vendredi 24 janvier 2014

Niños Heroes - le cinéma de Fernando Eimbcke

Les deux premiers longs-métrages de Fernando Eimbcke ont la particularité d'être beaux. On les garde profondément ancrés en mémoire et ça tombe bien, on n'a surtout pas envie de les oublier.


Au printemps 2005 sortait Temporada de Patos1, le premier de ces deux longs. Au printemps 2005 nous sortions positivement emballé de Temporada de Patos, avec cette impression étrange que l'on ressent quand un petit film nous donne soudain l'impression de mieux toucher le monde. Peut-être parce qu'il y a dans ce film une ouverture à la poésie. En lui-même il ne vise pas à habiter ses images de poésie, mais il rend suffisamment sensible pour qu'on puisse ensuite la percevoir là où elle est, c'est-à-dire partout.  


Temporada de Patos parle de deux enfants qui s'ennuient le dimanche, Flama et Moko, dont les projets de rouille se trouvent contrecarrés par une voisine dont le four est en panne et par un livreur de pizza récalcitrant. Après s'être tournés autour et flairés, ces personnages vont peu à peu s'apprivoiser. Les deux intrus vont progressivement (et de manière très subtile à l'écran) établir une confiance avec les adolescents, les amener à se livrer et à se débarrasser du même coup des fardeaux qui les encombrent et dont ils ne savent comment se décharger. Puis, dans un mouvement réciproque, ces deux intrus vont à leur tour se trouver sauvés par la présence des autres et leur écoute, et chacun en ressortira grandi et libéré.


Pour parvenir à ce résultat Fernando Eimbcke fait avec ce qu'il a, un décor quasi-unique, quatre acteurs, presque pas de musique (s'il y en a peu dans ses films, elle reste pourtant gravée dans la mémoire des spectateurs), mais beaucoup d'idées et un sens de l'économie remarquable. Il faut voir par exemple comment il parvient à transformer une banale scène de livraison de pizza en suspense de poche, ou comment il fait parler les corps de ses personnages quand leurs mots semblent ne pas pouvoir ou vouloir sortir (notamment dans une scène de drague en cuisine où la gestuelle en dit long sur la crainte d'entrer dans la vie qu'on peut ressentir à l'adolescence). Entre les personnages qui ont peur de voir les choses changer et ceux qui n'attendent que ça sans que le changement advienne, tous finissent par s'équilibrer et se soutenir mutuellement.


On admire alors immédiatement la capacité qu'a Eimbcke, par le point de vue adopté, à transcender ses personnages et les éléments constitutifs de leurs histoires respectives. L'action se passe dans une barre d'immeuble baptisée « Niños heroes » et ce choix n'est bien sûr pas complètement anodin: d'une situation triviale, Eimbcke fait une sorte d'épopée d'intérieur où nos héros se battent contre leurs démons et triomphent.


Autant de dire que quand sort Lake Tahoe durant l'été 2008, on y va avec impatience. Et on se retrouve comblé, ô combien, parce qu'en quelques années Eimbcke semble avoir fait des progrès considérables en terme de réalisation et de récit, mais toujours vers plus de sobriété et d'économie. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises, notamment dès l'ouverture du film, on se trouve face à un écran noir; il ne reste que le son pour que chaque spectateur puisse se construire sa représentation de la scène. Au départ on tique un peu en se disant qu'il y a là un truc un peu facile et paradoxalement tape-à-l'oeil, mais quand progressivement les éléments du récit se révèlent on comprend que ces écrans noirs sont en vérité remplis de sens, en ce qu'ils sont là pour raconter les moments où la vie n'y est plus.


Lake Tahoe met en scène une journée dans la vie de Juan (excellent Diego Cataña, déjà présent dans Temporada de Patos). Comme pour le précédent, Eimbcke commence par filmer un décor qui semble vide, une atmosphère en somme, et ces plans laissent une respiration et de l'espace pour ce qui viendra ensuite remplir ces lieux, leur donner une profondeur et des émotions. Juan a un accident de voiture et il erre dans la ville (Progreso, dans le Yucatán, décor parfait) à la recherche de quelqu'un qui pourrait l'aider à la réparer - en vérité le film entier parle de réparation. Se déroule alors ce que la co-scénariste Paula Markovitch appelle un "road-movie avorté".


Dans ce mouvement empêché, on est progressivement amené à comprendre ce que vit Juan, et chaque élément prend alors un sens nouveau. Ce qu'on suit au fond c'est Juan qui est sorti de la vie, son errance, et sa douleur qui ne parvient pas à s'exprimer. Des rencontres se produisent mais les gens ont l'air hors d'atteinte; non pas volontairement, simplement Juan semble ne pas pouvoir aller vers eux. Il semble ne plus pouvoir aller nulle part. Surtout, il semble ne pas avoir la force de rentrer chez lui. Alors il marche, il est sombre et la ville, lumineuse.


Et puis petit à petit cette dernière se repeuple et l'on comprend que Juan avait besoin de cet accident pour reprendre pied dans la vie. En somme cet accident n'était pas accidentel, et les éléments épars et a priori insignifiants qui constituaient le début du film trouvent leurs places et tout finit par s'élever. On comprend alors qu'il y a chez Eimbcke une foi simple et sereine sur un point: le monde vient à notre secours. Il le montre de manière dépouillée, mais habitée. On sort de là à la fois bouleversé et enthousiaste en se disant qu'Eimbcke sait filmer, sait raconter, et qu'il a du goût pour ce qu'il peut y avoir d'accessible et de sublime à la fois, et que ses films en font partie.


Autant dire qu'on est très impatient de voir sortir Club sandwich, son troisième long-métrage, ce qui devrait normalement se produire sous peu. On ne sait pas grand chose de ce film, mais on espère qu'on le verra en été, et que quand on en sortira on aura à nouveau l'impression de marcher un peu au-dessus du sol.

 
1 Sinistrement retitré Mexican kids pour sa sortie de DVD, nous espérons que l'auteur de cette idée chiatique est mort d'une crampe au mollet.

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