Il
faut dire que ça commence très fort. Ça
s'appelle « Answering machine song », c'est le morceau
d’ouverture du premier (et pour instant unique) album de Del, Songs
we wrote (#1), et ça commence très fort. Par quel bout le
prendre, il y a cet orgue qui arrive, il sait où il va, il est
déterminé, il vibre comme un hanneton et il a la pesanteur du
rhinocéros. Il semble sortir de la terre, des entrailles, du monde
d'en-dessous, et il impose un rythme de serpent qui t'enlace puis
t'étouffera sans que tu t'en rendes compte; alors tes yeux seront
envahis par les étoiles et tu tomberas en apesanteur, le souffle
suspendu; accessoirement, tu banderas1.
Tu
aurais pu te douter que c'était un piège cela dit, les voix
caressantes du début laissaient entendre le chant d'un loup qui seul
restait, avant la déflagration, quand les oiseaux s'étaient fait la
malle parce qu'ils avaient compris, eux, que tout allait sauter.
Mais
on t'a attiré dans la partie la plus inextricable de la forêt et tu
n'en sortiras plus.
Et
puis les voix il y en a une qui chante et une autre qui, parfois,
hurle. C'est très jouissif. Ça ouvre grand la voie à de la lumière
qui brûle et on s'étourdit à ce soleil.
On
ne va pas se mentir, aux premières écoutes on se retrouve tellement
cartonné par la puissance rêche de ce morceau qu'on n'est d'abord
pas trop attentif à la suite car trop tenté d'en reprendre une
dose. Mais c'est un tort. Il faut écouter ensuite « You wear
your hair much too long », qui a au départ la nonchalance d'un
début d'après-midi d'été; ça bouge lascivement sur une voix
douce jusqu'à ce qu'arrive une deuxième guitare, plus empressée,
au souffle court, précipité, qui vient apporter quelque chose
d'urgent et de dense au morceau. Lascif, urgent, dense, et surtout
excessivement bien branlé.
Il
faut écouter « Sometimes giants fall, like angels », qui
joue sur les deux tableaux d'une sorte de chaloupement qui menace
parfois de mordre. Ça rend léger et fiévreux, il y a la masse du
géant et l'aptitude au flottement de l'ange. Dans la dernière
partie il y a une batterie qui entame une sorte de montée en
puissance mais qui n'éclatera jamais ; ça pourrait sembler
frustrant mais non, tout ça reste lourd et suspendu parce que le
désir pèse et donne des ailes et ça ressemble à la vérité de
l'Été.
Et
puis parfois ça pète franco et ça gueule pour de bon (« Call
the aliens (ad lib) »). Parfois ça se fait mélancolique, doux
et âpre comme un desacierto (« My favorite question mark »).
Parfois c'est balancé comme pas possible et proprement imparable
(« Turkish delights »). Toujours ça mérite l'attention,
et ça finit par devenir un vrai compagnon de route.
Songs
we wrote (#1) a apparemment été conçu au fil des ans,
enregistré en pleine canicule en 2003, publié pas loin de dix ans
plus tard presque par hasard... Ça pourrait ressembler un peu à un
truc de branleurs, mais que non pas. Il se trouve que Del est une
sorte d'excroissance d'Angil and the Hiddentracks, dont on eûmes
parlé en ces lieux autrefois, et ici comme là on retrouve une
science à la fois efficace et inspirée qui continuera à nous faire
marteler tant qu'il le faudra qu'on a là affaire à de la baleine
blanche de premier choix. D'animation, on en renversera sa bière. On
en reprendra une autre. C'est qu'il fait soif et chaud.
Ça
s'appelle Songs we wrote (#1): ça chaloupe, ça cogne,
ça colle et ça vague parfois à l'âme. Ça
s'appelle un album d'été idéal.
P.S. :
figurez-vous que cet album est trouvable ici pour la somme
indécemment modique de 5 euros.
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1Si
quelqu'un pouvait nous éclairer sur les réactions physiologiques
féminines consécutives à l'étranglement, ça nous intéresserait
bien