Aujourd'hui on va bien s'amuser, puisqu'on va parler d'un film de Julio Medem, son deuxième, L'écureuil rouge. S'il n'a ni la force poétique des Amants du cercle polaire ni la beauté hypnotique de Lucia y el sexo, ce film mérite largement le détour. Mais pourquoi allons-nous bien nous amuser? Simplement parce que parler du travail de Medem, c'est parler d'un cinéma qui se construit sur l'esthétique, sur l'ambiance, l'impalpable, le ressenti. Nous tenterons donc de parler du film sans trop en dire, et de ne pas en faire une analyse qui fermerait trop de portes. Il s’agirait de ne pas tuer la grenouille tout de même.
L'écureuil rouge est l'histoire de Jota, un musicien qui veut se suicider après que son couple avec une musicienne, Eli(sa), a pris fin. Mais arrivé au-dessus de la mer, il hésite. C'est alors qu'un motocycliste a un accident et se retrouve catapulté sur la plage comme un ange tombé du ciel. Jota va à son secours. Le motocycliste est une femme et son accident l'a rendue amnésique. Jota lui invente alors une identité, lui faisant croire qu'elle s'appelle (E)Lisa et qu'ils ont quatre ans de vie commune. Ce couple étrange part prendre du repos dans un camping nommé "L'écureuil rouge".
Alors voilà, un argument de départ qui pourrait donner lieu à un drame teinté de fantastique (Lisa est-elle une femme ou un ange?), à un thriller (qui peut bien être « Lisa »?), à une romance, à une satire sur le machisme (ou comment le mâle cherche à façonner la femelle telle qu'il la désire, sans lui laisser de libre arbitre)... Et L'écureuil rouge est tout ça à la fois, et autre chose en même temps. Medem a le chic pour présenter son film de manière très simple, en disant qu'au fond c'est simplement l'histoire d'un homme qui cherche quelqu'un à aimer. Et c'est vrai, c'est aussi simple que ça. Mais Medem est doué pour faire danser ensemble simplicité et complexité. On n'a jamais l'une sans l'autre, ce qui permet de voir ce film comme une histoire simple racontée de manière bizarre, ou une histoire bizarre racontée de manière simple. Mais tout ça ressemble à une définition, et définir un film de Medem en s'appuyant sur des concepts précis, c'est une entreprise vouée à l'échec.
L'écureuil rouge, c'est du physique. Tout est très corporel. Les personnages, Jota en premier lieu, suivent leur sang et leurs sens. Aucune place n’est laissée à la réflexion, il s’agit de suivre ses mouvements intérieurs. La peau recouvre tout ça et ne laisse rien transparaître. Medem s’emploie à filmer essentiellement la peau, la surface des choses, mais avec la conscience que ce qui compte est en dessous, et que ce qui compte dans un film doit se mériter. Il joue sur son terrain, celui du cinéma, de la création d'un espace et d'un temps. Mais ce qui sert d’ordinaire de contexte devient ici du matériau à histoires. L’espace dans lequel se déroule l’action en explique bien davantage que les mots échangés par les personnages. Quant au temps, Medem le fait valser pour donner une orientation à ce qui est montré, une orientation fataliste.
Chez Bouddah et Jean-Pierre Meville, « Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.» Medem suit ce même précepte, mais remplace le cercle par un écureuil. Il en a le droit. Il fait d’un banal camping où tout est factice une sorte de micro-monde où se passe ce qui devait se passer. La transition entre théâtre antique et cinéma se produit une fois de plus et c’est aussi ça L’écureuil rouge, une sorte de film somme, « comme une bataille. L'amour. La haine. L'action. La violence. Et la mort. En un seul mot c'est l'émotion. »
Le cinéma de Medem se vit comme une expérience, où l'on a le sentiment d'avoir parcouru une distance physique et psychologique entre le moment où le film commence et le moment où il prend fin. Il est de ceux qui font grandir le spectateur, en ce qu’il les place au départ dans un contexte familier puis les entraîne petit à petit vers autre chose. S’il lui arrive parfois de se perdre, on ne peut pas nier le fait que Medem est un guide vers une autre approche du cinéma. Il suffit de voir son récent Caótica Ana pour comprendre qu'à l’égal de Jarmush, Gilliam, ou Gondry par exemple, Medem est de ceux pour qui la poésie est un souci, et un outil, et un combat. Le cinéma de Medem c'est de l'art, et c'est suffisamment rare pour être souligné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire