Au début de l'année est sorti
Aujourd'hui (Tey), dernier film en date d'Alain Gomis. La fin
de l'année approche et nous n'avons pas encore trouvé de film
capable de disputer à ce dernier le titre de plus belle chose vue
depuis des lustres. Il est alors d'autant plus regrettable que sa
sortie n'ait pas suscité davantage de réactions, et ce malgré son
triomphe au dernier Fespaco. Mais joie, réjouissance et
trépignements d'aise parce qu'Aujourd'hui vient de sortir en
DVD et qu'on peut donc organiser une (ou quinze) séance de
rattrapage. Et ce qui est encore plus chouette c'est que dans les
bonus de ce DVD se trouve Petite lumière, un court-métrage
réalisé par Alain Gomis en 2002, et qu'à l'image de son cinéma ce
film une sorte de prouesse humble. Alors nous nous permettons de
mettre ce court-métrage en ligne ici1
pour en faire une sorte d'introduction au cinéma d'Alain Gomis, dans
lequel il est urgent de s'immerger.
Petite lumière met en scène
les questions que se pose Fatima sur le fait d'exister et sur le
rapport que l'on entretient avec le monde. Dit comme ça ça a l'air
assez nébuleux, mais ce qui fait justement la grâce du cinéma
d'Alain Gomis, c'est sa capacité à traiter des sujets profondément
métaphysiques sans aucune lourdeur intellectuelle. Pour ce faire il
fait une chose finalement assez rare: il fait confiance à son art.
Plutôt que de développer un discours
ou un symbolisme appuyé indiquant au spectateur ce qu'il faut
comprendre de telle ou telle image, Gomis semble donner de très
légères indications, puis faire en sorte que s'épanouisse un
ressenti qui mènera le spectateur à évoluer, par le biais du film,
vers ses propres réponses. Ce ressenti naît de l'utilisation de la
technique cinématographique dans toute sa richesse. Ici par exemple,
l'usage réfléchi et astucieux d'éléments aussi fondamentaux que
le son ou le hors-champ nous font soudain prendre conscience que 95%
des films que l'on voit ne sont pas marqués par leur appartenance au
cinéma, qu'ils sont le travail de réalisateurs qui ne semblent pas
conscients de ce que leur outil leur offre.
Plus concrètement, et c'est là la
beauté de la chose, ce qui fait la grande valeur de Petite
lumière, c'est que sur le papier tous les obstacles sont
réunis pour donner naissance à un film boursouflé, bancal,
tiraillé entre des aspirations philosophiques et des principes
esthétiques. Mais c'est le contraire qui se produit: tout ça est
d'une grâce, d'une légèreté et d'une élégance totales. Des
interrogations extrêmement précises sont formulées, mais les
réponses qui leur sont apportées se défient du langage, comme si
ce qui était le plus à même de répondre à la métaphysique était
le ressenti, ou en d'autres termes l'expérience de la vie en
elle-même.
C'est là l'une des plus grandes
réussites du cinéma d'Alain Gomis: le travail d'identification
qu'il suscite n'est pas de ceux, assez malsains, qui font qu'on
s'attache à un personnage bien précis qui nous laisse comme
orphelins une fois le film terminé. Non: le cinéma d'Alain Gomis,
par le biais de ses personnages, nous aide à reprendre contact avec
notre nature profonde d'être vivants, avec l'expérience concrète
et entière que nous avons de la vie. On pourrait dire d'une certaine
manière que c'est un cinéma qui nous libère du cinéma pour nous
faire apprécier le réel, soit l'antidote à la production
cinématographique de masse qui nous coupe de la vie et nous dégoûte
de ce que nous sommes en nous excluant de ce qui nous est montré, en faisant de notre statut de spectateur un poste d'observatoire passif et honteux d'où l'on regarde avec envie les aventures de quelqu'un qui vaut mieux que nous puisqu'il est le spectacle et que nous sommes les mateurs. Dit comme ça c'est un peu confus, mais
l'expérience des films d'Alain Gomis s'explique par elle-même, il
suffit d'y aller.
A la fin de son précédent
long-métrage, Andalucia, le personnage principal (interprété
de manière magistrale par le grand Samir Guesmi) semblait soudain
sortir d'une longue nuit. Il s'élevait alors au-dessus du sol, comme
détaché du principe même de gravité, et semblait jouir du simple
fait d'être là, dans le paysage. Quand on sort de voir un film
d'Alain Gomis, on se sent un peu pareil: on a assisté à un
spectacle esthétique complet, discrètement nourri d'une réflexion
profonde, et qui nous a remis en contact direct avec l'intense beauté
qu'il y a à être au monde.
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1
Même s'il va sans dire que nous n'en possédons pas les droits etc. mais que promis juré craché nous n'en tirons aucun profit. Et même au contraire. Ce blog
nous coûte extrêmement cher ne serait-ce qu'en chauffage. Parce
qu'il est très mal isolé et que le prix du fuel, n'est-ce pas.