Ouverture: un
cognement sourd, comme les coups d'un prisonnier sur les portes de
son cachot; et puis un secouement plus régulier, le prisonnier agite
une boîte en fer dans laquelle il y a ce qu'il lui reste de
souvenirs rouillés. Dans la cellule d'à côté un squelette danse
un twist saccadé, ses os s'entrechoquent. La guitare arrive pour
éclairer la scène à la lueur d'un flambeau dont les charpies
s'éparpillent au sol en feux follets. Pour l'instant on est dans la
cale.
« Nous on
enfonce nos doigts dans le sol, et ho! hisse!, on retourne le
monde. »
La voix de Tom Waits
il faudrait inventer des mots pour pouvoir en parler vraiment. Enfin
un dictionnaire plutôt. On fera avec ce qu'on a: dans les couplets
c'est un peu le prêche pour une flopée de marins abrutis qui auraient pris la mer par peur du démon. « Dieu a fait de moi son
marteau, les gars, pour battre son tambour épuisé ». Quand
arrive le refrain, « Hissez-moi ce haillon ! », ça
devient un aboiement. Le prêtre enlève son masque: en fait c'est
lui le diable.
La guitare, c'est
Marc Ribot, et le solo qu'il livre ici justifie à lui seul
l'invention des doigts. Avant même ce passage il y a ce jeu qui
choisit de faire sonner certaines notes et de donner une vague
impression des autres: il y a ce qu'on voit, et il y a l'armée
d'ombres cachées derrière. Une sorte de groove un peu ficelle: un
temps au grand jour, trois temps en cachette, tu voudrais t'en aller
quand la guitare commence à gronder que tu t'apercevrais soudain
qu'on a volé tes pieds.
« Voilà la
cloche fêlée qui sonne pour accompagner le chant des oiseaux morts
et les suppliques des dieux. »
Et puis le solo.
Marc Ribot joue assis et ça change tout. Un guitariste debout qui se
lance dans un monologue ça cherche à se tendre vers les horizons
célestes et à se voir pousser des ailes. Ce qui intéresse Ribot
c'est la terre sous ses pieds, et la terre sous cette terre. Il
creuse avec une virtuosité aux pieds ancrés dans le sol jusqu'à
atteindre la vérité de la chose, un cœur noir qui émet des
lueurs, un muscle battant et nerveux. Le groove s'installe
progressivement, c'est un vieux groove sec comme un coup de trique
qui a grandi dans des plaines désertiques et qui use sa voix
éraillée à chanter pour des fantômes dans les cathédrales qu'il
a édifiée à l'intérieur de mines d'or abandonnées. Ça commence
à moitié en sourdine et puis ça réveille la lave.
Alors « Hoist
that rag » est un bateau et la mer est en feu. Et ça mon ami
c'est païen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire