C'est souvent la nuit, quand le sommeil
t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon. Tu ne sais pas
pourquoi.
Première hypothèse: images des années 70, larges mâchoires,
regard proéminent, visage comme projeté à l'avant du crâne, vêtu
plus souvent qu'à son tour d'un costume d'officier nazi (voilà ce
qu'il en coûte de savoir parler allemand dans le cinéma des années
50)... Une allure de vision cauchemardesque qui vient quand on
navigue entre l'éveil et le sommeil, quelque part entre la créature
de Frankenstein et Dracula... Une sorte de brutalité suave. Quelque
chose qui ressemblerait davantage au produit d'une imagination
nourrie au baroque noir qu'à la rencontre de deux gamètes. Une
élégance sûre et profane. Howard Vernon est une sorte de sursaut
d'un imaginaire enfiévré qui se révolterait de se trouver soudain
plongé dans la réalité, dans le temps mesurable.
Il disait « Un être complètement
équilibré ne ressent pas le besoin de prendre un crayon et de
re-créer un animal. »
Il disait « En ce moment y'a
rien. On a l'air d'être dissolus, mais de façon triste. »
Il disait « Nous on crève dans
la médiocrité, dans la tristesse, dans la mesquinerie, dans le...
beurk... Non, non, non, si on arrange cette époque elle peut être
très marrante, mais faut surtout pas en faire partie. »
C'est souvent la nuit, quand le sommeil
t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon. Tu essayes de tracer un
parcours logique entre le Silence de la mer, Manina, la
fille sans voile, Alphaville, les Exploits érotiques
de Maciste dans l'Atlantide et... mettons le Théâtre des
matières. Jean-Luc Godard, mais Jean Rollin; Jesús Franco, mais
Fritz Lang (le second ayant cela dit fait part de son admiration pour
le premier après avoir vu Necronomicon). La logique cinéphile
jette rageusement son mégot par terre et s'en va en disant « Oh
et puis merde, débrouillez-vous tout seul! ». Une filmographie
en coq-à-l'âne, et combien de rôles acceptés pour passer du temps
sous d'autres cieux et profiter de la lumière, ou faire le
photographe de plateau? Pas de plan défini, les choses comme elles
viennent, et un sens de l'esthétique et du beau qui connaît ses
classique, mais qui tend aussi vers ce que le raté peut contenir de
sublime. Il y a des princes de l'errance, et dans le mauvais goût
des flamboyances.
Il disait de Jesús Franco « C'est
exactement comme une femme qui met un enfant au monde et au milieu de
la naissance, elle prend un couteau elle dit "J'en ai marre",
elle coupe ce qui est sorti. »
Il disait « C'était complètement
invraisemblable mais finalement le cinéma ça doit être ça. C'est
ça pour moi. Finalement, je suis heureux. Y'a beaucoup de gens qui
me l'ont reproché "Oui, vous vous êtes fourvoyé dans des
films bon marché..." Eh bien je suis ravi. »
C'est souvent la nuit, quand le sommeil
t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon. Un élégant qui se
promène sous la pluie de juin, avec sous le bras un cahier rempli de
ses photographies érotiques mettant en scène de jeunes éphèbes.
Quand devant la caméra il frottait son corps contre celui de femmes,
rêvait-il de formes dénuées de seins et avec moins de trous
dedans? Ou peut-être qu'il prenait là aussi tout ce qu'il y a de
jouissif à prendre. Peut-être que sa vie n'était pas une ligne droite vers la
mort, mais une piste à flanc de volcan sur laquelle il
évoluait en ne se souciant que du geste de l'instant, sans savoir
quelle serait sa prochaine figure et en s'en moquant éperdument.
C'est peut-être possible d'accomplir sa vie comme un ample geste
fractionné en une infinité de gestes plus petits, mais dans
lesquels on s'inscrit entièrement. C'est peut-être possible de
vivre, en tenant les contraintes en respect, en faisant taire à l'intérieur
les grognements des chiens par la grâce de son duende.
C'est peut-être possible de ne remplir l'instant que de l'instant. D'être là.
C'est souvent la nuit, quand le sommeil
t'abandonne, que tu repenses à Howard Vernon.
Parfois un rossignol chante. Parfois un
fantôme te hante.
Parfois tu te dis que la nuit n'en
finira pas, mais Howard Vernon est là.
Et il t'aide à comprendre qu'il n'y a pas d'autre route que celle
que tes pas inventent.