jeudi 1 septembre 2022

Un scénario? Pour quoi faire? (1/2) - the Raid, de Gareth Edwards

On va voir Bullet train, de David Leitch, en espérant une bonne comédie d’action. Seulement l’action est réduite à portion congrue et assez pauvrement orchestrée, et la comédie est poussive. Et puis là-dessus un scénario qui, tentant de se donner une sorte de crédibilité, en rajoute sans cesse une couche, puis une autre, et encore une autre, jusqu’à se noyer dans le vieux dégueulis qu’il finit par former: pas de consistance, ni de richesse, ni de caractère. On en ressort désabusé et, comme bien souvent après avoir vu un film de cet ordre, on repense à the Raid.


Le scénario de the Raid est le suivant: en Indonésie, un détachement de policier prend d'assaut un immeuble tenu par un baron de la drogue et ses sbires. D'abord ils se battent avec des armes à feu, ensuite avec des armes blanches, et pour finir à mains nues.


Ce scénario est écrit par le réalisateur-monteur du film, Gareth Edwards; tenant entièrement les rênes de son film, Edwards a une conscience et une maîtrise absolues de ce que ce dernier doit être. Le dosage de l’écrit est donc impeccable puisque récit et dialogues n’ont d’autres raisons d’être que de poser et d’équilibrer la composition du film dans son ensemble. Les scènes peu nombreuses durant lesquelles les personnages ne sont pas dans l'action sont là afin de donner des bases solides à cette dernière, et d’apporter les respirations nécessaires à l'évitement d'un trop-plein. Le reste tient à une recherche de sublimation du mouvement dans un espace défini, soit l’essence d’un bon film de bagarre1.



L'intelligence de Gareth Edwards est de tirer le maximum des contraintes de ce dispositif - c'est soit dit en passant ce qui fera de la suite, the Raid 2, un film certes très spectaculaire mais moins fort, parce qu'en perdant ses scènes d'action dans des espaces multiples et un nombre inutilement fourni de personnages secondaires (qu’il faut bien légitimer par un scénario), il dilue la densité du tout. Au fond on pourrait aussi résumer le film en disant que son enjeu initial et théorique (vider un immeuble de ses dealers) finit par être spatial et concret, dans la mesure où il s’agit pour les personnages principaux de pénétrer dans un lieu, de tenter de l’investir, puis d'essayer d’en ressortir en vie. Presque tout se passe donc dans un immeuble; on pourra alors arguer que dans un immeuble il y a autant d'espaces subsidiaires que d'appartements, mais Edwards choisit de limiter l'accès à ces derniers. Oui, en vérité, the Raid est essentiellement un film de parties communes.



Cet espace restreint est donc investi par un groupe de policiers; tout commence dans la méticulosité, le silence et la discrétion, en somme dans l'ordre et la maîtrise d'un geste professionnel bien rodé. Et puis bien sûr le grain de sable arrive, les policiers sont repérés par les malandrins, et le chaos s'installe. C'est dans l'organisation de ce chaos en un cosmos visuel débordant que Gareth Edwards excelle, s’appuyant sur un sens de l'action et de l'accompagnement du mouvement remarquable (à tel point qu’il fait passer crème les mouvements parfois tremblés de sa caméra, puisque loin d’être gratuits ou cache-misère ils s’ajustent à la frénésie ou à la confusion des personnages et donnent le sentiment de faire corps avec eux). Ainsi de la première partie, celle des armes à feu, où le double enjeu s’apparente à celui du son et de la lumière: pour n'être pas repérés les policiers se doivent d'être économes en la matière. Edwards s'adapte et filme avec la même intensité la minutie initiale discrète de l’opération commençant que le déchaînement consécutif à l'échec de cette minutie. On assiste alors à du grand spectacle et à des scènes d'une bravoure qui régale. Exemple : un groupe de policiers assiégés dans un appartement, un plancher en bois, une hache, un frigo, une bonbonne de gaz: cinq minutes de bonheur intense.



