Les deux premiers longs-métrages de
Fernando Eimbcke ont la particularité d'être beaux. On les garde profondément ancrés en
mémoire et ça tombe bien, on n'a surtout pas envie de les oublier.
Au printemps 2005 sortait Temporada
de Patos1,
le premier de ces deux longs. Au printemps 2005 nous sortions
positivement emballé de Temporada de Patos, avec cette
impression étrange que l'on ressent quand un petit film nous donne
soudain l'impression de mieux toucher le monde. Peut-être parce qu'il y a
dans ce film une ouverture à la poésie. En lui-même il ne vise pas
à habiter ses images de poésie, mais il rend suffisamment sensible
pour qu'on puisse ensuite la percevoir là où elle est, c'est-à-dire
partout.
Temporada de Patos parle de deux enfants qui
s'ennuient le dimanche, Flama et Moko, dont les projets de rouille se
trouvent contrecarrés par une voisine dont le four est en panne et
par un livreur de pizza récalcitrant. Après s'être tournés autour et flairés, ces personnages vont peu à peu s'apprivoiser. Les deux
intrus vont progressivement (et de manière très subtile à l'écran) établir une confiance avec les adolescents, les amener à se livrer et à se débarrasser du même coup des fardeaux qui les encombrent et dont ils ne savent comment se décharger. Puis, dans un mouvement réciproque,
ces deux intrus vont à leur tour se trouver sauvés par la présence
des autres et leur écoute, et chacun en ressortira grandi et libéré.
Pour parvenir à ce résultat Fernando
Eimbcke fait avec ce qu'il a, un décor quasi-unique, quatre acteurs,
presque pas de musique (s'il y en a peu dans ses films, elle reste pourtant gravée dans la mémoire des spectateurs), mais beaucoup d'idées et un sens de l'économie remarquable. Il faut voir par exemple comment il parvient à
transformer une banale scène de livraison de pizza en suspense de
poche, ou comment il fait parler les corps de ses personnages quand
leurs mots semblent ne pas pouvoir ou vouloir sortir (notamment dans
une scène de drague en cuisine où la gestuelle en dit long sur la
crainte d'entrer dans la vie qu'on peut ressentir à l'adolescence).
Entre les personnages qui ont peur de voir les choses changer et ceux
qui n'attendent que ça sans que le changement advienne, tous
finissent par s'équilibrer et se soutenir mutuellement.
On admire alors immédiatement la
capacité qu'a Eimbcke, par le point de vue adopté, à transcender
ses personnages et les éléments constitutifs de leurs histoires
respectives. L'action se passe dans une barre d'immeuble baptisée
« Niños heroes » et ce choix n'est bien sûr pas complètement anodin:
d'une situation triviale, Eimbcke fait une sorte d'épopée
d'intérieur où nos héros se battent contre leurs démons et
triomphent.
Autant de dire que quand sort Lake
Tahoe durant l'été 2008, on y va avec impatience. Et on se
retrouve comblé, ô combien, parce qu'en quelques années Eimbcke
semble avoir fait des progrès considérables en terme de réalisation
et de récit, mais toujours vers plus de sobriété et d'économie.
C'est ainsi qu'à plusieurs reprises, notamment dès l'ouverture du
film, on se trouve face à un écran noir; il ne reste que le son
pour que chaque spectateur puisse se construire sa représentation de
la scène. Au départ on tique un peu en se disant qu'il y a là un
truc un peu facile et paradoxalement tape-à-l'oeil, mais quand
progressivement les éléments du récit se révèlent on comprend
que ces écrans noirs sont en vérité remplis de sens, en ce qu'ils
sont là pour raconter les moments où la vie n'y est plus.
Lake Tahoe met en scène une
journée dans la vie de Juan (excellent Diego Cataña, déjà présent
dans Temporada de Patos). Comme pour le précédent, Eimbcke
commence par filmer un décor qui semble vide, une atmosphère en
somme, et ces plans laissent une respiration et de l'espace pour ce qui
viendra ensuite remplir ces lieux, leur donner une profondeur et des
émotions. Juan a un accident de voiture et il erre dans la ville
(Progreso, dans le Yucatán, décor parfait) à la recherche de
quelqu'un qui pourrait l'aider à la réparer - en vérité le film
entier parle de réparation. Se déroule alors ce que la
co-scénariste Paula Markovitch appelle un "road-movie avorté".
Dans ce mouvement empêché, on est progressivement amené à
comprendre ce que vit Juan, et chaque élément prend alors un sens
nouveau. Ce qu'on suit au fond c'est Juan qui est sorti de la vie,
son errance, et sa douleur qui ne parvient pas à s'exprimer. Des
rencontres se produisent mais les gens ont l'air hors d'atteinte; non
pas volontairement, simplement Juan semble ne pas pouvoir aller vers
eux. Il semble ne plus pouvoir aller nulle part. Surtout, il semble ne pas avoir la force de rentrer chez
lui. Alors il marche, il est sombre et la ville,
lumineuse.
Et puis petit à petit cette dernière
se repeuple et l'on comprend que Juan avait besoin de cet accident
pour reprendre pied dans la vie. En somme cet accident n'était pas accidentel, et les éléments
épars et a priori insignifiants qui constituaient le début du film trouvent leurs places et
tout finit par s'élever. On comprend alors qu'il y a chez Eimbcke une foi simple
et sereine sur un point: le monde vient à notre secours. Il le montre de manière dépouillée, mais habitée. On sort de là à la fois bouleversé et
enthousiaste en se disant qu'Eimbcke sait filmer, sait raconter, et
qu'il a du goût pour ce qu'il peut y avoir d'accessible et de
sublime à la fois, et que ses films en font partie.
Autant dire qu'on est très impatient de voir
sortir Club sandwich, son troisième long-métrage, ce qui devrait normalement se produire sous peu. On ne sait pas grand chose de ce film, mais on espère qu'on le verra en été, et que quand on en sortira on aura à
nouveau l'impression de marcher un peu au-dessus du sol.
1
Sinistrement retitré Mexican kids pour sa sortie de DVD,
nous espérons que l'auteur de cette idée chiatique est mort d'une
crampe au mollet.
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