dimanche 30 août 2015

Tom Waits - « Hoist that rag »


Ouverture: un cognement sourd, comme les coups d'un prisonnier sur les portes de son cachot; et puis un secouement plus régulier, le prisonnier agite une boîte en fer dans laquelle il y a ce qu'il lui reste de souvenirs rouillés. Dans la cellule d'à côté un squelette danse un twist saccadé, ses os s'entrechoquent. La guitare arrive pour éclairer la scène à la lueur d'un flambeau dont les charpies s'éparpillent au sol en feux follets. Pour l'instant on est dans la cale.

« Nous on enfonce nos doigts dans le sol, et ho! hisse!, on retourne le monde. »

La voix de Tom Waits il faudrait inventer des mots pour pouvoir en parler vraiment. Enfin un dictionnaire plutôt. On fera avec ce qu'on a: dans les couplets c'est un peu le prêche pour une flopée de marins abrutis qui auraient pris la mer par peur du démon. « Dieu a fait de moi son marteau, les gars, pour battre son tambour épuisé ». Quand arrive le refrain, « Hissez-moi ce haillon ! », ça devient un aboiement. Le prêtre enlève son masque: en fait c'est lui le diable.

La guitare, c'est Marc Ribot, et le solo qu'il livre ici justifie à lui seul l'invention des doigts. Avant même ce passage il y a ce jeu qui choisit de faire sonner certaines notes et de donner une vague impression des autres: il y a ce qu'on voit, et il y a l'armée d'ombres cachées derrière. Une sorte de groove un peu ficelle: un temps au grand jour, trois temps en cachette, tu voudrais t'en aller quand la guitare commence à gronder que tu t'apercevrais soudain qu'on a volé tes pieds.

« Voilà la cloche fêlée qui sonne pour accompagner le chant des oiseaux morts et les suppliques des dieux. »

Et puis le solo. Marc Ribot joue assis et ça change tout. Un guitariste debout qui se lance dans un monologue ça cherche à se tendre vers les horizons célestes et à se voir pousser des ailes. Ce qui intéresse Ribot c'est la terre sous ses pieds, et la terre sous cette terre. Il creuse avec une virtuosité aux pieds ancrés dans le sol jusqu'à atteindre la vérité de la chose, un cœur noir qui émet des lueurs, un muscle battant et nerveux. Le groove s'installe progressivement, c'est un vieux groove sec comme un coup de trique qui a grandi dans des plaines désertiques et qui use sa voix éraillée à chanter pour des fantômes dans les cathédrales qu'il a édifiée à l'intérieur de mines d'or abandonnées. Ça commence à moitié en sourdine et puis ça réveille la lave.

Alors « Hoist that rag » est un bateau et la mer est en feu. Et ça mon ami c'est païen.

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