vendredi 26 juillet 2013

Howard Hughes - O Make me a mask



Mensonge. Duperie. Contrefaçon. Argh, damnède, nous vivons dans une galaxie où la tromperie est monnaie courante et où n'importe quelle grenouille peut se faire passer pour un bœuf du moment qu'elle n'a pas peur d'être traitée de chétive pécore, entre autres. Mais l'amour existe, il y a une lumière au bout du tunnel et quelques faits rassurants, parmi lesquels celui-ci: on ne peut pas contrefaire l'élégance. Nous parlons ici de la véritable élégance, celle qui rejaillit, qui émane, qui n'a rien à voir avec les atours ou avec une quelconque mise en scène avantageuse. Et alors nous parlons de O Make me a mask, d'Howard Hughes.




Parce qu'on pourrait faire bref et dire que O Make me a mask est une pure expression d'élégance musicale, et finalement tout serait dit. Mais ça ferait un peu rat, alors verbions un brin.
Après un morceau d'ouverture qui est en fait une chanson extraite d'un documentaire argentin, les réjouissances commencent pour de bon avec « Ginger & Fred stunts » et déjà on se dit que c'est pas du tout venant. Il y a une grâce chaloupée dans la guitare et un sens du nerf dans les arrangements dénudés de ce morceau qui emballent immédiatement quiconque a du goût pour la sobriété dense et même les autres. La simplicité apparente de l'ensemble donne du poids à chaque détail, tel cette progressive complexité tendue des accords qui finit par transformer une impression de danse négligée en raidissement où la colère affleure.


O Make me a mask passe par beaucoup de genres issus (en gros) du blues sans jamais se départir d'une assurance et d'un bon goût remarquables. On rencontre aussi bien une sorte de rock bruyant (« Beware I'm just a singer ») qu'une ballade country (« Jimmy Dean ») en passant par des embardées plus ouvertement groovy et tout ce genre de choses hétéroclites. Mais en définitive, tous ces styles se réunissent et créent une forme de cartographie fantasmée de la musique américaine.


Cependant Howard Hughes ne se contente pas d'établir un répertoire des genres, il évolue à travers eux en prouvant à chaque fois à quel point il est à l'aise sous leurs latitudes, en montrant ce qu'il a sous la semelle qui peut nourrir ces genres et les faire briller d'un éclat différent. Certaines influences sont évidentes (Lou Reed et le Velvet Underground dans les très aimables chœurs de « Hairband » par exemple, ou Leonard Cohen dans le chant, du beau linge quoi qu'il en soit), mais au-delà d'elles ce qui finit par emporter le morceau et fasciner c'est le point auquel, à travers un ensemble de chansons, Howard Hughes finit par inventer un personnage qui serait une sorte d'incarnation d'une Amérique de losers magnifiques.


O Make me a mask convoque aussi bien le roman noir désenchanté de Dashiell Hammett (« Poisonville, USA », référence directe au terriblement chouette Moisson rouge) qu'une nonchalance qui évoque Philip Marlowe tel qu'interprété par Elliott Gould dans le Privé (et donc le Tom Waits des débuts, puisque par un étrange alignement des astres ces personnages ne font qu'un), mélange de détachement et de sensibilité masquée, tiens tiens, qui finit par éclater dans le ressentiment, comme dans l'esstraordinaire « I hate you Porgy », ou dans une forme de spleen amoureux (le très touchant « Standing in the 1/2 empty hall blues »). A la fin du voyage, O Make me a mask devient un album à part en ce qu'il est parvenu à créer une personnage à multiples facettes qu'on a l'impression de voir évoluer dans les images que provoque l'écoute.


Qui plus est, il faut souligner la grand qualité d'écriture de l'ensemble. Malgré qu'il soye français, Howard Hughes fait montre d'un talent de parolier derrière lequel de nombreux anglophones de naissance courraient sans doute. Trouver dans une chanson des paroles comme « "Understand the kind of legend she is from", her mother used to say, "she cut the stone where the knife hurt the most and inhaled diamond, cob1 and powder." », un tel vocabulaire et une telle imagerie, c'est tout de même assez inhabituel. En même temps c'est aussi assez inhabituel que le titre d'un album soit un emprunt au poète Dylan Thomas, donc tout est cohérent. Et c'est finalement assez inhabituel d'entendre un si bon album et d'y revenir très régulièrement avec le même plaisir. On espère donc qu'entre deux disques ici et là avec Coming Soon ou d'autres comparses Howard Hughes trouvera bientôt le temps de donner une suite à O Make me a mask, on a grand besoin de sa classe et de sa grâce nonchalante.


1Du moins il nous semble que c'est « cob » mais pas sûr du tout; c'est peut-être le seul reproche qu'on pourrait faire à Howard Hughes ici, ne pas avoir inclus les paroles de ses chansons dans le livret du disque.

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