Louis CK est gros, roux, et américain. Dans la vie il fait
meilleur humoriste du monde.
Louis CK a créé une série, qui s’appelle Louie. Comme notre univers est cohérent,
Louie est la meilleure série
humoristique du monde.
Louis CK part de l’observation, comme tout le monde. Mais
quand il tient un sujet, il le creuse encore et encore, comme pas tout le
monde. Il ne s’arrête pas au signe, il va à la racine.
Dans ses spectacles, Louis CK venge ceux qui détestent le
stand-up en le tuant : plutôt que de jouer sur la connivence pour faire en
sorte que le spectateur se sente à l’aise dans sa médiocrité (ce qui est le
principe du stand-up actuel), il suscite un rire de malaise en se présentant
comme la pire personne qui soit au monde, personne en qui bien sûr chacun se
reconnaît, et en déterrant bon nombre des cadavres sur lesquels prospère notre
mode de vie. Il le fait avec franchise, ingrédient dont l’absence est
nécessaire à tout stand-up contemporain.
Dans ses spectacles comme dans sa série (c’est sa
série puisqu’il en est le scénariste, le réalisateur et, dès que faire se peut,
le monteur et le superviseur musical), Louis CK fait preuve d’un point de vue,
ce qui est déjà rare en soi. Et ce point de vue est d’une précision et d’un
mordant rares. En dehors de Chris Morris (pbAsl), on ne voit personne d’autre
ayant réussi à pervertir l’outil familial par essence qu’est l’écran de
télévision avec un mélange de drôlerie et d’esprit critique aussi féroces.
Regarder Louie est réjouissant. Parce que c’est
drôle, et parce qu’on a le sentiment que Louis CK se venge (et nous par la même
occasion) de la médiocrité habituelle des séries comiques. Il n’est pas interdit
de jouir quand il lance un « Allez tous vous faire enculer »
salutaire à un public gavé de sitcoms qui lui reproche de faire la fine bouche
face à un script qu’il juge indigent.
D’une certaine manière,
Louis CK est peut-être bien un chevalier blanc, en fait.
Dans un épisode de Louie il y a Chloë Sevigny qui joue une
libraire. Il n’en faut pas plus pour faire naître un sentiment de béatitude
chez l’homme du monde.
On voit dans Louie à
quoi ressemble le travail d’un réalisateur qui aime ses acteurs, qui les
valorise. On s’aperçoit alors qu’on est quand même bien habitués à des
programmes fait par des réalisateurs qui se foutent pas mal de leurs acteurs.
Et on se repasse, pour le plaisir, ces images de Parker Posey montées en générique de fin d’un épisode, que Louis CK semble avoir filmées pour le
plaisir, lui aussi. Car Parker Posey, elle aussi, suscite la béatitude chez
l’homme du monde.
Il serait assez dégoûtant de détailler ce que Louis CK fait
du sacro-saint souci de vraisemblance qui habite bon nombre de créations
audiovisuelles : un acteur joue deux rôles différents à quelques épisodes
d’intervalles, des personnages apparaissent soudain alors qu’ils étaient censés
ne pas exister, des incohérences énormes se produisent et, ce qui est beau,
c’est qu’on s’en moque éperdument. On comprend alors qu’on n’a pas besoin de
vraisemblance dans un récit (du moins plus depuis qu’on a dépassé le CM1). On a
simplement besoin d’un bon récit.
Ce qui est beau avec Louie, c’est que c’est une série
anti-technique. Plus précisément : beaucoup de programmes fonctionnent
grâce à leur structure, certains même ne fonctionnent que sur ça[1]. Or Louie n’a pas de structure-type, on ne
sait jamais comment va être construit un épisode. Puisque la musique qui l’accompagne
est souvent jazzy, on est tenté de dire que Louis CK est l’instigateur d’une
sorte de free-humour comme il y a un free-jazz, tout en ruptures de rythme et
en inspiration pure (beaucoup des dialogues semblent improvisés à partir d’une
idée de départ).
On est loin de la recherche de résultat ou d’efficacité qui
anime bon nombre de programmes télévisuels. On est ici face à de la création
pure. Exemple : ce début d’épisode (épisode intitulé « Subway/Pamela »
qui, soit dit en passant, est un véritable chef-d’œuvre d’émotions qui se
cognent). Essayez de trouver un équivalent à ces cinq minutes dans l’histoire
de la télévision. Bonne chance.
Une dernière chose enfin. Louie est parfois d’une grossièreté profondément réjouissante.
Exemple : le personnage est guilleret. Il entre dans une supérette. En
faisant des effets de crooner il chantonne « Et je chie dans la bouche de Hitler, et je pisse sur le
visage de sa mère avec ma bite plus grosse qu’une patte de singe… »
Qui dit mieux ?
[1] Exemple : How I met your mother, qui après avoir
sérieusement dépoussiéré la sitcom grâce à sa temporalité éclatée a fini par ne
plus être autre chose que cette mécanique, tournant à vide mais tournant
toujours, devenant presque fascinante du même coup.