lundi 30 juin 2014

Bernard Minet - 12 chansons de Bioman

C'est un classique des brocantes et des bacs à un euro. On a plus de chance de se le faire offrir pour la blague que de l'acheter soi-même. Au dos de la pochette une écriture qui sent l'école de la IIIème République a écrit "Pour Jean-Luc, joyeux anniversaire mon grand." Le vinyle est à peine rayé, Jean-Luc devait être soigneux, à moins qu'il n'ait toujours préféré le cyber-punk japonais aux séries pour enfants. Mais voilà que quelque chose étonne: la lettre d'intention de Bernard Minet, que l'on trouve imprimée au dos de la feuille où sont inscrites les paroles.
Cette lettre, la voici:

« Dis-moi, Bioman

Il y a quelque soir je marchais dans la rue. Je rentrais d'un concert en compagnie de Sylvia. Des blousons noirs nous ont attaqués et détroussés. Je n'ai rien dit. Portefeuille, clés de voiture, blouson, ils m'ont tout pris et ils sont partis. Sylvia m'a regardé froidement et avec son accent brésilien elle m'a dit "Tu n'as rien d'héroïque, pas vrai?"
Et j'ai répondu "Non..."
Je l'ai raccompagnée chez elle. Je sais que je ne la reverrai jamais, ou alors dans les bras d'amis plus forts que je ne sais l'être.
Je suis rentré chez moi et j'ai écrit sans cesse, Jean-François m'avait commandé depuis longtemps déjà cet album sur Bioman et je ne savais pas par quel bout le prendre et soudain tout s'éclairait, les titres sont tombés les uns après les autres et je travaillais comme sous hypnose, quelque chose que je n'avais jamais connu auparavant: "La chanson des héros", "Dors en paix la terre", "A l'assaut", et puis comme d'un seul mouvement "Bioman", "Bioman - Bioman", "Dis-moi Bioman", "C'est Bioman", "Hey Bioman go", "Bioman danse", "Embrasse-moi Bioman" (celle-là Jean-François n'en a pas voulu) et quand j'ai mis le point final à "Je voudrais être Bioman" j'étais en larmes. J'avais mis le doigt sur ma douleur, je ne pouvais plus aligner trois mots.
Heureusement il restait la musique. J'ai repensé aux leçons que m'a données László Frachberger, auxquelles j'avais tourné le dos depuis si longtemps, et je me suis replongé dans son enseignement. C'était comme un voyage intérieur quand j'ai fait resurgir du fond de ma mémoire les notions de base. D'abord j'ai essayé de retrouver ce qui sépare le son et le son musical. J'ai compris que le second se distinguait du pur phénomène physique par l'existence d'une certaine symétrie entre ses harmoniques. Alors j'ai retrouvé ces ondes périodiques qui s'expriment dans un rapport de petits nombres entiers et qui constituent un son unique et j'ai compris enfin comment la perception musicale de la concordance entre ce son unique et ces nombres multiples apparaît quand les deux sons en question contiennent un maximum d'harmoniques concordantes, je veux dire quand un minimum d'entre elles se trouvent dans une dangereuse proximité les unes des autres. Je dois bien admettre que là encore j'ai pleuré, secoué de sanglots comme lors de la révélation mystique que j'ai vécue une nuit d'orage à la Baule-les-Pins. Mais à cet éblouissement ont succédé les ombres, et ce sont elles qui me rongent à présent. Je ne sais plus où j'en suis.
Chopin est un grand mélodiste. Et moi, où est ma force? Beethoven est vindicatif et rentre-dedans. Et moi, que suis-je? Bach est obsédé par les formes anciennes et le contrepoint. Et moi, qu'est-ce qui m'habite?
Bioman tire sa force d'être moitié homme et moitié robot, il combat les méchants qui veulent empêcher les oiseaux de chanter et le ciel bleu de se refléter dans les yeux des enfants. Moi je me sens moitié-homme, moitié-homme. Pas fini, même pas commencé. J'ai essayé d'en parler à Framboisier il y a peu, il m'a dit "Tu fais chier avec tes états d'âme de gonzesses. Un homme ça fume, ça boit, ça fait le mur et ça baise." Ce jour-là j'ai su que j'avais perdu un ami. Et surtout j'ai su que je n'avais pas les épaules pour rentrer dans le costume.
Un homme ça fume, ça boit, ça fait le mur et ça baise, et moi, qu'est-ce que je fais sur cette terre? Je me fais détrousser devant une Brésilienne et je ne dis rien. Je tremble de sentir Dieu soudain en moi quand je chante "Merguez party".
Il faut m'excuser, auditeur, mon vrai copain, je ne suis pas très en forme en ce moment, je ne sais plus du tout où j'en suis. J'ai enregistré ces chansons dans un état second mais je veux que tu n'aies aucun doute: chaque mot que je chante ici, il m'habite au plus profond. C'est ce vers quoi je voudrais aller. Mais en ce moment je me sens comme vide.
Dieu sait à quel point j'aime la vie. Je me sens parfois comme arrivé sur terre pas plus tard qu'hier, je découvre le monde, les humains, avec des yeux neufs. Je vois la beauté de chaque chose et je fais corps avec tout ce qui existe. Mais bientôt je sens mes failles revenir, je les sens me miner et je ne sais plus quoi faire.
Auditeur, mon vrai copain, je voudrais juste que tu sois sûr d'une chose. Quand je chante "Je voudrais être un Bioman, avoir cette force primordiale pour défendre tout l'univers contre les méchants de l'enfer et toutes leurs forces immorales"
Je ne mens pas. »


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