ernest, etc. Artus de Penguern, qui se coltine ici le scénario, la réalisation et l’interprétation du rôle principal, décide au contraire de faire une comédie bourrée jusqu'à la gueule de rebondissements, d'action, d'explosions de violence grand-guignolesque, de scènes absolument barrées, le tout sur fond de satire sociale. Ça aurait été plus simple de raconter un dîner dans un trois pièces, c'est sûr. Mais c'est une réussite (à l'exception d'une fin qui met du temps à se trouver, si on veut pinailler un peu) qui se place facilement parmi les meilleures comédies françaises. 


Grégoire Moulin contre l'humanité jouit d'une structure très solide, où chaque événement surpasse celui qui le précédait en intensité, en folie ou en drôlerie. On assiste donc à un crescendo d'une heure, durant lequel un personnage qui cherche simplement à trouver son bonheur (la femme qu’il doit retrouver s’appelle d’ailleurs Odile Bonheur) doit se confronter, comme le titre l'indique, à l'humanité. Et elle n'est pas engageante: hystérique, incapable d'interagir sans violence, obsédée par un désir de domination, incapable d'accorder sa confiance à qui que ce soit, rageusement conforme à un modèle dont personne ne pourrait expliquer le bien fondé... Grégoire Moulin est animé par les sentiments les plus nobles, ce qui le place immédiatement dans la position du plus faible dans un monde où pour arriver à ses fins il faut soumettre l'autre. En ce sens, la construction par paliers est intelligente, puisqu'on assiste à la naissance d'un ras-le-bol progressif qui finit par exploser dans la drôlerie. Tout est construit sur un ensemble de détails qui, par accumulation, finissent par créer un univers délirant, assez proche d’une BD de Gotlib par exemple.


Ce film qui, en plus de bien nous faire rire, propose un portrait bien vu de l'ordre établi absurde auquel chacun est gentiment sommé de se conformer, a été assez fraîchement reçu par la critique. La critique est favorable à ce qu'une comédie sorte de la norme, mais seulement si c'est pour entrer dans une autre norme, ce que ne fait pas vraiment Artus de Penguern. Alors c'est pas du jeu. Il a donc été châtié pour sa témérité, lui qui a osé brouiller les pistes en cherchant à imposer un ton unique, quelque part entre le trash, la noirceur, l’absurde et la potacherie bon enfant.


Grégoire Moulin contre l'humanité date de 2001, et on attend toujours le deuxième film d'Artus de Penguern. Il n'a pas été inactif ces dix dernières années, loin de là, il a même prouvé qu'il n'était pas la moitié d'un bon acteur dans L'homme qui rêvait d'un enfant, de Delphine Gleize. Il avait un temps lancé un projet de format court pour la télévision qui s'appelait « Si... » et était rudement bidonnant. Tout partait d’un postulat absurde, par exemple « Si le shampooing était illégal… » ; on suivait alors un deal de shampooing dans une chambre d'hôtel sordide, où les personnages parlaient et agissaient comme s’il s’agissait d’une vente de drogue dans un film policier. C'était tellement réussi que personne ne l'a acheté, la télévision française s'employant par nature à fuir la qualité. Il est difficile de trouver des épisodes de cette série, mais il nous reste le très beau « Si le présentateur du 20 H avait des pattes de porc… »


Artus de Penguern avait ensuite annoncé l’adaptation de son court-métrage La polyclinique de l'amour, ce qui ne serait sans doute pas piqué des hannetons, puisque le film dépasserait son matériau de départ en racontant l’histoire d’un romancier qui veut tuer Bernard Pivot parce que ce dernier a fait une mauvaise critique du feuilleton romantico-hospitalier qu’il vient d’écrire. Mais là encore, on est sans nouvelles précises.


On peut en ce moment entendre Artus de Penguern tous les mercredi matins sur France Inter pour une chronique enragée de très bonne facture. Mais vraiment, vivement qu'il parvienne à remettre un film en route, la France a besoin de lui (le monde aussi, mais il ne le sait pas encore).

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