"T'es
à chier Jason, arrête la branlette."
Bam!
L'entrée en matière. Le reste est à l'avenant.
Sleaford
Mods c'est de l'économie de moyen: un sample et une voix qui parfois
se double. La voix c'est celle de Jason Williamson, qui est le nerf
et l'âme du groupe. C'est un vocabulaire et un accent particulier
(on doit bien admettre que de prime abord à part "bollocks",
"fucker", "cunt" et "wanker" on n'en
comprend pas large), et c'est aussi quelque chose qui avance masqué.
A savoir que ça donne l'impression d'être une démarche de bourrin
qui râle et gueule et qui dézingue à peu près tout ce qui respire (avec une prédilection pour les représentants de la culture pop, mais pas que). Mais il ne faut pas s'y tromper. D'une part c'est une
grande joie de l'accompagner en braillant "Fucking Gary Barlow
and smoking glue!" ou "Wohoho! Chef's omelette!".
D'autre part il y a deux courants contraires qui se rencontrent dans
cette voix (et se superposent parfois, allant même jusqu'à créer
des harmonies mine de rien vraiment pas dégueues): la colère, et le
sentiment de s'en contrebranler.
Et
c'est un peu sur ce fil du rasoir qu'avance la musique de Sleaford
Mods: une impression de foutage de gueule ("J'ai fait trois
albums en huit mois, je fais chier personne avec ça", dit
Williamson sur « The mod that fell to earth ») nourrie
d'un sens du cradingue d'une solidité à toute épreuve (très très
beau glaviot au début de « Wack it up bruv »), au
service d'une colère polymorphe qui devient l'essence, et le cœur,
et l'âme d'une musique qui ne rend de compte à personne et avance à
sa putain de guise.
The
Originator est sorti en 2009. L'album est aujourd'hui introuvable
dans le commerce comme sur internet (du moins sous sa forme d'album,
mais on trouve tous ses morceaux ici et là). Il a eu des petits
frères très recommandables depuis, mais cet album a un côté
particulièrement nerveux et rêche qui fait plaisir à entendre. Et
puis il contient ce morceau de bravoure qu'est « Wack it up
bruv », longue digression sur quatre notes où Williamson pose
un flow en roue libre qui frise la perfection et tape sur tout ce qui
bouge, parfois de manière totalement gratuite, parfois pour fustiger
ceux qui "mettent l'argent au-dessus de l'inventivité".
Et
voilà ce qui fait de Sleaford Mods quelque chose de beau :
c'est grossier à plein de sens du terme, mais c'est fait avec une
véritable superbe. Un peu à l'image de la pochette de l'album au
fond: bien sûr on voit d'abord Williamson qui se cure le nez, mais on voit après dans son
regard quelque chose qui porte cette grossièreté en bandoulière,
et en la transformant ainsi en anti-drapeau il la transcende. Et
c'est peut-être bien plus chouette de transcender le salingue que le
joli.
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