"Le corps pleure à cause de ses œuvres et l'esprit rit à cause de la lumière"
Dialogue du Sauveur
Qu'on imagine le big bang, et
plus précisément l'identité sonore, ou plutôt musicale du big
bang. Très certainement ça ressemblera à l’image qu’on se fait
d’un chaos inquiétant, et qui en impose sévèrement. Quelque
chose à la Jean-Féry Rebel, par exemple, parce qu'on est plutôt du genre dramatique, dans l'ensemble.
Seulement
imaginons ceci, qu'en vérité la naissance du cosmos, puis du
soleil, et de la vie, s'incarne en fait dans les premières mesures
de "Punchbag", morceau d'ouverture de l'album Sunshine
hit me de the Bees, dont on va parler ici. Imaginons un cosmos
naissant de petites étincelles qui évoquent un éveil en douceur,
et puis s'épanouissant dans un rythme souple. C’est quand même
autre chose. Un cosmos porté sur la langueur, un cosmos du type
sieste à l'ombre. Et qui dit ombre dit soleil.
Comment
interpréter le titre de l'album? Grammaticalement il ne peut s'agir
de dire que « le soleil me frappe » puisqu'il faudrait un
-s à "hit" pour ça. Alors deux possibilités: une sorte
de provocation ou d'invite faite, sans ponctuation, au soleil pour
qu'il vienne nous en mettre un coup. Ou bien un récit fait a
posteriori, « le soleil m'a frappé », un récit très
simple de l'acte fondateur de cet album, de cette musique.
La
prière faite au soleil est en tout cas au cœur de "Punchbag";
du moins on postule que c'est au soleil que la voix s'adresse pour
dire « Fais de moi un sac de frappe ». Le reste des
paroles est un peu cryptique. Alors postulons que la voix en appelle
au soleil pour lui demander de lui casser la gueule, comme un éveil, un peu à la manière d'un
aède qui en appelle aux dieux quand vient le moment de chanter les
hauts faits d'un Héros.
Là
où Sunshine hit me est une réussite un peu paradoxale c'est qu'en vérité on
pourrait en faire écouter chaque morceau à quelqu'un sans qu'il ou
elle se rende compte qu'il s'agit du travail d'un seul et même
groupe. Les styles changent, les voix sont suffisamment standard pour
qu'on ne les identifie pas plus que ça, c'est en fait frappant
comme, d'une certaine manière, le groupe manque d'une personnalité
clairement identifiable. Mais en réalité c'est peut-être là que
se tient la grande réussite de l'album: le groupe importe peu, ce
qui importe c'est ce qui est son cœur: le soleil.
Pas
le soleil qui rappelle des vacances au Lavandou, mais le soleil qui
donne vie. Le grand Pachacamac. Il y a ce moment dans le morceau
instrumental "Sunshine" où soudain la batterie est laissée seule maîtresse à bord; à nos oreilles rien
ne réussit à mieux traduire ce sentiment débordant provoqué par
un soudain accès de perméabilité au soleil que ces quelques
secondes où rien n'existe que la pulsion de vie, la Joie, où l’idée
même de langage est à la masse. Tout passe par le sentiment
intérieur qui pourrait mener à une trémulation annonciatrice d’une
danse de saint Guy parce que c'est la vie qui s'exprime et qui jouit
d'être ainsi irriguée de lumière et de chaleur.
Et
puis il y a d'autres morceaux qui balancent bien, et c'est déjà
beaucoup, que ce soit le reggae pas cliché de "No trophy"
ou le pont jeté avec une certaine idée du Brésil dans "A
minha menina". On s'imagine alors volontiers the Bees comme une
chic bande de filles et de garçons habitués à passer une bonne
partie de leur vie à cuivrer en shorts en faisant de la musique, et
qui chantent leur joie et leur bien-être de se voir ainsi bien
lotis. Et puis on apprend, au moment d’écrire ces mots, qu'en fait
the Bees c'est, pour cet album, deux Anglais natifs de l'île de
Wight. La Manche. Infiniment plus proche de Calais que de Belo
Horizonte ou de la Barbade. Premier sentiment: un peu de déception
de voir un joli château de sable imaginé de longue date réduit à
néant par une vague d'eau grise et froide. Mais deuxième sentiment:
the Bees a, par cet album, donné forme et vie à un soleil sans
doute plus souvent espéré ou rêvé que vécu. Et c'est au fond
plus beau encore.
On
doit rester à l'intérieur. Dehors c'est le printemps. La peau doit
rester un souvenir et un espoir et le dernier morceau de l'album
commence, langoureux comme pas permis et toujours tourné vers le
désir, qui n'est jamais très éloigné de la prière; « Je
veux t'étreindre comme le ciel étreint le soleil ». L'image
est jolie, et ainsi répétée elle en devient touchante. Oui,
toucher, étreindre, partager la chaleur, s'éclairer mutuellement,
cet espoir répété, comme seule ligne d'horizon parce qu'il ne faut
pas être fier et qu'on a besoin de peu, et que parfois ce peu
devient beaucoup, inaccessible même. Pas pour toujours bien sûr,
mais quand même... c'est bien assez long. Alors tout comme the Bees
on a la possibilité de se gorger d'un soleil intérieur, de
souvenirs de soleils, et d'espoir, de désir, d'attente, et de
confiance. Un jour on sera dehors, on s'ouvrira grand et on dira au
soleil vas-y, cogne, et embrase-moi de toutes tes forces. De joie et
d’aise on chancellera, et ça sera comme une danse.