mercredi 20 juillet 2011

Albert Lamorisse

Choses vues grâce au cinéma d'Albert Lamorisse:

- des films pour enfants qui racontent l'enfance non pas telle qu'elle devrait être, comme le font environ 99,9% des cinéastes s'essayant au genre, mais telle qu'elle est. C'est plein de poésie et de cruauté, de beauté et de tristesse.

- un réalisateur qui décide de ne pas plier la nature à sa volonté, mais de laisser de la place à l'accidentel. Un style quasi-documentaire pour des films qui, selon la norme, devraient édulcorer tout ce qui sort un peu des cadres. Un combat de chevaux dans Crin Blanc devient du même coup une scène d'une intensité rare et d'une vérité inédite.


- une caméra qui se balade dehors, en loucedé, et qui inscrit ses histoires dans le monde réel; où l'on s'aperçoit que Paris dans les années 50 c'est du gris sur gris étouffant, où l'on comprend que l'enfant du Ballon rouge est un précurseur d'Antoine Doinel.

- un sens de la vérité rare mêlé à un pouvoir poétique qui l'est tout autant, des films construits à cheval sur deux tendances divergentes qui font du résultat quelque chose d'incomparable: quand les émotions éclatent dans un contexte si réaliste, elles ont beaucoup plus de couleurs.


- une capacité à raconter aux enfants des histoires profondément sincères et justes en ne les prenant pas pour des pinpins tout juste bons à acheter des figurines. Au fond c'est une volonté d'éduquer les spectateurs de demain à ne pas se laisser faire pas des films pourris. Une oeuvre d'utilité publique, en somme.

- des prouesses technologiques inaccoutumées en France à cette époque. Quand dans Crin Blanc Lamorisse se lance dans de longs travellings pour suivre la course des chevaux, on se dit que John Ford n’est pas bien loin devant. Et quand Lamorisse crée l'hélivision pour filmer le Voyage en ballon, c'est le cinéma à grand spectacle de la fin du XXème siècle qui se régale du procédé. Penser que James Bond doit une fière chandelle aux aventures de Pascal et de son savant fou de grand-père, c'est assez fendard.


- dans le même Voyage en ballon, Maurice Baquet et sa présence phénoménalement comique, dont il ne se départira jamais (qui ne pleure pas de rire devant M. Crémieux dans Versailles Chantiers s'est fait ôter les zygomatiques et le coeur par un docteur nazi).

- un ballon se dégonfle et on a envie de pleurer. Il n'y a pas de violons, pas de mouvements de caméra pour aller chercher quoi que ce soit, pas de représentation putassière de la tristesse enfantine, mais on a envie de pleurer. "La magie, Albert... La magie."

- la poésie absolue à la rescousse de la souffrance enfantine, la poésie comme seul échappatoire, la poésie comme credo et comme ligne conductrice.


- le 19 février 2011, au centre Pompidou, Michel Gondry présente le Voyage en ballon; à l'issue de la séance, il actionne une montgolfière miniature de sa fabrication, dotée d'une petite caméra sous la nacelle, au dessus d'une maquette construite par son cousin. Les images ainsi filmées sont projetées sur l'écran pendant que Jean-Michel Bernard et un autre musicien réinterprètent les thèmes musicaux du film. Dans la salle, tout le monde a cinq ans et demi. Le fantôme de Lamorisse est posé sur l’épaule gauche de Gondry.

- un thème récurrent traité avec brio: celui du conflit entre ceux qui aspirent à la liberté et le monde alentour qui refuse de voir quiconque prendre du champ. Des aspirations brisées par les normes et des gens qui luttent pour vivre heureux. Thème ardu, traité avec un brio constant.


- surtout: trois films[1] d'Albert Lamorisse vus, trois des plus belles fins qui soient. Une capacité à boucler la boucle tout en ouvrant des perspectives nouvelles. Et à chaque fois c'est étrange, on se prend une poussière dans l’œil.




[1] Car c’est bien malheureux mais Crin Blanc et le Ballon rouge sont les deux seuls films de Lamorisse édités en DVD ; sept autres dorment on ne sait où.

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