Edwards a aussi la finesse de ne pas trop tirer parti de sa virtuosité, qui est indéniable mais dont il sait faire un usage raisonné. Parce que pour filmer ce déchaînement d'action la discipline est peut-être le maître-mot: discipline du réalisateur face à ses capacités aussi bien que discipline des acteurs dans l'entraînement et l'usage de leur corps. On n'a pas encore parlé d'un aspect nodal de the Raid à savoir un art martial indonésien aux origines ancestrales, le pencat silat. La découverte de cette pratique a accompagné la vie et le travail d'Edwards, qui s'est fait connaître avec un film plus fauché (mais loin d'être vilain), Merentau, dont l'axe était déjà la pratique de cet art que tous les acteurs de the Raid maîtrisent à la perfection. La chorégraphie des combats (co-créée par l'acteur principal du film, Iko Uwais) est d'une précision, d’une richesse et d'une efficacité telles qu’elle finit par donner lieu à une sorte de félicité étourdie.

(Souvenirs émus d’un soir d’avril 2012 lors de la projection de ce film à Lyon en ouverture de l’extra chouette festival Hallucinations collectives ; progressivement saisi par le duende de la chose, le public finit par accorder plusieurs standing ovations au film durant la séance (sans compter les applaudissements et cris de satisfaction tout au long de cette dernière), faisant de celle-ci une expérience plus proche du stade que de la salle de cinéma à la différence qu’il n’y avait dans ces explosions de joie aucune détestation d’une équipe adverse. Rien que de l’extase et beaucoup de câlin.)



Le traitement de la question spatiale accompagne aussi la progression du film, dont le principe même des scènes de bagarre est d’aller vers un rapprochement des corps, donc un rétrécissement de l’espace entre eux, qui engendre une épure de l’action. Partant de combats à distance laissant la part belle aux explosions sonores et lumineuses dans un espace relativement ouvert, un mouvement progressif s’opère vers une incarnation des combats où rien d’autre ne compte que les mouvements et les sons produits par les corps qui se choquent dans des périmètres réduits. À nouveau, Edwards fait montre d’une finesse doublée d’audace : plutôt que d’aller vers de plus en plus de pestacle qui pète de partout, il choisit de dégraisser l’action pour atteindre une sorte d’essence de la chose. Il parvient alors à atteindre un climax, ce que la majorité des films d'action rate dans les grandes largeurs, non pas avec un esprit de démultiplication neuneu, mais en se recentrant méthodiquement vers le cœur du film grâce à un travail alliant les vision d’un cinéaste et de ses acteurs dans la réalisation d’une scène de combat aussi proche de l’os que possible.



Cet esprit de resserrement est au diapason du traitement du scénario, dont la simplicité recherchée est une grande qualité. Il n’y a évidemment aucun discours dans the Raid, aucune volonté d’en faire autre chose que ce que ce film est. Et ça aussi c’est très très aimable : c’est un film humble fait avec infiniment de sérieux et de soin pour parvenir à être pleinement ce à quoi il aspire, et rien d’autre. Il ne prend pas le genre de haut, ne cherche jamais à faire de clin d’œil au spectateur pour montrer que lui non plus n’est pas dupe et tenter dès lors pauvrement de faire accepter des faiblesses ou des incohérences, lot commun du film d’action de masse qui ne s’assume pas. Cet écueil, encore une fois lié à une frénésie de démultiplications scénaristico-visuelle totalement vaine, est magistralement évité par the Raid : le pacte scellé avec le public est respecté avec une grande honnêteté, et on n’en ressent que plus d’affection pour ce film dévoué et habité par la volonté d’accomplir son geste cinématographique. the Raid y parvient sans artifice parce que c’est un film qui a du cœur.


P.S. : on n’évoquera pas ici la brutalité et la violence, ô combien grandes, du film. D’une parce que bonjour le débat fastidieux, de deux parce qu’une violence qui n’est pas accompagnée de gags et de punchlines est forcément plus saine qu’une violence qui se déresponsabilise et cherche à se mettre à distance d’elle-même ; a priori quand dans le rite antique de la tragédie on égorgeait un bouc devant le public d’un théâtre, il n’y avait pas sur scène un bouffon pour crier « Pouët pouët ! »

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1 Mais pas que, cela dit ; il en va de même dans une bonne comédie musicale, que ce soit dans le respect de la contrainte spatiale  (l’extra-chouette scène d’ouverture d’un Américain à Paris, de Vincente Minnelli, montrant Gene Kelly en pleine routine matinale dans sa minuscule chambre de bonne), ou dans l’affranchissement total de cette dernière (à peu près n’importe quelle chorégraphie orchestrée par Busby Berkeley, où par exemple une scène de théâtre de dimensions classiques devient soudain assez grande pour accueillir une centaine de figurants et, tant qu’à faire, quelques chevaux dans le 42ème rue de Lloyd Bacon).


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